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Compétence administrative en matière de Plan de Sauvegarde de l'Emploi (PSE)

Défense et illustration

19/07/2018

CA Versailles, 12 juillet 2018, n° 18-04069

Une société a engagé le 18 octobre 2017 une procédure de restructuration susceptible d’entraîner la suppression d'une centaine de postes. Cette procédure s’est traduite par un accord portant plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) signé par l’ensemble des organisations syndicales représentatives au sein de l'entreprise et validé par la Direccte.

Parallèlement à cette procédure de licenciement économique, la société a conduit la consultation annuelle sur les orientations stratégiques qui s’est déroulée du 26 octobre 2017 au 29 janvier 2018, le comité d’entreprise ayant recours à un expert. Arguant de l’insuffisance des informations transmises à l’expert, le comité central d’entreprise a saisi le juge des référés de Nanterre pour lui demander d’ordonner la communication à l'expert des informations demandées et la suspension de la procédure tant que la consultation sur les orientations stratégiques n’aura pas été achevée, le tout sous astreinte.

Par une ordonnance en date du 30 mai 2018, le juge des référés, estimant que le PSE est "une mesure d’application des orientations stratégiques", a ordonné la communication à l’expert des informations demandées et a "suspendu la procédure de PSE tant que la consultation sur les orientations stratégiques n’aura pas été achevée, ce, sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée".

Cette ordonnance, qui avait pour effet de paralyser la mise en œuvre d’un PSE approuvé par l’Administration, était entachée à la fois d’erreur de droit et d’incompétence :

  • d’une part, il n’y a aucun lien entre la consultation sur les orientations stratégiques et une procédure de PSE. C’est ce qu’ont jugé le tribunal de grande instance de Créteil et la cour d’appel de Paris qui ont estimé : le premier, "qu’aucune règle de droit positif n’oblige l’employeur à consulter le comité d’entreprise au titre des orientations stratégiques avant d’engager ou d’achever la consultation sur un projet ponctuel" et, la seconde, que "la consultation sur les orientations stratégiques est indépendante de toute consultation portant sur un projet ponctuel de réorganisation" (TGI Créteil, ord. réf., 5 juill. 2018, n° 18-00733 ; CA Paris, 3 mai 2018, n° 17-09307) ;
  • d’autre part et surtout, en suspendant un PSE approuvé par la Direccte, le juge judiciaire a méconnu de façon manifeste sa compétence puisque, depuis la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, la procédure de licenciement collectif pour motif économique, qui est soumise à l’approbation ou à l’homologation de la Direccte, fait l’objet d’un bloc de compétence relevant de la juridiction administrative. Ce bloc de compétence a été défini de façon précise et exhaustive par l’article L.1235-7-1 du Code du travail aux termes duquel : "l’accord collectif mentionné à l’article L.1233-24-1, le document élaboré par l’employeur mentionné à l’article L.1233-24-4, le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi, les décisions prises par l’administration au titre de l’article L.1233-57-5 et la régularité de la procédure de licenciement collectif ne peuvent faire l’objet d’un litige distinct de celui relatif à la décision de validation ou d’homologation mentionnée à l’article L.1233-57-4. Ces litiges relèvent de la compétence, en premier ressort, du tribunal administratif à l’exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux". La Cour de cassation a récemment réaffirmé ce bloc de compétence en ce qui concerne les informations fournies à l’expert (Cass. soc., 28 mars 2018, n° 15-21.372).

La société, défendue par notre cabinet, a donc fait appel de cette ordonnance devant la cour d’appel de Versailles et a continué à soulever l'incompétence du juge judiciaire et la compétence exclusive du juge administratif.

L’originalité de cette affaire tient aussi au fait que cette ordonnance portait une telle atteinte à la sécurité des procédures de licenciement que la délégation à l’emploi a décidé d’intervenir en utilisant la vieille procédure du déclinatoire de compétence prévue par l’article 13 de la loi du 24 mai 1872 relative au Tribunal des conflits et l’article 19 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015. Cette procédure permet à l’Administration, quand un juge judiciaire empiète sur la compétence de la juridiction administrative, de lui demander de décliner sa compétence. Si le juge refuse, le préfet "élève le conflit" devant le Tribunal des conflits qui tranche (on parle d'un conflit positif de compétences).

La juridiction saisie devant, dans cette hypothèse, "statuer sans délai", la cour d’appel de Versailles a fixé l’audience au 4 juillet 2018 et rendu son délibéré le 12 juillet 2018 pour un appel introduit le 11 juin 2018.

Dans son arrêt du 12 juillet 2018 (n° 18-04069), la Cour d’appel a déclaré la juridiction judiciaire incompétente pour connaître de la demande de suspension du PSE et a infirmé l’ordonnance de référé du tribunal de grande instance de Nanterre.

Sur la compétence, après avoir cité le texte de l’article L.1235-7-1 du Code du travail, elle en a déduit que "par suite échappent désormais à la juridiction judiciaire, les litiges limitativement énumérés par ce texte relatifs à l’accord collectif ou au document unilatéral établi par l’employeur, au contenu du plan, aux décisions de l’administration statuant sur les demandes d’injonction ou à la régularité de la procédure de licenciement collectif". Elle a donc déclaré le déclinatoire de compétences recevable et fondé, ainsi que la juridiction judiciaire incompétente pour connaître de la demande de suspension du PSE et de ses mesures d’application.

Sur le lien avec les orientations stratégiques, elle a jugé que "sous le couvert d’une violation de la procédure d’information–consultation sur les orientations stratégiques, dont le contrôle relève effectivement du juge judiciaire, le comité central d'entreprise forme une demande qui ne tend en réalité qu’à remettre en cause l’accord exécutoire validé par l’autorité administrative portant PSE et à en suspendre les effets". Ce faisant, elle a écarté tout lien entre la procédure de consultation sur les orientations stratégiques et la procédure de PSE, et toute possibilité d’extension de la compétence judiciaire sur ce fondement.

Cette affaire, qui constitue la première application dans ce domaine de la procédure du déclinatoire de compétence, montre l’utilité, pour les entreprises et leurs avocats, de cette procédure en cas de violation manifeste de sa compétence par le juge judiciaire :

  • c’est une procédure solennelle qui permet à l’Administration d’appeler l’attention du juge en cas d’incompétence manifeste ;
  • c’est une procédure simple et très efficace puisqu'elle permet d'obtenir dans un délai très rapide l'infirmation de l'ordonnance ou du jugement entaché d'incompétence.


A propos du Plan de Sauvegarde de L'emploi (PSE)

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