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Portée des clauses de recommandation dans les accords de branche relatifs à la santé et prévoyance des salariés

Les précisions de la Cour de cassation

18/11/2019

Dans sa décision du 9 octobre 2019, la Cour de cassation, statuant sur plusieurs questions préjudicielles renvoyées par le Conseil d'Etat, a livré de premières précisions sur la validité de clauses de recommandation d'un organisme assureur prévues dans un accord de branche relatif à la mise en place d'un régime complémentaire de santé et de prévoyance. Ces clarifications jurisprudentielles sont particulièrement bienvenues en ce qu'elles permettent de consolider le régime juridique des clauses de recommandation qui ont remplacé les clauses de désignation censurées en 2013 par le Conseil constitutionnel (Cass. soc., 9 oct. 2019, n° 18-13.314).

La loi du 14 juin 2013 a institué l'obligation, pour les organisations syndicales liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels, d'engager une négociation portant sur la mise en place d'une couverture collective obligatoire en matière de remboursements complémentaires de frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident (art. 1er, I, A, al. 1er de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013).

A défaut d'accord de branche ou d'entreprise, les entreprises sont tenues de faire bénéficier leurs salariés de cette couverture collective minimale par décision unilatérale de l'employeur (C. séc. soc., art. L.911-7, I).

Toutefois, le Conseil constitutionnel, saisi de la validité de ce texte, a jugé inconstitutionnelles les dispositions qui autorisaient l'insertion de clauses dites de désignation dans les accords professionnels ou interprofessionnels mettant en place des garanties collectives complémentaires à celles de la sécurité sociale (Cons. const. n° 2013-672 DC du 13 juin 2013). Ces clauses permettaient d'organiser une mutualisation des risques couverts par la désignation d'un organisme assureur auquel les entreprises relevant du champ d'application de ces accords devaient obligatoirement adhérer.

Par la suite, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 (loi n° 2013-1203 du 23 décembre 2013), tirant les conséquences de cette censure, a rendu possible l'insertion dans des accords de branche prévoyant la couverture de risques santé et prévoyance de clauses de recommandation d'un ou plusieurs organismes assureurs sous certaines conditions. Cette dernière disposition renvoie, pour ses modalités de mise en œuvre, à l'adoption de décrets en Conseil d'Etat.

Plusieurs branches professionnelles n'ont toutefois pas attendu la publication de toutes les dispositions règlementaires pour conclure de tels accords ou réviser leurs accords existants.

Tel était le cas, en l'espèce, de l'accord relatif à la couverture de frais de santé du personnel des entreprises de manutention ferroviaire et travaux connexes conclu le 29 juin 2015 qui organisait de surcroît une mutualisation du financement de prestations non obligatoires, notamment par un prélèvement de 2 % sur les cotisations versées à l'organisme recommandé, y compris pour les entreprises adhérentes et non adhérentes (depuis l'extension de cet accord) qui n'auraient pas choisi l'organisme recommandé.

Le Conseil d'Etat (CE, 17 mars 2017, n° 397137), saisi d'un recours en annulation de l'arrêté d'extension datant du 11 décembre 2015, avait sursis à statuer pour poser deux questions préjudicielles relatives au contenu de l'accord aux juridictions judiciaires compétentes :
la première visait à déterminer si le principe de la liberté contractuelle permet aux partenaires sociaux d'insérer dans un accord relatif à la complémentaire santé et à la prévoyance d'entreprise des stipulations qui ne sont pas directement prévues par une disposition légale ;
la seconde portait sur les conséquences, du point de vue de la validité de l'accord en cause, de l'absence d'une clause de réexamen périodique, rendue obligatoire par la loi dans tout accord recommandant un ou plusieurs organismes pour la couverture de risques en matière de complémentaire santé et de prévoyance.

Financement mutualisé de prestations non obligatoires et liberté contractuelle

L'article L.912-1, IV, du Code de la sécurité sociale renvoie, concernant la mutualisation du financement de certaines prestations "d'actions sociales", à un décret en Conseil d'Etat non encore intervenu au moment de la conclusion de l'accord du 29 juin 2015, puisqu'il n’a été publié que le 9 février 2017.

Les parties à cet accord ne disposaient, lors de la conclusion de l'accord, d'aucune disposition règlementaire fixant les conséquences de la recommandation d'un organisme assureur.

Le tribunal de grande instance (TGI) de Paris avait considéré que, dans ces circonstances, l'exercice par les partenaires sociaux de leur liberté contractuelle ne les autorisait pas à négocier un financement mutualisé de prestations non obligatoires auprès de l'organisme recommandé (TGI de Paris, 20 févr. 2018, n° 17/06349).

La Cour de cassation a écarté ce raisonnement au visa de l'article 6 du Code Civil prohibant les dérogations par contrat aux lois intéressant l'ordre public.

En effet, la Cour a relevé qu'aucune disposition d'ordre public n'interdisait aux partenaires sociaux de prévoir, par accord collectif, un système de mutualisation du financement et de la gestion de prestations de prévoyance sociale non obligatoires, même en l'absence de dispositions légales en ce sens.

En conséquence, l'accord du 29 juin 2015, applicable aux entreprises l'ayant signé et à celles adhérant à une organisation patronale représentative signataire de l’accord, n'était pas contraire à la liberté contractuelle.

Le décret n° 2017-162 du 9 février 2017 a depuis confirmé la possibilité pour les partenaires sociaux de prévoir un financement mutualisé pour ces garanties à caractère non directement contributif.

Il reviendra toutefois au Conseil d'Etat de tirer les conséquences de cette décision dans les prochains mois, lors de l'examen de la légalité de l'arrêté d'extension de l'accord en cause.

Conséquences du défaut de clause de réexamen quinquennal obligatoire dans l'accord collectif

Conformément à l'article L.912-1, III, du Code de la sécurité sociale, les accords professionnels ou interprofessionnels relatifs à la couverture santé et prévoyance des salariés comportant une clause de recommandation, doivent comporter une clause de réexamen de l'organisme recommandé selon une périodicité qui ne peut excéder cinq ans, à l'issue d'une procédure d'appel d'offre définie par décret.

Or, en l'espèce, une telle clause n'avait pas été prévue par les partenaires sociaux.

La Cour de cassation a confirmé l'analyse du TGI de Paris en considérant que "l'existence de cette clause [de réexamen] est une condition de validité d’accords dérogeant aux principes de libre concurrence et de liberté d’entreprendre".

La Cour de cassation rappelle donc clairement aux partenaires sociaux que la recommandation d'un organisme assureur permettant d'organiser une mutualisation du financement de prestations de prévoyance doit nécessairement s'accompagner d'une clause de réexamen quinquennale.

La sanction de l'absence d'une telle clause est sans appel : celle-ci entraîne l'illégalité de l'accord dans toutes ses dispositions et non pas seulement l'invalidité de la clause relative à la recommandation.

A cet égard, la Cour refuse de prendre en compte l'avenant conclu le 12 juillet 2016 en vue de procéder à la régularisation de l'accord que les syndicats invoquaient à l'appui de sa validité. Elle précise en effet que, en l'espèce, le TGI, "lié par la formulation de la question préjudicielle, ne pouvait statuer sur l’éventuelle régularisation ultérieure de l’accord par un avenant rectificatif".

Dans ces conditions, il n'est pas exclu qu'à l'occasion d'un autre contentieux n'ayant pas donné lieu à une telle question préjudicielle, les juridictions judiciaires puissent tenir compte de la conclusion d'un avenant rectificatif pour reconnaître la validité de l'accord. La prudence s'impose cependant en l'absence de confirmation jurisprudentielle.

En l'espèce, la décision de la Cour de cassation devrait conduire le Conseil d'Etat à annuler l'arrêté d'extension du 11 décembre 2015. Toutefois, les effets de cette annulation devraient être limités puisqu'au cas particulier un nouvel accord avait été conclu le 21 mars 2018 en remplacement de l'accord du 29 juin 2015 et de ses avenants, et étendu par arrêté du 3 octobre 2019.


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