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Régimes de retraite complémentaire obligatoires. Les enjeux de l'entreprise en restructuration

16/12/2005

Je rappellerai simplement à cet égard que l'article L. 122-12 s'applique, selon la formule jurisprudentielle désormais consacrée, en cas de "transfert d'une entité économique autonome dont l'identité est maintenue ou conservée" (Cass. ass. plén., 16 mars 1990). Trois conditions cumulatives sont donc requises pour le maintien des contrats de travail. D'abord, l'opération doit concerner une "entité économique autonome", définie par la Cour de Cassation comme "un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre" (Cass. soc., 7 juillet 1998).

Une telle entité pourra être caractérisée par exemple par l'existence d'un personnel et de biens dédiés à l'activité en cause. Ensuite, l'entité ainsi définie doit faire l'objet d'un "transfert".

La Cour de Cassation exige, le plus souvent, que des éléments d'actifs, corporels ou incorporels, passent d'un exploitant à l'autre. Enfin, l'entité transférée doit conserver son identité chez le nouvel exploitant. Tel ne sera pas le cas si celle-ci se trouve démembrée (Cass. soc., 7 mai 2003), regroupée avec une entité existante ou si elle se poursuit dans des conditions différentes de celles dans lesquelles elle était exercée avant le transfert. Dès lors que les conditions d'application de l'article L. 122-12 sont réunies, le transfert des contrats de travail s'impose aussi bien aux employeurs successifs qu'au salarié.

Toutefois, les conséquences du transfert d'entreprise ne se limitent pas aux contrats de travail. Elles s'étendent en effet à tout le statut social, à savoir notamment au régime conventionnel à travers l'article L. 132-8 du Code du Travail (mise en cause des conventions collectives applicables), aux accords de participation et/ou d'intéressement (articles L. 442-17 et L. 441-7 Code du Travail) ou encore à la protection sociale des salariés. Dans ce dernier cas, en particulier, l'harmonisation des régimes obligatoires de retraite complémentaire soulève certaines difficultés, dès lors que se mélangent des populations à statut différent. Les conséquences peuvent, à cet égard, être significatives pour les salariés. Il est donc essentiel que les Directions des Ressources Humaines examinent ce dossier social en amont de l'opération juridique projetée, et ce pour éviter les situations de blocage. A titre liminaire, il faut noter que, depuis le 1er juillet 2002 et sous réserve de quelques spécificités, les règles applicables en cas de restructuration sont pratiquement les mêmes tant pour le régime AGIRC que pour le régime ARRCO1.

Ce rapprochement résulte de l'accord national du 10 février 2001 et de ses annexes, prévoyant notamment la mise en place de groupes de protection sociale communs2 et l'harmonisation des réglementations3.

Aussi, lors de la création d'une société, son affiliation aux institutions de retraite complémentaire obéit désormais à des règles précises de compétence territoriale et matérielle. Le choix des caisses n'est donc pas laissé à la libre décision de chaque adhérent mais dépend de la localisation géographique de la Société ou de son domaine d'activité professionnelle.

Même si, en principe, les entreprises sont liées à leurs caisses AGIRC et ARRCO pour la durée de leur existence, un changement d'institution ainsi qu'une modification du taux de cotisations applicable restent cependant possible (voire obligatoires) dans certaines hypothèses, limitativement énumérées par les textes AGIRC et ARRCO. Celles concernant plus spécifiquement les restructurations d'entreprise sont les opérations regroupées sous le vocable "fusion" 4, cette notion devant être appréciée largement. Elle englobe en effet aussi bien les "fusions d'entreprises" au sens juridique du terme que les "absorptions totales ou partielles d'une entreprise par une autre", voire même les cas de "cession d'un établissement" ou les transmissions universelles du patrimoine à l'associé unique. Ensuite, sont visées les prises de participation financière à hauteur d'au moins 34% du capital, à condition cependant que celles-ci s'accompagnent d'une modification des "conditions d'emploi" des salariés ainsi que les prises de participation réalisées par l'intermédiaire d'une filiale (c'est-à-dire les prises de participations "indirectes"). Puis viennent les prises en location-gérance sous certaines conditions 5.

Enfin la constitution d'un groupe économique d'entreprises, lorsqu' "une unité économique et sociale" est reconnue entre ces entreprises. A cet égard, les régimes de retraite complémentaire ont calqué la définition de l'unité économique et sociale sur celle existante en matière d'institutions représentatives du personnel. Cette unité économique et sociale doit dès lors être reconnue par un accord collectif ou une décision judiciaire.
La conséquence essentielle d'une restructuration est l'unification des taux de cotisation pratiqués au sein de la nouvelle entité. Le principe est en effet que chaque catégorie de salariés (cadres et non cadres) d'une société ne doit relever que d'un régime ARRCO et/ou AGIRC (au regard de la caisse et du taux).

Une telle harmonisation des régimes est obligatoire lorsqu'à la suite d'une "fusion" (au sens large), les entreprises en présence ne constituent plus qu'un seul "établissement". En d'autres termes, ce n'est donc que si l'entreprise peut démontrer qu'elle comprend plusieurs établissements qu'elle peut ne pas procéder à une adhésion unificatrice et garder, dans chaque établissement, les taux initialement retenus.

Un établissement distinct est défini dans les régimes AGIRC et ARRCO par trois critères cumulatifs : un isolement géographique ainsi que l'existence d'un personnel et d'une direction propres.

L'unification, quand elle s'impose, résulte théoriquement de l'adoption, au sein de l'entreprise, d'un taux moyen défini comme celui permettant "d'obtenir un volume de cotisations identique à la somme des cotisations versées antérieurement sur la base des anciens taux". Ce taux moyen est calculé sur la base des masses salariales constatées au cours du dernier exercice civil précédant la date d'effet de l'opération juridique en cause.

Ainsi, dans l'hypothèse d'une fusion, entre la société X, dont la masse salariale était de 1000, qui cotisait à l'ARRCO au taux contractuel de 6% (soit un taux d'appel de cotisations de 7,5%) sur la tranche A6, et la société Y, dont la masse salariale était de 800 et le taux contractuel de cotisation de 7%, le taux moyen pondéré de la société Z résultant de la fusion sera de (6% x 1000 + 8% x 800) / (1000 + 800), soit 6,88%.

L'harmonisation est donc, dans cette hypothèse, dite de "taux moyen pondéré" globalement "neutre", sur le plan financier, tant pour les sociétés que pour les caisses concernées. En revanche, les salariés voient bien évidemment leur précompte modifié, à la hausse ou à la baisse selon les cas. C'est pourquoi cet aspect est, en pratique, toujours le plus délicat à régler.

Ce calcul du taux moyen sur la tranche A doit être effectué globalement pour les participants cadres et non cadres. Toutefois, lorsque les entreprises en présence n'ont pas chacune adopté un taux de cotisation identique sur cette tranche pour l'ensemble de leurs salariés, le calcul du taux moyen sur la tranche A peut être réalisé séparément pour chaque catégorie.

Dans le régime ARRCO plus spécifiquement concerné par les problèmes d'harmonisation, le taux moyen sur les tranches A et B 7 doit, en principe, être arrondi au multiple de 0,05 supérieur au résultat du calcul (soit 6,90% dans l'exemple précédent). Par dérogation, la circulaire AGIRC-ARRCO du 2 mai 2005 admet cependant désormais un arrondi de 0,25% pour les entreprises souhaitant conserver un taux de cotisation supérieur au taux obligatoire qu'elles appliquaient avant le fait générateur.

Ainsi, dans l'exemple précité, si la société Y (taux de 7%) avait absorbé la société X (taux de 6%), la règle de l'arrondi à 0,25% lui permettrait de conserver son taux de 7%, au lieu d'appliquer le taux moyen pondéré de 6,88%.

Cela étant, et même en présence d'un seul et même établissement, il existe des exceptions au principe de l'unification des taux de cotisation de retraite complémentaire sur la base du taux moyen pondéré.

Les règles communes à l'AGIRC et à l'ARRCO précisent ainsi que si le taux moyen pondéré défini ci-dessus est supérieur au taux minimum prévu pour chaque tranche 8, l'harmonisation peut se faire sur la base de ce taux minimum.

Cet alignement "vers le bas" suppose, au regard des dispositions AGIRC-ARRCO, d'une part un accord au sein de l'entreprise, défini comme "un accord collectif ou un projet émanant de l'employeur et ayant fait l'objet d'une ratification à la majorité des intéressés" (accord ARRCO, art. 11) 9. Il implique d'autre part le versement d'une contribution destinée à maintenir les droits des salariés et anciens salariés.

En revanche et en sens inverse, l'alignement des taux sur la tranche A ne peut en aucun cas être accepté sur la base d'un taux supérieur au taux moyen.

Cette limitation risque, en conséquence, d'entraîner la perte d'un taux dérogatoire qui peut être un élément important du statut social de certains salariés.

C'est pourquoi, l'ARRCO (et non pas l'AGIRC) autorise la création d'un "groupe fermé", destiné à permettre à certains salariés présents dans les entreprises en cause lors de la restructuration de conserver leur ancien taux de cotisation lorsqu'il est supérieur au taux d'alignement 10. La constitution d'un tel groupe est toutefois subordonnée à l'accord de l'ARRCO.

Par ailleurs, l'entreprise en cause est alors tenue de verser à la caisse ARRCO dont elle relève une contribution, dite de maintien de droits et calculée de façon actuarielle, destinée à compenser la baisse des ressources futures comparées aux charges d'allocations découlant des droits déjà acquis. Cette contribution résultant d'un calcul viager, peut, selon notamment l'âge des salariés concernés, atteindre des montants variés, parfois nuls mais le plus souvent substantiels. Il est donc essentiel de se rapprocher des caisses compétentes pour faire réaliser ces calculs délicats au plus vite.

Enfin, lorsque le taux moyen pondéré ARRCO est supérieur à 6% sur la tranche A (ou 16% sur la tranche B), l'alignement sur le taux de 6%, pour tous les salariés, peut également intervenir sous forme de démission.

Ainsi, dans l'exemple précédent, la société Z déciderait de ne pas appliquer le taux moyen pondéré de 6,88% mais opterait pour un alignement sur le taux contractuel de 6%.

Une telle démission est subordonnée, soit à la conclusion d'un accord collectif avec les organisations syndicales, soit à un accord entre l'employeur et les deux tiers des actifs et allocataires issus des entreprises dont le taux était supérieur à 6% (ou 16%) avant la transformation. Tout comme la constitution d'un groupe fermé, la démission entraîne le versement d'une indemnité, calculée sur la fraction de taux sur laquelle porte la démission.

La démission entraîne de surcroît, malgré cette contribution, la suppression de droits. Elle est dès lors peu utilisée en pratique, d'autant qu'elle implique que les délégués syndicaux ou les intéressés eux-mêmes acceptent cette amputation des droits à retraite.

En dernier lieu, il m'apparaît important de rappeler que certains salariés peuvent cotiser au régime AGIRC, selon les modalités prévues à l'article 36 de la convention collective nationale du 14 mars 1947.

Cet article permet d'étendre à des collaborateurs non cadres, sous certaines conditions, l'application du régime AGIRC. Cette extension peut résulter d'une convention ou d'un accord collectif de retraite ou d'une ratification par la majorité des salariés d'un projet présenté par l'employeur.

Lorsqu'une restructuration aboutit au rapprochement d'au moins deux entreprises employant des salariés qui bénéficient des stipulations de l'article 36, une définition unique des populations concernées doit être adoptée.

Les Commissions Paritaires de l'ARRCO et de l'AGIRC ont admis très récemment qu'une entreprise puisse résilier en partie, voire en totalité, ses engagements au titre de l'article 36, sans qu'il soit désormais nécessaire de justifier d'un accroissement notable de ses charges mais sous réserve d'un accord avec leurs salariés ou leurs représentants 11.
Telles sont les options principales qui s'offrent à une société en cas de restructuration. La mise en place de la solution retenue doit alors être réalisée en respectant le formalisme qui s'impose.

Lorsque la Société opte pour un changement d'institution (sans caractère obligatoire), elle doit ainsi solliciter les caisses au plus tard le 31 décembre de l'année suivant celle durant laquelle a eu lieu le fait générateur de l'harmonisation du statut social 12.

Lorsque le changement d'institution est obligatoire, aucun texte ne fixe précisément le délai dans lequel l'entreprise doit accomplir les démarches qui lui incombent.

En pratique, l'adhésion unificatrice peut nécessiter plusieurs mois, en raison non seulement des délais de consultation des institutions représentatives du personnel mais aussi et surtout du temps nécessaire aux caisses pour procéder à l'étude du dossier.

En cas de demande tardive, il est assez rare que les entreprises souhaitent régulariser rétroactivement à la date de réalisation de l'opération juridique (pour des raisons de contraintes administratives). L'AGIRC et l'ARRCO préconisent alors une régularisation au 1er janvier de l'exercice au cours duquel la demande est formulée.

Que le changement d'institution soit obligatoire ou facultatif, l'information et la consultation préalables des représentants du personnel est une étape essentielle en application tant des dispositions propres au régime AGIRC/ARRCO que dans le cadre de l'article L. 432-1 du Code du travail.

De surcroît, et conformément aux circulaires AGIRC/ARRCO des 5 avril et 23 décembre 2002, lorsque la modification des conditions d'affiliation des participations est envisagée, l'entreprise en cause doit obtenir l'accord exprès des intéressés, soit, par l'organisation d'un référendum, soit par la conclusion d'un accord collectif avec les organisation syndicales.

Un tel accord n'est pas imposé par le régime AGIRC/ARRCO en cas d'application de la règle d'ordre général d'unification prévue par leurs accords, c'est-à-dire si le taux moyen est retenu. Il en va autrement en revanche lorsque l'entreprise envisage d'écarter l'application de cette règle du taux moyen pondéré (ex: alignement sur le taux contractuel, constitution d'un groupe fermé, résiliation totale ou partielle d'une extension sur le fondement de l'article 36...).

Cela tant, ces différentes situations pouvant entraîner une diminution de la rémunération nette des salariés et/ou des pertes de droit, elles conduisent aussi à s'interroger sur les obligations de l'employeur vis-à-vis du personnel concerné, notamment compte tenu des conditions de mise en place du régime (accord collectif, mention dans le contrat de travail, ....). Cet aspect des dossiers sociaux ne doit pas être négligé.

1
Cf. circulaire AGIRC-ARRCO du 5 avril 2002, complétée par la circulaire du 2 mai 2005.
2 Ainsi, tous les salariés non cadres (sur la totalité de leurs rémunérations) et les salariés cadres (sur la tranche A) sont affiliés à une ARRCO donnée ; tous les salariés cadres (sur les tranches B et C) sont pour leur part affiliés à l'institution AGIRC du même groupe. Le choix du groupe est déterminé soit en fonction du secteur professionnel auquel appartient l'entreprise soit, à défaut, en fonction de sa situation géographique.
3 Annexe n°1 du 26 mars 2001, articles 7 et 10 respectivement.
4 Cf. article 9 de l'annexe A de l'accord du 8 décembre 1961 pour l'ARRCO (modifié en dernier lieu par avenant du 7 juin 2005), article 57 de l'annexe I à la convention collective nationale du 14 mars 1947 pour l'AGIRC (modifié en dernier lieu par avenant du 7 juin 2005).
5 Lorsque la location gérance est un prélude à une fusion indiquée dans le contrat de location-gérance ou en cas d'accord du propriétaire du fonds.
6 Il s'agit de la fraction des rémunérations inférieure au plafond de la Sécurité sociale.
7 Il s'agit de la fraction des rémunérations comprise entre une et trois fois le plafond de la Sécurité sociale.
8 Soit 6% sur la tranche A et 16% sur les tranches B et C (celle-ci étant comprise entre 4 et 8 fois le plafond de la Sécurité sociale).
9 Cette notion n'est pas définie pour l'AGIRC.
10 Cf. article 14 de l'accord ARRCO du 8 décembre 1961.
11 Circulaire AGIRC/ARRCO du 2 mai 2005.
12 Accord du 8 décembre 1961 modifié, annexe A, article 9 et circulaire du 5 avril 2005.

Article paru dans la Revue Personnel n°463 d'octobre 2005


Authors:

Marie-Pierre Schramm, Avocat Associée