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La rupture conventionnelle : présentation et incertitudes

Guillume Bossy, Avocat Lyon - Christophe Girard, Juriste Lyon

26/01/2009

La rupture conventionnelle tant attendue afin de sécuriser la rupture du contrat de travail est enfin arrivée. Ce nouveau mode de rupture du contrat de travail appelle les observations suivantes dans l'attente des nécessaires précisions jurisprudentielles à venir, les premiers commentaires administratifs restant succincts1

1. Principes

Rappelons que la rupture d'un commun accord du contrat de travail existait déjà sur le fondement de l'article 1134 du Code civil. Toutefois, ce mode de rupture était peu utilisé essentiellement car il n'ouvrait pas droit à l'assurance chômage. Dorénavant, selon les dispositions de l'article L. 1237-11 du Code du travail, l'employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie. La rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l'une ou l'autre des parties.

Les deux intérêts principaux de cette rupture conventionnelle sont :

  • l'impossibilité pour le salarié de contester le motif de la rupture car il ne s'agit pas d'un licenciement. Toutefois, la rupture conventionnelle ne constitue pas une transaction et le salarié restera en droit de saisir la juridiction prud'homale, par exemple pour demander des rappels de salaires au titre d'heures supplémentaires
  • Le bénéfice de l'assurance chômage.

Avant la signature de la convention de rupture, la Loi a prévu lerespect de certaines étapes garantissant la liberté du consentement des parties et donc la validité de la convention.

2. Entretien préalable

La signature de la convention doit être précédée d'un ou plusieurs entretiens. L'exigence minimale prévue par la loi est donc la tenue d'un entretien.Toutefois, pour assurer la parfaite démonstration du consentement libre et éclairé du salarié, il peut s'avérer nécessaire de prévoir d'autres entretiens permettant de laisser un temps de réflexion supplémentaire au salarié et éviter qu'il ne revienne sur son accord pendant le délai de rétraction.

2.1. Assistance du salarié

Au cours du ou des entretiens, le salarié peut se faire assister par un salarié de la société, si celle-ci dispose de représentants du personnel. Si tel n'est pas le cas, un doute existe quant à la compréhension de cette faculté d'assistance. Une interprétation du texte pourrait laisser penser que dans cette hypothèse le salarié ne pourrait être assisté que par un conseiller extérieur. Une autre interprétation, qui s'inspirerait de la procédure de licenciement, signifierait au contraire que le salarié pourrait se faire assister selon son choix par un salarié de la société, ou par un conseiller extérieur.

2.2. Assistance de l'employeur

L'employeur ne peut se faire assister que si le salarié est lui-même assisté. Pour ce faire, le salarié doit en informer l'employeur avant la tenue de l'entretien. Si l'employeur souhaite une assistance, il en informe également le salarié. Dans les sociétés de 50 salariés et plus, l'employeur peut se faire assister par n'importe quel salarié de la société. Dans les entreprises de moins de 50 salariés, l'employeur peut se faire assister par n'importe quel salarié de la société, ou par une personne appartenant à son organisation syndicale d'employeurs, ou par un autre employeur relevant de la même branche.

2.3. Nécessité de la remise d'une convocation préalable à l'entretien ?

La nécessité d'une convocation n'est pas prévue. Toutefois, pour que l'employeur puisse établir qu'il a respecté ses obligations préalables d'information, il parait utile qu'il adresse au salarié une convocation pour le ou les entretiens. A ce titre, l'Accord National Interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2008, étendu par arrêté du 23 juillet 2008, précise que "la liberté de consentement des parties est garantie [...] par l'information du salarié de la possibilité qui lui est ouverte de prendre les contacts nécessaires, notamment auprès du service public de l'emploi [...]2".

Si le salarié doit être informé de cette faculté, la question se pose de savoir qui est le débiteur de cette obligation. L'autre partie à la négociation de cette convention étant l'employeur, il est légitime de penser que ce dernier doit assurer l'information du salarié. La remise d'un écrit au salarié en prémices des négociations lui rappelant les modalités de sa possible assistance et de l'information qu'il devra donner à l'employeur permettrait d'assurer cette information.

3. La convention de la rupture

Outre sa signature par les deux parties et un contenu minimum, la convention est soumise à un délai de rétractation et à l'obligation d'être homologuée par le Directeur Départemental du Travail (DDTEFP), dont relève l'établissement où est employé le salarié3.

3.1. Contenu

L'ANI évoquait un "formulaire-type". Le Code du travail fait quant à lui référence à "la convention de rupture" et précise que "la demande d'homologation" fait l'objet d'un modèle défini par arrêté du Ministre chargé du travail. Or, le contenu de ce modèle de demande d'homologation ressemble à une convention de rupture, même s'il s'avère à notre sens insuffisant en pratique et rend ainsi nécessaire la rédaction d'une convention particulière. A ce titre, la circulaire administrative précise que "si besoin est, des feuillets peuvent être adjoints au formulaire et doivent alors rappeler l'identité de chaque intervenant, être datés et signés."

Le Ministère4 a confirmé la possibilité de rédiger une convention particulière. Selon le Code du travail, la convention de rupture définit les conditions de celleci, notamment le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle et la date de la rupture du contrat. Elle doit également selon nous faire ressortir la liberté de consentement des parties.

3.1.1. Indemnité spécifique de rupture conventionnelle

Le montant de cette indemnité ne peut pas être inférieur à celui de l'indemnité légale de licenciement5. Le régime social et fiscal de cette indemnité est aligné sur celui prévu pour les indemnités de licenciement. En outre, cette indemnité sera également exonérée de CSG et de CRDS dans la limite du montant de l'indemnité légale ou conventionnelle de licenciement6.

3.1.2. Date de la rupture du contrat de travail

La convention fixe la date de rupture du contrat, qui ne peut intervenir avant le lendemain du jour de l'homologation7. Sous cette réserve, les parties sont donc libres de fixer la date de rupture qu'elles souhaitent. La question se pose quant à la situation du salarié pendant cette période : peut-il être dispensé de l'exécution de son travail ? Il est possible de penser que la convention pourrait prévoir d'un commun accord une dispense d'activité (rémunérée ou non) dans l'attente de l'homologation.

3.1.3. Faire ressortir la liberté de consentement des parties

La rédaction de cette convention doit impérativement faire ressortir les conditions de la négociation intervenue, et ce afin de permettre à l'autorité administrative de constater la liberté du consentement du salarié. A défaut, l'homologation pourrait être refusée. Il s'agit d'un point essentiel pour que le processus ne soit pas bloqué ultérieurement.

3.2. Délai de rétractation

À compter de la date de sa signature par les deux parties, chacune d'entre elles dispose d'un délai de 15 jours calendaires pour exercer son droit de rétractation8. Ce droit est exercé sous la forme d'une lettre adressée par tout moyen attestant de sa date de réception par l'autre partie. La mise en oeuvre du délai de rétraction empêcherait alors l'entrée en vigueur de la convention. Selon l'article R. 1231-1 du Code du travail (applicable à la rupture conventionnelle), lorsque les délais prévus par le Titre III relatif à la rupture du CDI expirent normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé, ils sont prorogés jusqu'au premier jour ouvrable suivant.

3.3. Demande d'homologation

À l'issue du délai de rétractation, la partie la plus diligente adresse une demande d'homologation au DDTEFP, avec un exemplaire de la convention de rupture9 .Celui-ci dispose d'un délai d'instruction de 15 jours ouvrables, à compter de la réception de la demande, pour s'assurer du respect des conditions prévues par le Code du travail et de la liberté de consentement des parties. À défaut de notification dans ce délai, l'homologation est réputée acquise et l'autorité administrative est dessaisie.

4. Transaction

La convention de rupture ne constitue pas une transaction. Si elle limite les risques contentieux s'agissant du motif de la rupture du contrat, elle n'empêche nullement un salarié de saisir le Conseil de prud'hommes afin, par exemple, de solliciter des rappels de salaires ou de faire annuler la convention en invoquant un vice de forme ou du consentement. Ainsi, dans certains cas, la signature d'une transaction, en plus de la convention de rupture, pourrait s'avérer opportune pour sécuriser totalement la rupture du contrat. L'articulation entre la convention de rupture et une transaction n'est pas encore définie.

Toutefois, une transposition de la jurisprudence actuelle sur les conditions de validité d'une transaction conduirait à penser que la transaction ne pourrait intervenir qu'après la rupture du contrat, c'est-à-dire au plus tôt le lendemain du jour de l'homologation.

Gageons que sur ce point, comme sur un certain nombre d'autres, la jurisprudence aura un rôle important à jouer pour préciser le droit de la rupture conventionnelle du contrat de travail.

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1 Circulaire DGT du 22 juillet 2008
2 Article 12
3 Circulaire DGT du 22 juillet 2008
4 Intérrogé par nos soins
5 Article L. 1237-13 al. 1 du Code du travail
6 Article L. 136-2 II 5° du Code de la sécurité sociale
7 Article L. 1237-13 al. 2 du Code du travail
8 Article L. 1237-13 al. 3 du Code du travail
9 Article L. 1237-14 al. 1 du Code du travail

Article paru dans la revue Décideurs n°99 de novembre 2008

Auteurs

Guillaume Bossy
Avocat CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon - Christophe Girard
Juriste CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon