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Déclaration de performance extra-financière et lutte contre l’évasion fiscale

Les entreprises cotées appelées à plus de transparence

25/07/2019

La loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude fiscale, sociale et douanière a introduit plusieurs mesures visant à améliorer la lutte contre la fraude au moyen de sanctions plus sévères et plus systématiques tout en facilitant les outils de règlement transactionnel des litiges. Soucieux d’impliquer la société dans son ensemble, le législateur a également fait entrer ces préoccupations légitimes de lutte contre la fraude dans la vie des assemblées de certaines entreprises.

En complément des initiatives soutenues par la France aux niveaux européen et mondial dans la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales internationales, la loi du 23 octobre 2018 a pour objet de « cibler et de renforcer les sanctions à l'encontre des fraudeurs qui contreviennent délibérément aux principes fondamentaux d'égalité devant les charges publiques et de consentement à l’impôt ». Initiées à l'appui du rapport d'information Mazetier-Warsmann déposé le 8 février 2017, qui dressait un bilan de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et de la loi organique n° 2013-1115 du 6 décembre 2013 relative au procureur de la République financier, les dispositions nouvelles visent à renforcer, à l'échelle nationale, l'efficacité de la lutte contre la fraude fiscale, sociale et douanière, en améliorant à la fois la détection, l'appréhension et la sanction de la fraude.

Avec le souhait d’y impliquer toute la société, et en particulier les entreprises, notamment les plus grandes d'entre elles, « dont les agissements ont des conséquences (positives ou négatives) sur leur environnement », un amendement a été introduit par les députés en vue d’enrichir la déclaration de performance extra-financière.

L'article 20 de la loi a ainsi modifié le premier alinéa du III de l'article L. 225-102-1 du Code de commerce pour étoffer et compléter les informations devant figurer dans la déclaration de performance extra-financière incluse dans le rapport de gestion des entreprises (i) cotées, (ii) employant plus de 500 salariés (iii), avec un total de bilan supérieur à 20 millions d’euros ou un chiffre d’affaires net dépassant 40 millions d’euros, l’ensemble de ces seuils étant apprécié de manière consolidée. Désormais, la déclaration de performance extra-financière, qui présente les informations sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité, doit faire état des effets de cette activité quant « à la lutte contre l'évasion fiscale », en sus de la lutte contre la corruption et le respect des droits de l'Homme, d'ores et déjà couverts. 

Le législateur entend s’appuyer sur le risque réputationnel que peut comporter la gestion fiscale d’un groupe et souligne que certaines entreprises multinationales ont employé l’outil de « transparence fiscale » comme moyen de communication, par exemple en insistant sur le rôle de leur contribution économique dans les régions dans lesquelles elles exercent leurs activités.

En pratique, il est permis de s’interroger sur le contenu de cette nouvelle obligation, alors même que le nouveau texte ne contient aucun développement sur la nature des informations à fournir s’agissant de la lutte contre l’évasion fiscale ni, plus généralement, sur la notion même d’évasion fiscale. 

La lutte contre l’évasion fiscale caractérisant une nouvelle catégorie d’information, il y a lieu de considérer – en dépit du flou qui entoure cette notion – qu’en fonction de la situation de l’entreprise concernée, les déclarations idoines doivent être établies en application de l’article R. 225-105, I du Code de commerce. A savoir : une description des principaux risques liés à l’activité, une description des politiques appliquées et les résultats de ces politiques, incluant des indicateurs clefs de performance. 

Il devrait ainsi être envisagé de faire référence aux mesures prises par le groupe pour ne pas être impliqué, sciemment ou non, dans des opérations frauduleuses, en établissant une cartographie des risques fiscaux identifiés (à l’instar de ce qui existe s’agissant des obligations en matière de lutte contre la corruption) selon les différentes activités du groupe et le lieu de ses opérations. 

La déclaration décrirait les processus internes mis en place tels que les formations à l’attention des salariés sur les problématiques d’évasion fiscale (par exemple, sensibilisation sur les paiements faits à l’étranger, diffusion de procédures internes, etc.). Elle pourrait également apporter des précisions sur les relations que le groupe entretient avec les administrations fiscales des pays dans lesquels il opère (équipes locales, respect des calendriers déclaratifs, communication de données chiffrées, coopération lors des contrôles fiscaux, etc.). Les entreprises ayant déjà travaillé sur une charte éthique ou un code de conduite pourraient s’inspirer de ce qu’elles ont rédigé sur ces sujets. 

Comme pour certains éléments des déclarations sur les conséquences sociales et environnementales de la société, les mentions ne sont à indiquer que si elles sont pertinentes au regard des principaux risques identifiés ou des politiques menées par la société (C. com., art. R. 225-105, I, 1°). Si la société n’applique pas de politique en ce qui concerne un ou plusieurs des risques visés dans la déclaration de performance extra-financière, une explication claire et motivée des raisons le justifiant doit figurer dans le document (application du principe «comply or explain », repris par C. com., art. R. 225-105, I, der. al.).

Dans l’éventualité où ces informations seraient manquantes, tout intéressé est susceptible de demander au président du tribunal statuant en référé d'enjoindre, le cas échéant sous astreinte, au conseil d'administration ou au directoire, selon le cas, de les communiquer. Lorsqu'il est fait droit à la demande, l'astreinte et les frais de procédure sont à la charge, individuellement ou solidairement selon le cas, des administrateurs ou des membres du directoire (C. com., art. L. 225-102-1, VI, al. 2). En outre, l'omission d'informations dans le rapport de gestion constitue une irrégularité que le commissaire aux comptes doit signaler au conseil d'administration, ou au directoire et au conseil de surveillance, et mentionner dans la seconde partie de son rapport sur les comptes annuels.

Une analyse a posteriori des informations publiées par les grandes sociétés concernées sera sans doute utile pour identifier les meilleures pratiques d’un exercice relativement complexe qui est applicable dès le lendemain de la publication de la loi du 23 octobre 2018, soit aux déclarations de performance extra-financière en cours de rédaction à compter du 25 octobre 2018. 

Apparaît ainsi pour la première fois dans notre droit positif la divulgation obligatoire au public d’informations touchant à la politique fiscale des entreprises. Rappelons que la tentative précédente du législateur français de contraindre les entreprises à dévoiler certaines informations fiscales aux citoyens (et concurrents) par la création du « CBCR public » a été censurée par le Conseil constitutionnel lors de l’examen de la loi Sapin II du 9 décembre 2016.

C’est toutefois sous l’impulsion de l’Union européenne que le CBCR public revient sur le devant de la scène. Les eurodéputés ont en effet annoncé vouloir déboucher, de façon rapide, sur un accord sur le projet de directive rendant obligatoire la publication du CBCR (Directive comptable 2013/34/UE, telle qu’amendée par le Parlement européen le 12 avril 2016 et le 4 juillet 2017).

De là à dire que les entreprises seront bientôt mises à nu…

Article publié dans l'édition du magazine Option Finance du 18 mars 2019


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Cet article a été publié dans notre Lettre Corporate de juillet 2019. Cliquez ci-dessous pour découvrir les autres articles de cette lettre.

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