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Le renforcement des mesures en faveur de l'emploi des seniors

Pierre Bonneau, Avocat

16/12/2008

Les entreprises sont en première ligne de l'action gouvernementale en faveur de l'emploi des seniors. La fin prochaine des mises à la retraite ou encore l'augmentation de certains prélèvements vont contraindre les employeurs à devoir modifier profondément leurs pratiques à l'égard de cette catégorie de salariés. Rappel des principales dispositions en vigueur et des mesures attendues.

L'objectif assigné lors du Conseil européen de Stockholm de mars 2001 d'un taux d'emploi des travailleurs âgés de 55 à 64 ans de 50% à l'horizon 2010 peine à être atteint. Selon les statistiques Eurostat, ce taux s'élevait en 2007 en France à 38,3% tandis qu'il était de 44,7% dans l'Union européenne, la France s'illustrant ainsi parmi les 10 derniers pays en la matière. Des dispositions éparses ont déjà été prises dans la perspective de 2010 notamment à travers la réforme des retraites en 20031, la création du CDD senior2 et la suppression de la contribution Delalande3.

Des progrès ont été notés puisque le taux d'emploi des 55-64 ans a augmenté de 6,5 points entre 2000 et 2005. Cependant les mérites des réformes quant à cette hausse doivent être relativisés. Le Conseil d'orientation des retraites met en avant dans son cinquième rapport4 une hausse mécanique due au passage des générations issues du baby-boom dans la tranche des 55-59 ans qui serait à l'origine de plus de la moitié de la hausse du taux d'emploi des seniors. Ces résultats insuffisants ont conduit le gouvernement à accroitre la mobilisation en faveur de l'emploi des seniors laquelle se traduit principalement par une demande de mobilisation plus soutenue des partenaires sociaux sur cette question, la suppression des mises à la retraite et la hausse des prélèvements sociaux sur les préretraites.

1. Le dispositif déjà institués en faveur des seniors

Des réformes ont été engagées autour de deux axes afin de favoriser le maintien dans l'emploi des seniors : la hausse des prélèvements sociaux sur les indemnités de mise à la retraite et allocations de préretraites et l'abandon progressif des mises à la retraite avant 65 ans.

Les restrictions au départ des salariés avant 65 ans

La mise à la retraite d'office avait dans un premier temps été réformée par la loi du 21 août 2003 qui avait posé comme principe que le salarié mis à la retraite devait être âgé d'au moins 65 ans. Plusieurs tempéraments avaient cependant été apportés à cette règle dont la possibilité, largement exploitée, d'abaisser ce seuil à 60 ans par la conclusion d'un accord de branche, cet accord devant déterminer des contreparties en termes d'emploi ou de formation professionnelle.

Ce mécanisme s'étant révélé inefficace du fait de l'utilisation intensive des dérogations ouvertes par le législateur, celui-ci est intervenu5 et a fermé la possibilité de signer ou d'étendre un accord collectif prévoyant la mise à la retraite d'office avant 65 ans. Les accords étendus avant le 23 décembre 2006 continuent de produire leurs effets jusqu'au 31 décembre 2009. Mis en place en 2006 pour compenser ces restrictions à la mise à la retraite, le mécanisme du départ à la retraite « d'un commun accord » entre 60 et 65 ans auquel était appliqué un régime de faveur a pour sa part été abrogé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 20086.

L'autre angle d'attaque utilisé par le gouvernement pour atteindre les objectifs européens en matière de taux d'emploi des seniors consiste dans la hausse des prélèvements sur l'ensemble des dispositifs conduisant les seniors à sortir du marché du travail.

Une pression financière sur les mises à la retraite et les préretraites de droit... ou de fait

Concernant la mise à la retraite, l'article 16 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 a créé un nouvel article dans le Code de la sécurité sociale, l'article L. 137-12, lequel institue une contribution patronale sur les indemnités de mise à la retraite et ce, quel que soit l'âge du salarié mis à la retraite. Le taux de cette contribution qui doit être versée à la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés s'élève à titre transitoire à 25% sur les indemnités versées du 11 octobre 2007 au 31 décembre 2008 puis à 50% à compter du 1er janvier 2009.

Autre hausse des prélèvements sociaux prévue par l'article 16 de la loi de financement : le taux de la contribution sur les avantages de préretraites d'entreprise a été porté de 24,15% à 50%. La loi de modernisation du marché du travail donne une dernière illustration de cette tendance à écarter désormais tout régime social de faveur pour les mesures conduisant les seniors à quitter le marché du travail : alors que le régime social de l'indemnité versée lors de la rupture conventionnelle du contrat de travail est en principe le même que celui de l'indemnité de licenciement, il en est autrement pour les salariés en droit de bénéficier d'un régime de retraite légalement obligatoire. Pour ces derniers en effet l'indemnité est totalement assujettie.

Enfin et dans un autre domaine, l'on notera les modifications législatives intervenues afin de finaliser la transposition en droit français des directives communautaires relatives à la prohibition des discrimination à raison de l'âge, lesquelles de fait concernent prioritairement les seniors. En particulier la nouvelle rédaction de l'article 225-3 du Code pénal (§3° nouveau) encadre en matière d'embauche la possibilité de "justifier" la discrimination à raison de l'âge sous la double condition, laissée à l'appréciation du juge, que la différence de traitement « constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée ».

2. Les réformes annoncées par le gouvernement

Parmi les mesures retenues par le gouvernement à l'issue de la concertation avec les partenaires sociaux dans le cadre du rendez-vous 2008 sur les retraites, certaines visent tout particulièrement les entreprises.

L'absence de mesures conventionnelles en faveur des seniors sanctionnée financièrement

En premier lieu, il serait institué à partir de 2010 une cotisation additionnelle à l'assurance vieillesse à la charge des entreprises dès lors que celles-ci ne seraient pas couvertes par un accord d'entreprise pour les entreprises de plus de 300 salariés, de branche ou d'entreprise pour celles de moins de 300 salariés sur la gestion des âges et l'emploi des seniors7. Un cahier des charges minimal auquel devront répondre ces accords conclus pour une durée de trois ans et comportant des objectifs chiffrés, sera fixé par voie réglementaire. Un ensemble de dispositions relatives au tutorat, au recrutement des seniors, aux conditions de travail, et à l'aménagement des fins de carrière devrait figurer, de même qu'une analyse démographique de l'entreprise ou de la branche et des objectifs chiffrés.

La fin des mises à la retraite

A la limitation initiale du recours à la mise à la retraite, amorcée par la loi du 21 août 2003 et renforcée par les lois de financement de la sécurité sociale pour 2007 et 2008, succéderait la suppression de ce dispositif quel que soit l'âge du salarié et ce, dès le 1er janvier 2010. Cette décision va concrètement conduire les entreprises à ne plus pouvoir décider de la date de départ à la retraite de leurs salariés. Celle-ci résultera donc de la seule volonté des intéressés... ou de la médecine du travail à l'occasion des visites d'aptitude au poste occupé. Afin que les entreprises ne soient pas tentées de trouver une alternative via notamment des licenciements négociés, le gouvernement envisage d'harmoniser le régime social et fiscal des indemnités de rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur et des indemnités de rupture conventionnelle. De plus les dispenses de recherche d'emploi des salariés percevant les allocations d'assurance chômage devraient être supprimées avec, dans un premier temps, le relèvement de l'âge de dispense de recherche d'emploi puis, dans un second temps, la suppression des entrées en dispense de recherche d'emploi en 2012. Ces mesures sont donc de nature à constituer un obstacle sérieux aux négociations de départ des salariés âgés qui jusqu'alors étaient souvent qualifiées de « préretraites-assedic ». Enfin, il convient de relever que le gouvernement a prévu comme pendant à ces mesures des dispositions de nature à inciter les seniors à travailler par l'assouplissement du cumul emploi-retraite et l'augmentation du taux de la surcote.

La nécessaire mise en place d'une politique de gestion de l'emploi des seniors

Les développements qui précèdent conduisent au constat de l'impérieuse nécessité pour les entreprises de repenser la place qu'elles entendent réserver aux seniors. Privées bientôt des instruments qui leur permettaient de maîtriser partiellement leur pyramide des âges, elles vont désormais devoir bâtir en amont des politiques de ressources humaines permettant le maintien à leur emploi de salariés âgés, tout en restant attentives aux problématiques de pénibilité et d'adaptation à l'emploi. Jusque là relativement peu exploitée, l'obligation triennale de négociation sur la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences qui doit notamment porter sur « les conditions de retour et de maintien dans l'emploi des salariés âgés et de leur accès à la formation professionnelle »8 peut à cet égard constituer, dans l'attente de l'entrée en vigueur de la nouvelle obligation de négocier, un instrument fort utile pour tenter d'anticiper ces évolutions réglementaires et, surtout, pour veiller à l'adéquation de leurs ressources humaines avec les besoins futurs de leurs activités.

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1 Loi n°2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites.
2 Décret n°2006-170 du 28 août 2006 transposant l'article 17 de l'accord national interprofessionnel du 13 octobre 2005 relatif à l'emploi des seniors en vue de promouvoir leur maintien et leur retour à l'emploi.
3 Loi n°2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social.
4 Cinquième rapport du Conseil d'orientation des retraites, 21 novembre 2007, www.cor-retraites.fr.
5 Loi n°2006-1640 du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007.
6 Loi n°2007-1786 du 19 décembre 2007.
7 Des modalités seront étudiées afin que les entreprises de moins de 300 salariés qui ne sont pas en mesure de signer de tels accords ne soient pas pénalisées, mais qu'elles puissent pour autant être associées à l'effort collectif en faveur de l'emploi des seniors.
8 Article L. 2242-19 du Code du Travail.

Article paru dans la revue Décideurs Octobre 2008

Auteurs

Pierre Bonneau
Avocat