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Déséquilibre significatif & procès-verbaux anonymisés

reconnaissance de la valeur probante de procès-verbaux anonymisés

19/10/2019

La cour d’appel de Paris a condamné la filiale française d’un groupe du secteur de l’énergie à une amende de deux millions d’euros pour déséquilibre significatif.

Une décision singulière. Pour la première fois, la cour d’appel de Paris a reconnu la valeur probante de 28 procès-verbaux de déclarations de fournisseurs dans lesquels étaient anonymisées l’ensemble des informations suivantes : noms du fournisseur et de la personne auditionnée, activité de l’entreprise et toute information relative au marché sur lequel elle opère, éléments relatifs à son chiffre d’affaires passé et futur et part du chiffre d’affaires réalisé avec l'acheteur.

La cour d’appel de Paris a écarté le grief selon lequel ces mentions anonymisées porteraient atteinte aux droits de la défense de l’entreprise, estimant que, au regard des circonstances très particulières de l’espèce, la communication de ces procès-verbaux anonymisés ne portait pas une atteinte disproportionnée au principe du contradictoire. En effet, selon les juges parisiens, les procès-verbaux avaient été dressés par des agents assermentés et portaient sur des questions dont l’entreprise mise en cause avait connaissance et auxquelles elle pouvait répondre en produisant des pièces destinées à démontrer le contraire ; seules les informations tronquées l’avaient été dans le but de protéger l’identité des déposants et l’efficacité des enquêtes et procédures destinées à protéger l’ordre public économique. Ainsi, selon la Cour d’appel, la filiale poursuivie avait pu débattre contradictoirement du fond des pièces et de la portée des auditions dont le contenu n’était pas anonymisé.

Sur le fond de l’affaire. Il était reproché à la filiale d’avoir inséré dans les contrats avec ses fournisseurs deux clauses constitutives d’un déséquilibre significatif : 

  • la première relative aux modalités d’acceptation des conditions générales d’achat (CGA) de la filiale qui réputaient non écrites les conditions générales de vente (CGV) des fournisseurs au profit des seules CGA, en contrariété avec les dispositions de l’article L. 441-6, I al. 3 (ancien) du Code de commerce ;
  • la seconde relative aux conditions de paiement prévoyant un mécanisme de paiement anticipé des fournisseurs rémunérés au bénéfice de la filiale.

La Cour d’appel a d’abord estimé que la soumission des fournisseurs était établie. Les clauses litigieuses n’auraient pas été négociées dans la mesure où elles se retrouvaient dans la majorité des contrats. De plus, il résulterait des déclarations des fournisseurs qu’ils auraient été dans l’impossibilité juridique, technique et commerciale de travailler avec la filiale en cas de refus d’adhésion au programme de paiement anticipé ou d’acceptation de ses CGA, cette acceptation constituant un préalable à tout échange commercial.

La Cour d’appel a ensuite considéré que l’existence d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties était caractérisée par le fait que : 

  • d’une part, 50 % des contrats auraient été établis à partir de l’offre de la filiale (CGA) et non de celle du fournisseur (CGV), selon un modèle-type figurant dans chacun des contrats, en contrariété avec le principe selon lequel les CGV constituent le socle de la négociation commerciale ;
  • d’autre part, les taux de rémunération pratiqués par la filiale en application de la clause de paiement anticipé auraient réduit de manière conséquente le montant final de la facture des fournisseurs sans que cette réduction ne corresponde à une prestation quelconque de la filiale, et sans que le fournisseur ait une visibilité claire du montant final qui lui serait versé.

Pour justifier l’importance de la sanction infligée, la Cour d’appel a indiqué que la situation d’acteur majeur de la filiale sur son marché avait contribué à accentuer la gravité des faits reprochés, en raison de son devoir d’exemplarité.

L’avenir dira si la solution dégagée tient aux circonstances de l’espèce ou si la cour d’appel de Paris entend systématiser l’admissibilité des procès-verbaux anonymisés dans la démonstration d’un déséquilibre significatif.

Soulignons que, dans le cadre de la récente condamnation de la plateforme de commerce en ligne Amazon à une amende de 4 millions d’euros pour déséquilibre significatif dans ses conditions générales d’utilisation, le tribunal de commerce de Paris a lui aussi estimé que l’anonymisation des procès-verbaux des témoignages des vendeurs tiers produits par l’Administration ne portait pas une atteinte excessive aux droits de la défense, ni au principe du contradictoire. En effet, une partie des déclarations anonymes étaient corroborées par d’autres pièces, telles que des captures d’écran ou des échanges de mails. Les témoignages portaient sur des éléments factuels qu’Amazon pouvait facilement contredire, ce qu’elle n’avait pas manqué de faire dans ses conclusions, dans ses pièces et dans les débats. Difficile de ne pas voir dans cette décision du Tribunal de commerce, l’influence de la position de la cour d’appel de Paris.

CA Paris 12 juin 2019, n° 18/20323

TGI Paris 2 septembre 2019, n° 2017/050625


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Cet article a été publié dans notre Lettre Concurrence/Economie d'octobre 2019. Cliquez ci-dessous pour découvrir les autres articles de cette lettre.

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Elisabeth Flaicher-Maneval
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Paris