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Franchiseurs : prenez garde lors de la communication de vos comptes prévisionnels !

Ils peuvent entraîner la nullité du contrat de franchise pour erreur sur la rentabilité économique

09/12/2020

Dans un arrêt du 10 juin 2020, la Chambre commerciale de la Cour de cassation réaffirme sa position en matière de franchise et d’erreur sur la rentabilité économique en confirmant la nullité du contrat pour erreur.

Les faits

Désireux d’ouvrir un magasin de chocolats, deux anciens commerçants, l’un exploitant d’un garage et l’autre gérant d’une pizzeria, se rapprochent d’une célèbre enseigne, tête de réseau de plusieurs magasins de vente de chocolats, et signent un contrat de franchise en 2011. Malheureusement, l’aventure est de courte durée et leur société est rapidement placée en liquidation judiciaire.

Les franchisés assignent le franchiseur en nullité du contrat de franchise pour vice du consentement en arguant notamment :

  • de l’absence de communication de l’état du marché local ;
  • de la communication de prévisionnels mensongers ; ainsi que
  • du loyer excessif de leur local.

Le Tribunal de commerce saisi fait droit à leur demande et prononce la nullité du contrat de franchise pour erreur (TC Meaux, 8 mars 2016, n° 2014010813). Le franchiseur interjette appel mais la solution est confirmée par la cour d’appel de Paris (CA Paris, 23 mai 2018, n° 16/07307).

L’origine de l’erreur : la communication de prévisionnels exagérément optimistes et le choix d’un local d’exploitation inadapté et onéreux

Les juges du fond rappellent que le franchiseur qui décide de remettre un compte d’exploitation prévisionnel au candidat à la franchise doit s’assurer que les informations communiquées sont sincères et vérifiables. Or, au cas d’espèce, les comptes prévisionnels se sont révélés exagérément optimistes, "l’écart entre les prévisionnels et les chiffres réalisés par le franchisé dépassant la marge d’erreur inhérente à toute donnée de nature prévisionnelle" provoquant ainsi pour les franchisés, "novices dans le secteur économique concerné, une erreur sur la rentabilité de leur activité".

Quant au choix du local, la Cour d’appel relève que "l’inadaptation de l’emplacement, la trop grande superficie et le caractère excessif du loyer, trop élevé pour garantir aux franchisés un taux de rentabilité minimale, ont été déterminants pour le consentement du franchisé, car ils portent sur la substance même du contrat de franchise, pour lequel l’espérance de gain est déterminante". Notons toutefois que, selon la Cour d’appel, la mauvaise appréciation du franchiseur quant au choix du local n’induit pas en soi un vice de consentement mais est de nature à renforcer la portée des informations erronées sur les prévisionnels et l’absence de communication du marché local.

Le franchiseur forme un pourvoi en cassation contre cette décision et oppose des stipulations contractuelles aux termes desquelles le franchisé déclarait avoir conscience que le prévisionnel communiqué ne permettait d’élaborer que des hypothèses chiffrées sans garantie de résultat et qu’un décalage même important entre ces données et la réalité ne pourrait constituer un motif de remise en cause de l’engagement contractuel du franchisé.

De telles stipulations contractuelles s’avèrent sans effet pour la Cour de cassation qui se retranche derrière le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond pour approuver la nullité du contrat de franchise pour erreur (Cass. com., 10 juin 2020, n° 18-21.536).

L’erreur sur la rentabilité économique en principe indifférente…

S’il peut exister une multitude d’erreurs possibles, le droit français n’en sanctionne que deux : l’erreur sur les qualités essentielles de la prestation due et l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant (article 1132 du Code civil).

S’agissant de l’erreur sur les qualités essentielles de la prestation due, l’article 1133 du Code civil précise qu’il s’agit des qualités "expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté". Pour être retenue, l’erreur sur ces qualités doit avoir été déterminante du consentement.

L’erreur sur la valeur est en principe considérée comme indifférente. Par conséquent, l’erreur sur la rentabilité économique, qui n’est autre qu’une forme d’erreur sur la valeur, n’est en principe pas prise en compte par les juges pour annuler un contrat (Cass. 3e civ., 31 mars 2005, n° 03-20.096 ; Cass. 2e civ., 8 octobre 2009, n° 08-18.928). Cette solution est aujourd’hui codifiée à l’article 1136 du Code civil.

… mais admise en matière de franchise.

Au cas d’espèce, la Cour de cassation retient la nullité du contrat de franchise pour erreur sur la rentabilité de l’activité des franchisés.

En réalité, cette solution n’est pas surprenante et s’inscrit dans une certaine continuité jurisprudentielle amorcée depuis un arrêt du 4 octobre 2011 : dans cet arrêt, alors que le franchisé demandait la nullité du contrat pour erreur sur la rentabilité en s’appuyant sur la différence importante entre les chiffres prévisionnels établis par le franchiseur et les résultats réels de son activité, la Cour de cassation cassa l’arrêt d’appel qui avait rejeté cette demande au motif que les juges du fond auraient dû rechercher si le consentement du franchisé avait été déterminé par une erreur substantielle sur la rentabilité de l’activité entreprise (Cass. com., 4 octobre 2011, n° 10-20.956). Dans un autre arrêt, la Haute juridiction a retenu la nullité du contrat de franchise car les chiffres prévisionnels contenus dans le document d’information précontractuel fourni par le franchiseur étaient exagérément optimistes au regard de l’écart très important qu’ils présentaient avec le chiffre d’activité effectivement réalisé par le franchisé, "ces données portant sur la substance même du contrat de franchise, pour lequel l’espérance de gain est déterminante" (Cass.com., 12 juin 2012, n° 11-19.047). Ce dernier argument est d’ailleurs repris dans notre arrêt, la Cour de cassation énonçant à nouveau que "l’espérance de gain est un élément déterminant du contrat de franchise".

Si l’erreur sur la rentabilité, normalement indifférente, est admise en matière de franchise c’est notamment parce que la rentabilité est un élément clef de toute opération de franchise. En effet, les spécificités du contrat de franchise justifient que la rentabilité soit un élément essentiel du contrat, le franchisé étant intéressé par l’image du franchiseur et la rentabilité déjà acquise à ce dernier.

On notera toutefois que dans un arrêt récent, la Cour de cassation semble avoir exclu toute erreur sur la rentabilité d’une franchise dès lors qu’elle ne procède pas de données établies et communiquées par le franchiseur (Cass.com., 24 juin 2020, n° 18-15.249).

L’erreur inexcusable au secours des franchiseurs

L’erreur sur la rentabilité économique pourra être paralysée lorsque le franchisé aura été négligent dans l’exercice de son activité ou pourra être qualifié de professionnel averti, l’erreur devenant alors inexcusable.

En l’espèce, en relevant que les franchisés étaient "novices dans le secteur économique concerné", la Cour de cassation affirme de manière implicite que leur erreur était excusable.

A titre d’exemple, un contrat de franchise ne peut être annulé lorsque le franchisé a une expérience professionnelle dans le secteur visé par la franchise (Cass. com., 10 décembre 2013, n° 12-23.115) ou lorsqu’il est démontré que la disproportion entre les résultats envisagés et ceux obtenus sont imputables à l’activité de ce franchisé (Cass. com., 5 janvier 2016, n° 14-11.624).

En pratique

La communication de comptes prévisionnels par le franchiseur est source de contentieux et doit donc être mûrement réfléchie. En cas de nullité pour vice du consentement, le franchiseur devra procéder à la restitution de l’intégralité des sommes reçues dans le cadre du contrat de franchise (droits d’entrée, redevances, etc.) et éventuellement payer des dommages et intérêts à son franchisé.

En définitive, on ne pourra que recommander aux franchiseurs d’être prudents lors de l’établissement de prévisionnels.


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