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La dénonciation des agissements de harcèlement moral ou sexuel au travail

Une protection limitée au salarié de bonne foi

26/10/2019

La dénonciation de faits de harcèlement (moral ou sexuel) a pris ces dernières années une dimension particulière. La parole se libère, les hashtags #MeToo, #BalanceTonPorc fleurissent sur les réseaux sociaux et les affaires judiciaires en lien avec des faits de harcèlement explosent.

Les relations de travail n’échappent pas à ce phénomène. Régies par des rapports de subordination, elles sont malheureusement trop souvent le terrain d’expression de comportements abusifs pouvant être qualifiés de harcèlement.

Afin de favoriser l'identification de ces agissements et assurer l'effectivité des dispositions légales les réprimant, le Code du travail comprend un certain nombre de dispositions protectrices tendant à encourager les salariés à dénoncer des faits de harcèlement.

Néanmoins, parce qu'une telle dénonciation jette l'opprobre sur les personnes désignées (employeurs ou salariés, de bonne ou mauvaise foi), celles-ci n'hésitent pas à se défendre par tous les moyens et parfois à agir en justice estimant que les faits qui leur sont imputés sont mensongers ou diffamatoires.

Dès lors, il convient d'assurer un certain équilibre entre les droits du dénonciateur et de la personne accusée dont les intérêts sont a priori contradictoires.

Une protection étendue du salarié dénonçant des agissements de harcèlement

Le législateur a institué un ensemble de dispositions destinées à protéger le salarié (témoin ou victime) qui serait amené à dénoncer de faits de harcèlement (moral ou sexuel).

Le Code du travail reconnait d'abord un droit d'alerte et de retrait pour tout salarié qui a « un motif légitime de penser » qu'une situation de travail « présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé » (Code du travail, art. L.4131-1).

Si ce texte ne vise pas directement le harcèlement, la jurisprudence a reconnu son application à une telle situation dès lors que le harcèlement peut avoir un effet sur la santé physique ou mentale des salariés.

Ensuite, afin d'éviter toute mesure de rétorsion qui pourrait être prononcée à l'encontre des salariés dénonçant des faits de harcèlement, la législation sociale prohibe tous les actes pouvant constituer un frein à leur liberté de résistance, de plainte ou d'expression (Code du travail, art. L.1152-2 et L.1153-3).

La forme de la dénonciation importe peu (courrier, email, déclarations), le salarié doit toutefois avoir expressément qualifié les faits de harcèlement pour pouvoir bénéficier de la protection (Cass. soc., 13 sept. 2017, n° 15-23.045).

Ainsi, toute sanction disciplinaire, licenciement ou mesure discriminatoire prononcés à l'encontre de ces salariés encourt la nullité. La seule mention dans la lettre de licenciement des allégations de harcèlement formulées par le salarié a pour effet de rendre le licenciement nul, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres motifs justifiant la rupture du contrat de travail (Cass. soc., 21 mars 2018, n° 16-24.350).

Enfin, le salarié qui dénonce des faits de harcèlement bénéficie à ce titre d'un aménagement de la charge de la preuve. Ainsi, il n'a pas à établir la preuve du harcèlement mais doit seulement présenter « des éléments de fait laissant supposer son existence », à charge pour l'employeur de prouver que les agissements en cause « ne sont pas constitutifs d'un harcèlement » (Code du travail, art. L.1154-1).

Ce régime probatoire favorable s'oppose d'ailleurs à ce que le salarié soit poursuivi sur le fondement de la diffamation (Cass. 1e civ., 28 septembre 2016, n° 15-21.823). La diffamation étant constituée par « toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération », elle est réputée faite avec l'intention de nuire, c’est-à-dire de mauvaise foi.

Or cette présomption n'est pas compatible avec la présomption de bonne foi du dénonciateur de faits de harcèlement, dont le droit est protégé par la loi.

Il ressort de ces textes que tout salarié dispose d'un véritable « droit de dénoncer » les agissements de harcèlement moral ou sexuel dont il estime être victime ou témoin. Dès lors, le rapport entre les droits du dénonciateur et de la personne accusée peut sembler déséquilibré.

Néanmoins, la protection accordée à l’auteur d’une dénonciation de faits de harcèlement n’est pas absolue.

Moyens d’action du salarié accusé à tort

S’il est indiscutable que tout salarié victime ou témoin de harcèlement doit bénéficier d’un dispositif protecteur, il n’en demeure pas moins que certains salariés mal intentionnés n'hésitent pas à exploiter ce régime de faveur pour se livrer à de fausses accusations de harcèlement et ainsi tenter de faire échec à un licenciement ou à une mesure disciplinaire dont ils se savaient menacés.

Si un licenciement prononcé pour des faits totalement étrangers à la dénonciation de harcèlement reste possible, l’existence d’une telle accusation place nécessairement l’employeur dans une situation risquée compte tenu des sanctions qu’il encourt si les juridictions considéraient la mesure comme étant en réalité motivée par la dénonciation du salarié.

Il est donc indispensable de réagir en présence d’une telle accusation afin, le cas échéant, d’être en mesure d’en démontrer le caractère infondé avant de procéder au licenciement.

En outre, pour contrer d’éventuelles manœuvres abusives, sans pour autant réduire le droit de dénonciation à néant, le législateur est venu préciser que la protection est subordonnée à la bonne foi du salarié, la preuve de sa mauvaise foi étant de nature à lui faire perdre le bénéfice des dispositions protectrices.

La mauvaise foi peut uniquement résulter de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce (Cass. soc., 7 févr. 2012, n° 10-18.035), elle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis (Cass. soc., 27 oct. 2010, n° 08-44.446).

Elle est en revanche caractérisée lorsque le salarié dénonce de façon mensongère des faits inexistants de harcèlement moral dans le but de déstabiliser l'entreprise et de se débarrasser de son supérieur hiérarchique (Cass. soc., 6 juin 2012 n° 10-28.345 ; voir aussi Cass. soc., 22 janv. 2014 n° 12-28.711).

On constate que la mauvaise foi du salarié est souvent motivée par un esprit de revanche, une volonté de nuire à la vie privée, familiale ou à la réputation de la personne concernée.

Ainsi, la mauvaise foi a pu être caractérisée à l’encontre d’une salariée ayant proféré de fausses accusations de harcèlement sexuel envers son supérieur hiérarchique marié, après que les relations intimes, qu’ils avaient entretenues, se sont distendues, ce qui avait fait naître chez la salariée un vif ressentiment (CA Chambéry, 26 mai 2009, n° 08-2461).

Est aussi de mauvaise foi, le salarié donnant à son représentant l'adresse du domicile familial de son supérieur hiérarchique pour qu'il lui envoie un courrier rédigé sur un ton menaçant et rapportant ses dires, pour une large part inexacts, prenant ainsi le risque délibéré de mettre en cause la vie familiale du supérieur accusé à tort et de nuire à sa santé (CA Dijon, 4 nov. 2010, n° 10-79, soc., B. c/ SNC Papeterie de Dijon).

De même, les accusations générales, imprécises, manifestement exagérées et sorties de leur contexte ou totalement contradictoires formulées par un salarié à l’encontre de son employeur par courrier puis par voie de presse, sont également susceptibles de caractériser la mauvaise foi (Cass. soc., 5 juill. 2018, n° 17-17.485).

Notons enfin que la mauvaise foi peut aussi se déduire des fonctions du salarié. Ainsi, un salarié qui dénonce un harcèlement moral, en se fondant sur un courrier factice (signature manifestement scannée, logo anormalement positionné) que lui aurait prétendument adressé son employeur, alors qu'un simple examen du document était suffisant pour lui permettre de mettre en doute son authenticité compte tenu de ses fonctions de secrétaire, a pu permettre d’établir sa mauvaise foi (Cass. soc., 7 fév. 2018, n° 16-19.594).

Lorsque la mauvaise foi est patente, le comportement du salarié peut justifier son licenciement pour faute grave (Cass. soc., 6 juin 2012, n° 10-28.345) voire pour faute lourde (Cass. soc., 5 juill. 2018, n° 17-17.485).

Au-delà d’une éventuelle sanction disciplinaire, le salarié de mauvaise foi s'expose à des poursuites pénales sur le fondement de la dénonciation calomnieuse (Cass. 1e civ., 28 sept. 2016, n° 15-21.823).

La dénonciation calomnieuse consiste à dénoncer un fait que l'on sait totalement ou partiellement inexact et qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires contre une personne déterminée. La mauvaise foi est donc nécessaire à la caractérisation de l'infraction de dénonciation calomnieuse. Ce délit, prévu à l'article 226-10 du Code pénal, est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Le rapport entre les droits du dénonciateur et de la personne accusée tend donc à se rééquilibrer mais suppose que la mauvaise foi du salarié soit démontrée.

Rappelons enfin que s'il est acquis que l'employeur ne peut prendre aucune mesure défavorable à l'égard de son salarié de bonne foi, ce statut protecteur ne s'impose qu'à l'employeur et ne concerne que la relation régie par le Code du travail. Dès lors, les accusations de harcèlement qui pourraient être formulées à l'encontre d'une personne extérieure à la relation de travail ne bénéficient d'aucun régime protecteur et sont susceptibles de poursuites notamment sur le fondement de la diffamation. C’est d’ailleurs en ce sens que le TGI de Paris vient de se prononcer à l'encontre de l'instigatrice du très médiatique #BalanceTonPorc, condamnée sur le fondement de la diffamation (TGI Paris, 25 sept. 2019, n° 18/00402).

Article paru dans Les Echos Exécutives le 25 octobre 2019


Harcèlement moral et sexuel au travail

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