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Eclairage sur l’action en revendication d’une marque pour dépôt frauduleux

Lettre Propriétés Intellectuelles | Mai 2019

09/05/2019

A charge de démontrer le caractère frauduleux d’un dépôt de marque, la personne qui s’estime lésée peut diligenter une action en revendication pour obtenir le transfert de ladite marque à son profit. Le tribunal de grande instance de Nanterre a récemment apporté des éclairages et précisions sur cette action.

L’article L.712-6 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) dispose : "Si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d'un tiers, soit en violation d'une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice".

C’est sur cette action en revendication que le Tribunal de grande instance de Nanterre s’est prononcé le 20 décembre 2018 (TGI Nanterre, 20 décembre 2018, n° 17/01027).

Rappel des faits et de la genèse de l’action en revendication - En l’espèce, le litige opposait : 

  • la société américaine Supreme, spécialisée dans le commerce de vêtements streetwear et titulaire en France d’une marque verbale "SUPREME" enregistrée en 1999 en classe 25 et de deux marques semi-figuratives enregistrées le 22 avril 2015 en classes 18, 25 et 35 ; 
  • à un particulier ayant déposé deux marques françaises semi-figuratives identiques
  • le 9 avril 2015 et le 3 mars 2016 en classes 2, 14, 16, 25, 32 et 33. Après opposition de la société Supreme et renonciations volontaires, les marques ne couvraient plus que les classes 14 et 16.

Considérant que ces deux dernières marques avaient été déposées en fraude de ses droits, la société Supreme avait assigné le déposant en revendication desdites marques. En défense, ce dernier contestait l’intérêt à agir de la société SUPREME et le bien-fondé de l’action au motif que les classes restantes 14 et 16 n’étaient pas nécessaires à son activité.

Sur l’intérêt à agir de la société Supreme - Définissant le dépôt de marque frauduleux comme celui "effectué dans l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité présente ou future", le Tribunal souligne que celui qui agit en revendication de marque pour ce motif n’a pas à démontrer l’existence d’un droit antérieur au sens strict de l’article L.711-4 du CPI mais uniquement que le dépôt frauduleux "génère une entrave à son activité économique effective ou sérieusement envisagée sur le territoire français". Il en conclut ainsi que, même si la société Supreme n’avait déposé aucune marque en classes 14 et 16, elle n’était pas de ce simple fait irrecevable à agir en revendication.

Sur le caractère frauduleux du dépôt de la marque - Sur ce point, le Tribunal rappelle que la fraude doit s’apprécier au jour du dépôt et que doivent être pris en considération les critères suivants mis en exergue par la Cour de justice de l’Union européenne : 

  • le fait que le déposant savait ou devait savoir qu’un tiers utilisait un signe identique ou similaire pour un produit identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe déposé ;
  • l’intention du déposant d’empêcher ce tiers de continuer à utiliser un tel signe ; ainsi que
  • le degré de protection juridique dont jouissent le signe du tiers et le signe du déposant, notamment le degré de notoriété d’un signe au jour du dépôt.

Le Tribunal estime que ces conditions sont en l’espèce remplies.

Alors même que la première boutique de la société Supreme en France a été ouverte le 10 mars 2016 (soit postérieurement aux dépôts des deux marques litigieuses), le Tribunal reconnaît que la connaissance du déposant de la marque "SUPREME" est démontrée compte tenu des ventes effectuées en France depuis 2013 via Internet, de la rareté des produits streetwear sur le marché, de l’importance des investissements publicitaires effectuées par la société Supreme pour promouvoir sa marque (notamment des collaborations effectuées avec des célébrités et d’autres marques célèbres comme Nike ou Van’s), ainsi que de la couverture médiatique dont a bénéficié la marque dans les journaux et magazines français. Cette connaissance est d’autant plus évidente que dans le passé, le déposant avait lui-même lancé une gamme de produits streetwear et que les marques semi-figuratives déposées sont strictement identiques au signe exploité par la société Supreme.

Concernant l’intention du déposant, le Tribunal relève que ce dernier ne démontre pas l’utilité des deux dépôts de marques litigieux pour les besoins de son activité, à l’époque des dépôts ou postérieurement. Le Tribunal en conclut logiquement que la fraude est ainsi constituée.

Sur le transfert à la société revendicante des marques frauduleuses - Demeurait la question de l’utilité de transférer à la société Supreme les marques enregistrées en classes 14 et 16, pour des produits et services que cette dernière n’a jamais désigné dans ses dépôts de marques. Le Tribunal estime le transfert légitime en appliquant à l’action en revendication "les critères retenus par les juridictions européennes pour procéder à l’analyse des produits et services dans le cadre d’une action en contrefaçon ou en nullité pour atteinte à une marque antérieure". Il souligne de plus que l’importante notoriété du signe SUPREME et l’identité totale des signes engendraient un risque sérieux d’association même pour des produits non commercialisés par la société Supreme.

Le transfert des marques est donc très logiquement ordonné.

Concernant le thème général du dépôt de mauvaise foi d’une marque, dont le dépôt frauduleux constitue l’une des manifestations, il faut souligner que le projet d’ordonnance de transposition de la directive 2015/2436 du 16 décembre 2015 renforce considérablement les droits du légitime ayant-droit à la marque. En effet, la mauvaise foi y est érigée en motif de nullité absolue du dépôt (futur article L.711-3, f). Il en est de même lorsque le dépôt de mauvaise foi est le fait de l’agent ou du représentant du titulaire ; ce dernier peut alors formuler opposition à son enregistrement (futur article L.712-4-1, 7°).


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Anais Arnal
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