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Maroc | Accord préalable sur les prix de transfert : une innovation à double tranchant ? | Flash info Afrique

18/02/2015

L'article 6 de la Loi de finances pour 2015 a introduit la possibilité pour le contribuable d'engager avec l'administration des impôts une "Procédure d'accord préalable sur les prix de transfert". En d'autres termes, il est désormais possible de solliciter de manière officielle un avis de la part des autorités fiscales marocaines. Ce n'est pas la première fois qu'un mécanisme d'accord préalable1 est introduit dans la législation fiscale marocaine; on se souvient par exemple des dispositions codifiées aujourd'hui à l'article 97 du Code général des impôts, relatives au prorata de déduction TVA en cas d'exercice d'activités multiples. Par ailleurs, l'expérience nous enseigne que l'administration a déjà négocié des rulings dans certains cas, quand bien même aucun texte de loi n'en prévoyait expressément la possibilité.

En matière de prix de transfert, l'accord préalable ("APP") peut être défini comme un accord conclu entre le contribuable et la ou les autorité(s) fiscale(s) compétente(s), permettant à une entreprise multinationale, par la détermination concertée d'une méthode de prix de transfert, de s'assurer que les prix pratiqués dans ses relations industrielles, commerciales et financières intragroupe sont conformes au principe de pleine concurrence.

En théorie, un APP peut porter, soit sur l'ensemble des transactions entre les entreprises liées, soit, à la demande du contribuable, ne concerner qu'un segment d'activité, une fonction, voire un seul produit ou type de transaction.

A titre indicatif, certains pays développés tels que le Royaume-Uni et la France se sont dotés d'une procédure d'APP dès 1999. Plus récemment, certains pays en voie de développement comme la Chine, l'Inde, la Colombie ou encore la Roumanie ont ajouté des programmes d'APP à leurs arsenaux législatifs.

Au cas particulier, le texte de loi dispose que : "Les entreprises ayant directement ou indirectement des liens de dépendance avec des entreprises situées hors du Maroc, peuvent demander à l'administration fiscale de conclure un accord préalable sur la méthode de détermination des prix des opérations mentionnées à l'article 214-III ci-dessus pour une durée ne dépassant pas 4 exercices". Il s'agit donc là d'une procédure unilatérale, par opposition aux procédures bilatérales, qui impliquent l'accord des autorités fiscales du pays du cocontractant.

Cette nouvelle opportunité semble répondre à un double objectif. En approuvant la politique de prix de transfert appliquée par les filiales marocaines des grands groupes multinationaux, l'Etat espère s'assurer un revenu taxable, et ce pour quatre exercices. Par ailleurs, le dispositif s'inscrit dans la continuité des avancées relatives au besoin de sécurité juridique et fiscale tant réclamé par les contribuables. En effet, le Projet de Loi de finances précise que "L'Administration ne peut remettre en cause la méthode de détermination des prix des opérations mentionnées à l'article 214-III ci-dessus ayant fait l'objet d'un accord préalable avec une entreprise conformément aux dispositions de l'article 234 bis ci-dessus."

Pour autant, la signature d'un APP avec l'administration des impôts ne saurait être vue comme une garantie absolue contre le redressement fiscal. En premier lieu, une remise en cause a posteriori peut être opérée en cas de non-respect des termes du contrat. Ainsi, l'accord est considéré comme nul et de nul effet depuis sa date d'entrée en vigueur dans les cas suivants : "présentation erronée des faits, dissimulation d'informations, erreurs ou omissions imputables à l'entreprise, non-respect de la méthode convenue et des obligations contenues dans l'accord par l'entreprise ou usage de manoeuvres frauduleuses."

Les modalités de conclusion dudit accord seront fixées par voie réglementaire. Il est toutefois possible d'anticiper la forme que prendra la procédure en observant ce qui se fait dans d'autres pays. En pratique, le processus comporte généralement plusieurs étapes :

  1. les demandes d'APP sont introduites à l'initiative du contribuable auprès de l'autorité fiscale compétente, quelques mois avant l'ouverture de l'exercice au titre duquel ces APP ont vocation à s'appliquer pour la première fois ;
  2. une réunion préliminaire peut se tenir pour s'accorder sur l'opportunité de la demande et les conditions dans lesquelles l'accord peut être demandé et instruit ("discussion paper") ;
  3. l'Administration prend ensuite position sur la méthode de détermination des prix de transfert par le contribuable, et l'en informe par écrit ;
  4. une fois conclu l'APP, il est de rigueur que le contribuable se voit demander de produire un rapport annuel afin de vérifier la conformité des méthodes pratiquées aux termes de l'accord.

A l'heure actuelle, et en l'absence de texte réglementaire, nul ne sait réellement quels documents seront exigés par l'Administration pour l'ouverture d'une procédure d'APP. On peut toutefois se faire une idée sur la question en raisonnant par analogie. Ainsi, on observe qu'en France, les informations généralement demandées par l'administration fiscale pour la conclusion d'un APP sont les suivantes :

  • organigramme de détention des entités couvertes par la demande d'APP ;
  • présentation du groupe : son activité, son organisation, ses implantations, les principales transactions auxquelles les sociétés couvertes par la demande d'APP participent, etc. ;
  • liste des concurrents du groupe ;
  • liasses fiscales des trois derniers exercices des sociétés couvertes par la demande d'APP ;
  • APP éventuellement conclus par les entités couvertes par la demande d'APP ou d'autres entreprises du groupe ;
  • analyses focntionnelles relatives aux fonctions exercées, risques assumés et actifs détenus par les entités couvertes par la demande ;
  • étude économique justifiant la méthode de prix de transfert proposée et le niveau de marge attribuable à l'entité routinière.

Il s'agit donc d'une procédure pouvant se révéler à la fois longue et contraignante. Pour autant, il est fort probable que bon nombre de contribuables chercheront à obtenir cette forme de "couverture". L'enjeu est certes de taille : se prémunir du fameux chef de redressement "Prix de Transfert" notifié au moment du contrôle fiscal, dont le montant est parfois très significatif.

Il convient néanmoins d'y réfléchir à deux fois avant de prendre part à l'aventure ! Car en effet, dans sa forme actuelle, le texte comporte quelques limites. Par exemple, il ne vise pour l'heure qu'un accord sur la méthode de prix de transfert utilisée, là où la volonté des contribuables tendrait davantage à sécuriser le niveau de marge attribuable à l'entité marocaine. La note circulaire n°724 du 23 janvier 2015 peut à cet égard paraître rassurante, dans la mesure où elle précise que les prix pratiqués dans le cadre des transactions intragroupes ne feront pas l'objet d'une rectification au titre des bénéfices indirectement transférés, mais la conclusion du même paragraphe, qui réitère le fait que la garantie porte sur la non remise en cause de la méthode de détermination des prix, ne fait qu'ajouter de l'incertitude quant aux réels avantages qu'il est possible de tirer de l'opération. En effet, il ne faut pas confondre méthode de détermination et niveau de marge.

De plus, le dispositif n'est envisagé que de manière unilatérale, c'est à dire sans concertation aucune avec les autres administrations fiscales concernées (et ce, malgré les récentes avancées en matière de procédures de coopération). Autrement dit, rien ne garantit que l'administration des impôts dont dépend la contrepartie à la transaction suive la position retenue dans l'APP marocain. Le risque de rehaussement de la base taxable n'est donc pas éliminé au niveau du groupe.

Enfin, n'oublions pas que vouloir négocier ses prix de transfert suppose de dévoiler volontairement sa politique de prix de transfert à l'administration fiscale. Des risques liés à une telle démarche ont déjà pu être identifiés par le passé dans d'autres pays. Car, en effet, quid de la situation en cas de désaccord d'interprétation ? Le contribuable ne risque-t-il pas le déclenchement d'un contrôle fiscal, assorti de pénalités pour mauvaise foi (l'administration ayant implicitement invalidé le montage du fait de l'échec des négociations) ?

En conclusion, un audit approfondi de la politique de prix de transfert appliquée par l'entité marocaine semble donc constituer un préalable indispensable pour tout contribuable désireux de se lancer dans un programme APP.


1 Acte juridique par lequel l'administration fiscale détermine, conformément aux dispositions en vigueur, comment la loi s'appliquera à une situation ou à une opération particulière qui n'a pas encore produit ses effets.

Auteurs

Marc Veuillot