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Barème d'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse

Vers l'apaisement ?

08/11/2019

Après l'avis de la Cour de cassation en date du 17 juillet 2019, qui a admis la conformité objective de l'article L.1235-3 du Code du travail à l'article 10 de la Convention internationale n° 158 sur le licenciement de l'Organisation internationale du travail (OIT), et après l'arrêt de la cour d'appel de Reims du 25 septembre 2019, qui a ouvert la voie à un contrôle de proportionnalité "in concreto" systématique, la cour d'appel de Paris vient de prendre une position de principe par l'arrêt du 30 octobre 2019.

Cet arrêt est intéressant à double titre :

  • d'une part, il procède à un contrôle de conventionnalité particulièrement complet ;
  • d'autre part, contrairement à l'arrêt de la cour d'appel de Reims, il semble fermer la porte à un contrôle de conventionnalité "in concreto".

► L'arrêt examine, en premier lieu, la conformité de l’article L.1235–3 du Code du travail avec toute une série d'engagements internationaux 

  • Les articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme : en ce qui concerne l'article 6 relatif au droit à un procès équitable, la Cour rappelle que cet article ne peut s'appliquer aux limitations matérielles  d'un droit consacré par la législation interne ; en ce qui concerne l'article 13 relatif au droit à un recours effectif, elle estime que les dispositions de l'article L.1235–3 du Code du travail n'y portent pas atteinte.
  • En ce qui concerne l'article 24 de la Charte sociale européenne, qui reconnaît "le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée", la Cour juge, comme l'a fait la Cour de cassation, que ces stipulations ne sont pas d'effet direct en droit interne. Elle en tire une conclusion intéressante : "les décisions du comité européen des droits sociaux ne peuvent être utilement invoquées par l’appelant et les parties intervenantes pour voir écarter les dispositions de l'article L.1235–3 du Code du travail". Cette affirmation vient utilement rappeler que, contrairement aux confusions savamment entretenues, le comité européen des droits sociaux n’a aucun caractère juridictionnel et constitue un organe administratif.
  • En ce qui concerne les articles 20, 21 et 30 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la Cour estime que les dispositions de l'article L.1235–3 n'y portent pas atteinte, qu'il s’agisse du principe d'égalité (article 20), de l'interdiction de toute discrimination (article 21) ou de la protection contre tout licenciement injustifié (article 30).
  • En ce qui concerne les articles 4, 9 et 10 de la Convention n° 158 de l'OIT, relatifs respectivement au motif valable du licenciement, à la procédure de recours contre le licenciement et au droit à une "indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée", la Cour estime qu'ils sont d'application directe en droit interne. Elle juge que "la mise en place d’un barème n’est pas en soi contraire aux textes visés (...), imposant aux Etats, en cas de licenciement injustifié, de garantir au salarié une indemnité adéquate ou une réparation appropriée, le juge français dans le cadre des montants minimaux et maximaux édictes sur la base de l’ancienneté du salarié et de l’effectif de l’entreprise, gardant une marge d’appréciation".

► La Cour semble écarter, en second lieu, l'exercice d'un contrôle de conventionnalité "in concreto" dans l'application du barème

Dans un arrêt antérieur, en date du 18 septembre 2019, la cour d'appel de Paris, après avoir reconnu la conventionnalité "in abstracto" de l'article L.1235–3 du Code du travail, avait cependant réservé une possibilité de "déroger au barème règlementaire".

La première question qui se pose est donc de savoir si l'on est en présence d'une divergence de deux chambres du pôle social de la cour d'appel de Paris, la chambre 3 auteur de l'arrêt du 18 septembre 2019 et la chambre 8 auteur de l'arrêt du 30 octobre 2019.

Nous ne le pensons pas pour trois raisons :

  • d'abord, une telle divergence sur un sujet aussi sensible révélerait un grave dysfonctionnement de la juridiction, qui paraît peu vraisemblable ;
  • ensuite, l'arrêt du 30 octobre 2019 est très motivé alors que celui du 18 septembre 2019 était lapidaire ;
  • enfin et surtout, l'arrêt du 30 octobre 2019 est accompagné d'un communiqué de presse intitulé "la cour d’appel de Paris applique les dispositions relatives au barème de l'indemnisation de licenciement" qui montre bien que ce jugement engage toute la juridiction.

Sur la portée exacte de l’arrêt, il convient de souligner que l'arrêt ne fait aucune allusion d'aucune sorte au contrôle de conventionnalité "in concreto".

Dans la mesure où ce contrôle n'est exercé que si le requérant le demande, comme l'a rappelé dans son arrêt la cour d'appel de Reims, on peut se demander si cette rédaction n'est pas seulement liée à l'absence de demande d'exercice du contrôle "in concreto".

Nous ne le pensons pas pour deux raisons :

  • en premier lieu, l'arrêt relève que "les dispositions de l’article L.1235–3 du Code du travail laissent subsister entre une limite minimale et une limite maximale exprimées en mois de salaire brut – en l’espèce entre 3 et 13,5 mois – un pouvoir d’appréciation à la juridiction du fond, de telle sorte que l’indemnisation réponde à la situation particulière du salarié, dans la prise en compte de critères autres que l’ancienneté, tels l’âge, la situation de famille, la difficulté à retrouver un emploi… " ;
  • le communiqué est encore plus clair : "la cour a estimé enfin que ces dispositions laissent subsister un pouvoir d’appréciation au juge entre une limite minimale et une limite maximale exprimées en mois de salaire brut, de telle sorte que l’indemnisation puisse répondre à la situation particulière du salarié par la prise en compte de critères autre que l’ancienneté".

En d'autres termes, la Cour d’appel a clairement affirmé la possibilité pour le juge, dans le cadre du barème, de tenir compte de la situation particulière du salarié. Or, celle-ci est la justification essentielle du contrôle de proportionnalité qui, si l'on suit ce raisonnement, perd sa raison d'être.

De façon plus globale, on peut d'ailleurs considérer qu'il y a une contradiction entre reconnaître la conventionnalité objective du barème par rapport aux textes internationaux et ne pas l'appliquer dans le cadre d'un contrôle de conventionnalité "in concreto".

La voie ouverte par la cour d'appel de Paris peut permettre l'apaisement de ce débat à rebondissements multiples : la balle est maintenant dans le camp de la chambre sociale de la Cour de cassation.


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