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Vers des réunions virtuelles avec les représentants du personnel ?

24/01/2012

Le recours à la visioconférence vient d'être admis, pour la première fois, par la Chambre sociale de la Cour de cassation pour la tenue d'une réunion du comité central d'entreprise. Toutefois, si on peut saluer l'ouverture de la Cour de cassation aux nouvelles technologies, les questions que l'arrêt laisse en suspens doivent inciter à la prudence dans l'utilisation de cette technique de communication

La visioconférence, qui permet à des individus de s'identifier et d'échanger alors qu'ils sont situés tout autour du globe, remporte un franc succès depuis plusieurs années. Les entreprises jugent cette technologie très avantageuse car elle permet de réaliser de significatives économies de temps et d'argent et même de réduire le bilan carbone. Déjà utilisée avec succès pour diverses réunions internes, la tentation était grande de recourir également à la visioconférence pour les réunions avec les représentants du personnel.

La visioconférence est déjà admise par le droit commercial et le droit pénal

Il faut souligner que le droit du travail est en retrait sur cette question par rapport à d'autres matières qui ont fait entrer la visioconférence dans le droit positif. Le droit commercial admet la tenue par visioconférence des réunions du conseil d'administration dans les sociétés anonymes(1). De même, le droit pénal(2) autorise l'utilisation de « moyens de télécommunications garantissant la confidentialité de la transmission » pour réaliser l'audition du prévenu.

La Cour de cassation vient de valider son recours pour le comité central d'entreprise

Le code du travail, quant à lui, ne contient aucune précision quant au lieu où les réunions des institutions représentatives du personnel se déroulent. Cela laisse donc le champ libre à l'interprétation. Dans un arrêt du 9 septembre 2010, le Conseil d'Etat a ouvert une brèche dans le droit du travail en admettant la régularité d'un vote relatif au licenciement d'un salarié protégé, exprimé à bulletin secret, tenu lors d'une réunion par visioconférence des membres du comité d'entreprise. La Cour de cassation s est prononcée à son tour sur la question, et pour la première fois, dans un arrêt du 26 octobre 2011. Elle valide le recours à la visioconférence dans le cadre des réunions du comité central d entreprise dès lors qu'aucun participant ne s'y oppose er que les débats n'impliquent pas un vote à bulletin secret.

Trois points principaux sont à relever dans cetre décision.

En premier lieu, la Haute Juridiction n'exige aucun formalisme particulier, contrairement à ce qui a été prévu par le législateur pour les réunions des conseils d'administration dans les sociétés anonymes. On recommandera néanmoins en pratique d'organiser le recours à la visioconférence par un accord ou le règlement intérieur du comité pour limiter les contestations.

En deuxième lieu, contrairement à la juridiction administrative, la Cour de cassation réserve le recours à la visioconférence aux seules questions impliquant un vote à main levée. Cependant, force est de constater que cette limite ne devrait pas être un obstacle en pratique. En effet, le secret du vote n'est imposé que dans trois cas strictement limités (le licenciement d'un représentant élu du personnel ou syndical(3), la nomination et le licenciement d'un médecin du travail(4) et l'élection des membres du comité central d'entreprise(5)). À cet égard, les membres du comité pourraient prévoir dans le règlement intérieur la mise en place d'un vote élccrronique, qui garantirait le secret du scrutin et permettrait ainsi la tenue de toutes les réunions par visioconférence.

En troisième lieu, la Cour exige qu'aucun participant ne se soit opposé à la tenue de la réunion par visioconférence. Cette condition est très restrictive et ne manquera pas de créer des situations de blocage.

Tout d'abord, on peut regretter l'emploi du terme « participant » qui laisse aussi bien la possibilité à un titulaire avec voix délibérative qu'à un simple participant doté d'une voix consultative de faire échec à la tenue de la réunion.

Ensuite, l'exigence d'unanimité, certainement justifiée pour la Cour par le caracrère dérogatoire de ce mode de réunion, est contestable tant d'un point de vue juridique qu'en opportunité, le refus d'un seul participant pouvant empêcher l'utilisation de la visioconférence. Dans ce contexte, il aurait paru plus légitime d'exiger soit un accord majoritaire, soit un accord du secrétaire du comité d'entreprise.

Enfin, la Cour ne précise pas à quel moment le refus doit être exprimé. Or, en pratique, afin d'éviter un effet dilatoire évident, dans le cadre de négociations ou de restructurations par exemple, il faudrait exclure que le refus puisse être invoqué lors de la réunion mais exiger au contraire qu'il soit notifié au plus tard au moment de la convocation à ladite réunion.

On constate donc que la Cour de cassation laisse subsister une réelle insécurité juridique qui risque de fragiliser le recours à la visioconférence.

Le recours à la visioconférence peut être étendu aux autres représentants du personnel

L'affaire qui a donné lieu à l'arrêt du 26 octobre 2011 concernait le comité central d'entreprise. On peut donc se demander si le recours à la visioconférence est possible pour les réunions ordinaires et extraordinaires des autres instances représentatives du personnel. À l'instar des dispositions relatives au comité central d'entreprise, les règles qui s'appliquent aux comité d'entreprise, comité de groupe, comité d'entreprise européen et au CHSCT ne contiennent aucune précision quant au lieu où les réunions desdites institutions se déroulent. Dès lors, la solution adoptée par la Cour de cassation devrait ainsi leur être transposable. De même, en l'absence de toute distinction entre les réunions, le recours à la visioconférence paraît être ouvert tant pour les réunions ordinaires qu'extraordinaires, la visioconférence nous semble toutefois devoir être réservée aux instances qui regroupent des personnes de plusieurs sites, éloignées les unes des autres et dont les déplacem
ents représentent un certain temps.

En conclusion, la jurisprudence doit encore préciser les conditions dans lesquelles la visioconférence peut être mise en oeuvre pour que celle-ci puisse constituer un outil véritablement efficace et incontestable. À cet égard, il faut souhaiter que la Cour de cassation prenne acte des progrès pratiques que permet un usage raisonnable de la visioconférence et renonce à exiger l'unanimité pour y recourir.

  1. article L. 225-37 du code de commerce
  2. article 706-71 du code de procédure pénale
  3. articles R. 242 1-9 du code du travail
  4. articles R. 4623-14 et 4623-21 du code du travail
  5. Cass. soc. 9 juin 1998

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Nicolas de Sevin
Ludovique Clavreul
avocat