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Le barème d'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse : le feuilleton continue !

Barème Macron : la résistance des juges du fond.

04/10/2019

Le barème d'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse a fait son entrée dans notre ordre juridique par l'ordonnance n° 2017–1387 du 22 septembre 2017, ratifiée par la loi n° 2018–217 du 29 mars 2018. L'idée est de faciliter l'embauche, en renforçant la prévisibilité des conséquences qui s'attachent à la rupture du contrat de travail.

Dès l'origine, la compatibilité de cette disposition avec l'article 24 de la Charte sociale européenne et l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT), qui prévoient, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le versement "d'une indemnité adéquate ou tout autre forme de réparation considérée comme appropriée", a été contestée.

La Cour de cassation a jugé, d'une part, qu'eu égard à l'importance de la marge d'appréciation laissée aux parties contractantes, l'article 24 de la Charte sociale européenne n'a pas d’effet direct en droit interne.

Elle a estimé, d'autre part, que, compte tenu de la marge d'appréciation laissée par l'article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT aux États parties et du fait que le barème est écarté en cas de nullité du licenciement, "les dispositions de l’article L.1235–3 du Code du travail, qui prévoient notamment, pour un salarié ayant une année complète d'ancienneté dans une entreprise employant au moins 11 salariés, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un montant minimal d'un mois de salaire brut et un montant maximal de deux mois de salaire brut, sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT".

On aurait pu penser que cet avis, rendu par la plus haute juridiction du pays en formation plénière, réglerait définitivement le problème.

Il n'en a rien été : certains conseils de prud'hommes continuent d'écarter l'application du barème en rappelant que les avis rendus ne lient pas les juridictions du fond (CPH Grenoble, 22 juill. 2019, n° 18/00267 ; CPH Le Havre, 10 sept. 2019, n° 18/00413). On peut se demander si, ce faisant, ils ne scient pas la branche sur laquelle ils sont assis dans la mesure où, dans un Etat de droit, les décisions des juridictions suprêmes s'imposent.

C'est dans ce contexte que les cours d'appel de Paris et de Reims devaient se prononcer le 25 septembre dernier sur la conventionnalité du barème. Si la cour d'appel de Paris a reporté le prononcé de son arrêt au 30 octobre 2019, celle de Reims, tout en reconnaissant la conventionnalité de l'article L.1235-3 du Code du travail, a rendu un arrêt ouvrant la porte à un contrôle de conventionnalité in concreto.

Elle a ainsi jugé, d'une part, "que le contrôle de conventionnalité exercé de façon objective et abstraite sur l'ensemble du dispositif, pris dans sa globalité, et non tranche par tranche, conduit à conclure, peu important la situation de [la salariée], à la conventionnalité de celui-ci".

Mais elle a jugé, d'autre part, "que le contrôle de conventionnalité ne dispense pas, en présence d'un dispositif jugé conventionnel, d'apprécier s’il ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits du salarié concerné, c'est-à-dire en lui imposant des charges démesurées par rapport au résultat recherché. La recherche de proportionnalité, entendue cette fois in concreto et non in abstracto, doit toutefois avoir été demandée par le salarié".

Cette décision ouvre ainsi à tout conseil de prud'hommes la possibilité d'écarter l'application du barème s'il estime qu'il porte une atteinte disproportionnée aux droits à indemnité du salarié.

Ce type de contrôle in concreto introduit dans notre droit le concept d'équité, hérité de la Common Law : si la loi conduit à une solution que le juge estime inéquitable, le juge se reconnaît le pouvoir de ne pas appliquer la loi. Il conduit à des problèmes complexes d'égalité devant la loi : si le juge écarte l'application de la loi pour Pierre mais l'applique pour Paul, comment justifier sa décision ? Enfin, en ouvrant la possibilité de juger un litige indépendamment de la loi, cette jurisprudence porte directement atteinte à la compétence et aux prérogatives du Parlement.

C'est la raison pour laquelle le Conseil d'État, après l'avoir admis une fois (CE, Ass., 31 mai 2016, Mme Gonzalez, n° 396848), l'a écarté à deux reprises récemment :

  • pour l'application de l'article 1734 ter du Code général des impôts, qui a été déclaré conforme à la Constitution et compatible avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article premier du protocole additionnel à cette convention (CE, 4 déc. 2017, n° 379685) ;
  • pour un refus d'identification d'un donneur de gamètes, les règles d'accès à ces données n'étant pas incompatibles avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et la législation française répondant à plusieurs considérations d'intérêt général (CE, 28 déc. 2017, n° 396571).

La balle est maintenant dans le camp de la chambre sociale de la Cour de cassation. Elle n'a jamais exercé jusqu'ici de contrôle concret. Est-ce qu'elle considérera que le droit à une indemnisation adéquate de la convention n° 158 de l'OIT figure au rang des libertés fondamentales qui justifient un contrôle concret ? Si oui, quelles seront les circonstances de nature à justifier d'écarter le barème ? On le voit, le feuilleton ne fait que commencer !


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