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« Couples mixtes » ou de l’impact de la globalisation sur la fiscalité des ménages

22/07/2010

De plus en plus de couples mariés sont confrontés aujourd’hui à la mobilité internationale. Cette mobilité peut concerner les deux époux, ce qui pose certes des questions, mais qui est une situation moins complexe que celle où un seul des époux se déplace à l’étranger et devient non-résident de France.


Les praticiens ont baptisé « couple mixte » le couple composé d’un résident de France et d’un époux ou d’une épouse non-résident.

De telles situations sont devenues fréquentes. Elles soulèvent la question de la détermination de la résidence d’un époux travaillant à l’étranger alors que l’autre époux (et le cas échéant leurs enfants) demeure en France, tâche qui n’est pas toujours aisée, comme le montre la jurisprudence abondante rendue en la matière.

Mais déterminer la résidence du couple n’est que la moitié du chemin. Restent à définir ensuite les modalités d’imposition, ce qui pose un certain nombre de questions, aux solutions pour l’heure incertaines.

1. Détermination de la résidence de chacun des époux


1.1. Principes

Il résulte de la doctrine administrative que, la résidence fiscale devant être appréciée au niveau de chaque époux(1). l'un des époux peut être résident de France alors que l’autre ne l’est pas(2).

Dans un couple mixte, au regard du seul droit interne français, les deux époux sont habituellement considérés comme résidents de France, dès lors qu’ils y auront tous deux leur foyer (lieu où réside la famille)(3) . Ce sont les conventions fiscales conclues par la France qui trancheront ensuite le point de savoir si l’époux travaillant à l’étranger doit être considéré comme résident d’un autre pays. Les critères conventionnels successifs de détermination de résidence sont :

  • foyer d’habitation permanent (lieu où le contribuable dispose d’un logement) ;
  • centre des intérêts vitaux (économiques et personnels) ;
  • séjour habituel ;
  • nationalité.

Dans les couples mixtes, le critère qui peut être appliqué utilement afin de fixer la résidence de l’un des époux hors de France est le centre des intérêts vitaux(4).

Sans convention fiscale, il n’y aura souvent pas de couple mixte : l’époux travaillant dans l’Etat non-conventionné sera considéré comme résident de France en raison de ses liens familiaux et sera imposable en France sur ses revenus de source étrangère (avec un risque de double imposition). Toutefois, ce principe pourrait aujourd’hui connaître des exceptions, comme l’illustre la récente jurisprudence du Conseil d’Etat.

1.2. Illustrations jurisprudentielles

Deux arrêts récents illustrent la diversité des situations et l’attachement du juge fiscal aux faits de chaque affaire (qu’il semble privilégier ou combine à la situation juridique pure du contribuable) afin de se prononcer sur la résidence mixte d’un couple marié. Ces arrêts ont pour particularité de statuer sur le seul fondement du droit interne français, sans recourir aux conventions fiscales.

Dans la première affaire(5), un contribuable, séparé de biens, travaillait et résidait en Grèce, son épouse et les enfants majeurs résidant en France. L’intéressé disposait d’un patrimoine non productif de revenus en France et de revenus professionnels grecs. Le fisc a estimé que sa résidence fiscale était en France. Le Conseil d’Etat a considéré qu’en l’absence de revenus français et en présence d’importants revenus en Grèce, le centre des intérêts économiques n’est pas qualifié en France. Le foyer n’était pas plus caractérisé en France dès lors que les enfants de l’intéressé sont majeurs et que son épouse vit en concubinage notoire avec un tiers.

Dans la seconde espèce, en direct prolongement de l’arrêt précité, un contribuable marié exerçant son activité professionnelle au Zimbabwe a été considéré comme ayant son centre des intérêt familiaux dans ce pays dès lors qu’il établit qu’il vit au Zimbabwe en concubinage et qu’il ne se rend dans la demeure familiale en France, où réside son épouse, qu‘épisodiquement, les enfants majeurs ne résidant en outre pas avec leur mère. Le Conseil d’Etat juge comme sans incidence le fait que les époux agissaient de concert pour la gestion des intérêts patrimoniaux communs(6).

Les deux arrêts sont des cas extrêmes dans lesquels la dissolution du lien conjugal est évidente. Il est raisonnable de supposer que les critères conventionnels garderont toute leur utilité dans les hypothèses de familles plus unies.

2. Modalités d’imposition à l’impôt sur le revenu(7)


2.1. Déclaration commune ou séparée ?

Hors cas de séparation officielle (divorce, séparation de corps), les époux sont soumis à une imposition commune sauf lorsqu’ils sont séparés de biens et ne vivent pas sous le même toit (quelle qu’en soit la raison).

Dès lors, au regard du texte, dans un couple mixte, la déclaration suit le régime matrimonial :

  • communauté de biens = déclaration commune ;
  • séparation de biens = déclaration séparée.

Une décision isolée brouille les cartes : des époux communs en biens peuvent être imposés séparément, lorsqu’ils ont des domiciles fiscaux distincts(8). Elle mériterait d’être confirmée. En attendant, il n’est pas exclu que le fisc continue à exiger des déclarations communes des époux résidant dans des pays différents.

2.2. Assiette d’imposition

Vient ensuite la question de savoir ce que les époux déclarent, l’époux résident de France étant imposable sur ses revenus mondiaux (sous réserve des conventions fiscales), alors l’époux non-résident ne l’est que sur ses revenus français.

Le cas de couples séparés en biens et ne vivant pas sous le même toit est le plus simple : chaque époux dépose une déclaration et y déclare ses revenus propres.

Pour les couples communs en biens, la difficulté provient du fait que les revenus sont des biens communs. Ainsi, en théorie, 50% des revenus étrangers de l’époux non-résident devraient être déclarés en France par l’époux résident (avec un crédit d’impôt ou avec l’application du « taux effectif »). D’autre part, 50% des revenus français de l’époux non-résident doivent être déclarés en France par l’époux résident et 50% par le non-résident lui-même.

Cela ne va pas sans complications : comment prélever des retenues à la source sur 50% des revenus français revenant à l’époux non-résident ? Comment calculer un minimum d’imposition (20%) sur les seuls revenus revenant à l’époux non-résident ? L’exercice est difficile alors qu’une seule déclaration est déposée.

Une solution pragmatique consisterait à ce que chacun des époux commun en biens ne déclare que ses revenus personnels. La doctrine administrative ne semble pas l’interdire, dès lors qu’elle commente les règles d’imposition applicables aux non-résidents, sans faire de distinction, pour les couples mixtes, selon le régime matrimonial. En effet, elle indique simplement que ces règles s’appliquent aux « revenus du conjoint non-domicilié(9) » . Tel n’est cependant pas l’avis de certains agents du fisc, qui entendent bien tenir compte des revenus de l’époux non-résident pour les besoins de l’impôt français, comme en témoignent des contentieux en cours.


2.3. Calcul du quotient familial

En cas d’imposition séparée, chacun des époux est considéré comme célibataire. Ainsi, le fisc refuse de prendre en compte pour le quotient familial la part du conjoint non-résident déposant une déclaration séparée. L’époux résident de France pourrait peut-être déduire une pension alimentaire versée au conjoint non-résident. L’inverse n’est pas possible.

Pour les couples communs en biens, la jurisprudence autorise la prise en compte de la part du conjoint non-résident pour le calcul du quotient familial(10).

Lorsque les époux sont imposés séparément, chacun d’eux est considéré comme ayant à sa charge les enfants dont il assume à titre principal l’entretien.

Conclusion

Le « couple mixte » est un sujet factuel qui laisse une part belle au contentieux, ce qui n'est pas approprié au regard du patrimoine familial, lieu où la sécurité est essentielle.

La position de l’administration est fluctuante et parfois casuistique. Force est de constater que, autant les décisions du juge suprême permettent de dégager certains principes, autant les services fiscaux ont à leur disposition une jurisprudence de première instance et en appel suffisamment variée pour que le contribuable ne dispose pas de la stabilité voulue. Mais ce même arsenal jurisprudentiel permet aux praticiens d’y puiser des décisions « à la décharge » des contribuables, alimentant à leur tour un contentieux déjà fort abondant et qui, espérons-le, contribuera, comme cela a été le cas par le passé, à éclaircir progressivement les zones d’ombre de ce vaste sujet.


(1) DB 5 7 n°6 du 1/08/2001

(2) DB 5 B 1121 du 1/09/1999

(3) Les autres critères de résidence sont l’exercice d’une activité professionnelle à titre principal et le centre des intérêts économiques (art. 4 B CGI).

(4) En ce sens, rép. min. de Villiers AN 21/09/1998 ; CAA Lyon 10/07/1992 Van Kleef

(5) CE 27/01/2010, n°294784, Caporal

(6) CE 12/03/2010 n°311121, Gerschel

(7) La situation des couples mixtes au regard de l’ISF est plus simple mais ne va pas elle-même sans quelques difficultés pratiques, que nous n’aborderons toutefois pas ici.

(8) TA Dijon 28/04/1992 n°881.110

(9) DB 5 B 7123 du 1/08/2001, n°2

(10) CE 19/01/1998 n°126 809, Lamonica


Pierre-Jean Douvier, avocat associé
Xenia Lordkipanidzé, avocat

Chronique parue dans la revue Option Finance le 31 mai 2010

Auteurs

Portrait dePierre-Jean Douvier
Pierre-Jean Douvier
Associé
Paris
Xénia Lordkipanidzé