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Rupture brutale des relations commerciales établies et reprise de l’activité par un tiers

De la nécessité de caractériser une commune intention des parties de poursuivre la relation

15/06/2021

En matière de rupture brutale des relations commerciales établies, la relation nouée avant un plan de cession ne saurait être prise en compte pour la détermination du délai de préavis à accorder, sauf à démontrer la "commune intention des parties" quant à la poursuite de celle-ci (Cass.com., 10 février 2021, n°19-15.369).

Les faits à l’origine du litige : la rupture d’une relation commerciale établie

Une société confie à un transporteur l’affrétement de ses marchandises en 2005 puis des prestations dites de "tournées" et de "locations exclusives" en 2011. En 2012, elle est placée en redressement judiciaire et un plan de cession est arrêté, organisant la reprise d’une partie de son fonds de commerce par un tiers cessionnaire.

Le 16 novembre 2012, le tiers cessionnaire et le transporteur concluent un accord relatif aux tarifs de transport. Des négociations s’ensuivent en 2013 et début 2014 mais finissent par échouer, le tiers cessionnaire refusant les conditions proposées par le transporteur.

En conséquence, par courrier en date du 1er août 2014, le tiers cessionnaire décide de mettre un terme à ses relations avec le transporteur pour les activités d’affrètement à compter du 5 septembre 2014. Puis, par courriel en date du 24 octobre 2014, il décide de mettre également fin aux activités dites de "tournées" et de "locations exclusives" à compter, respectivement, du 3 novembre et du 1er décembre 2014.

S’estimant victime d’une rupture brutale des relations commerciales établies, le transporteur assigne le cessionnaire devant le tribunal de commerce de Bordeaux en réparation de son préjudice.

La décision des juges du fond : l’absence de brutalité dans la rupture de la relation commerciale

Selon le transporteur, un préavis d’au minimum six mois aurait dû lui être octroyé eu égard à la durée de la relation commerciale. En effet, la relation commerciale en cause daterait de 2005, conformément à un arrêt de la cour d’appel de Paris du 20 mai 2014 ayant jugé que l’existence d’une relation commerciale perdurait avec le repreneur d’un fonds de commerce.

Après avoir rappelé les deux conditions cumulatives permettant l’application de l’article L.442-6, I 5° du Code de commerce (article L.442-1, II nouveau), à savoir (i) l’existence de relations commerciales établies et (ii) la brutalité de la rupture, les juges de première instance rejettent les arguments du transporteur et concluent à l’absence de rupture brutale des relations commerciales établies (T. com. Bordeaux, 4 novembre 2016, n° 2015F00977).

S’agissant de la durée de la relation commerciale, le Tribunal estime que, dès lors que le cessionnaire n’avait pas repris l’intégralité du fonds de commerce mais seulement une partie des actifs, la relation commerciale initiale des parties ne saurait avoir survécu au plan de cession et, en tout état de cause, à l’année 2005. Il en résulte que la nouvelle relation commerciale avait "seulement" duré deux ans et non 8 ans comme le soutenait le transporteur.

En outre, le Tribunal conclut à l’absence de brutalité de la rupture aux motifs que :

  • d’une part, les deux sociétés étaient en négociation tarifaire depuis plus d’un an, l’issue de celle-ci pouvant potentiellement affecter la poursuite des relations entre les parties, ce que ne pouvait ignorer le transporteur ; et
  • d’autre part, eu égard à la durée de la relation (2 ans) et à l’absence de toute dépendance, un préavis moyen d’un mois était suffisant.

Le transporteur interjette appel mais la cour d’appel de Paris confirme le jugement de première instance (CA Paris, 28 février 2012, n° 16/22931).

La décision de la Cour de cassation

Le transporteur forme un pourvoi en cassation. Réitérant sa position quant à la détermination de la durée de sa relation avec le tiers cessionnaire, le transporteur soutient, par ailleurs, que "lorsque les parties entretiennent plusieurs relations commerciales et que chacune d’entre elles fait l’objet d’une rupture distincte soumise à un préavis propre, il appartient au juge de rechercher, pour chacune des ruptures, si le préavis octroyé peut être considéré, au regard de la durée de la relation, comme suffisant".

Tout comme devant le Tribunal de commerce et la Cour d’appel, deux questions étaient alors posées à la Cour de cassation : quid de la durée de la relation commerciale en cas de reprise de l’activité par un tiers et quid de la durée du préavis à octroyer ?

  • La détermination de la durée de la relation commerciale en cas de reprise de l’activité par un tiers

Sur ce point, la Cour de cassation énonce de manière très générale qu’en matière de rupture brutale d’une relation commerciale établie, "la seule circonstance qu’un tiers, ayant repris l’activité ou [une] partie de l’activité d’une personne, continue une relation commerciale que celle-ci entretenait précédemment ne suffit pas à établir que c’est la même relation commerciale qui s’est poursuivie avec le partenaire concerné, si ne s’y ajoutent des éléments démontrant que telle était la commune intention des parties".

Par conséquent, puisque le plan de cession n’indiquait pas que le contrat conclu entre les parties relevait de ceux repris par le cessionnaire, la Cour de cassation juge que la relation initialement nouée entre le cédant et le transporteur n’avait pas été poursuivie par le cessionnaire, et ce, bien qu’elle soit identique.

En réalité, la solution de la Cour de cassation n’est pas inédite. En effet, la jurisprudence admet depuis longtemps qu’une relation peut être poursuivie par une personne autre que celle qui l’a nouée initialement (Cass.com., 29 janvier 2008, n° 07-12.039; Cass.com., 2 novembre 2011, n° 10-25.323; Cass.com., 6 décembre 2016, n° 15-12.320) mais précise que la simple reprise d’un fonds de commerce n’implique pas, de plein droit, la substitution du cessionnaire au cédant dans les relations contractuelles et commerciales s’il n’est pas démontré que le cessionnaire a "eu l’intention de poursuivre la relation commerciale initialement nouée" (Cass.com., 15 septembre 2015, n° 14-17.964).

En revanche, ce qui est plus surprenant, c’est que la Cour de cassation avait pu laisser entendre par le passé que cette manifestation de volonté pouvait être tacite, par exemple par la passation de nouvelles commandes (Cass.com., 20 mai 2014, n° 12-20.313). Or, un tel argument ne semble pas avoir été entendu en l’espèce alors même que le transporteur arguait de ce que le cessionnaire avait "repris et continué" la relation et ce "sans aucune interruption avant et après le plan de cession, avec des tarifs et des modes de facturation ainsi que des volumes de transports demeurés inchangés", sous-entendant que le cessionnaire avait, de ce fait, manifesté son intention de poursuivre la relation commerciale initialement nouée.

Il semblerait donc que la preuve de la "commune intention des parties" soit exigée pour qualifier la poursuite d’une relation commerciale. A cet égard, on notera qu’une telle intention peut être caractérisée lorsque le préambule du nouveau contrat conclu entre le « cédé » et le cessionnaire fait référence à la relation initialement nouée (Cass.com., 25 septembre 2012, n° 11-24.301).

  • La détermination du délai de préavis en présence d’activités distinctes

En revanche, l’arrêt de la Cour d’appel qui avait jugé le préavis d’un mois pour les activités "affrètement" et "locations exclusives" suffisant pour une relation commerciale d’une durée de deux années est cassé par la Haute juridiction. En effet, la Cour de cassation énonce qu’"en se déterminant ainsi, sans préciser la raison pour laquelle la durée d’une semaine du préavis notifié pour l’activité ‘tournéesétait suffisante, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision".

Une rapide lecture de cet arrêt pourrait suggérer que lorsqu’une partie souhaite mettre un terme à plusieurs relations commerciales distinctes avec une seule et même personne, chacune de ces relations doit faire l’objet d’un préavis propre, de sorte qu’il devrait y avoir autant de préavis différents que de relations commerciales distinctes.

Toutefois, il ne faut pas se méprendre : l’arrêt de la Cour d’appel a été cassé pour manque de base légale et insuffisance de motivation. Il serait donc aventureux d’en dégager une solution de principe. En effet, la détermination de la durée du préavis en matière de rupture brutale des relations commerciales établies relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. Dès lors, en omettant de vérifier que la durée de préavis octroyée pour l’activité "tournées" était suffisante, la Cour d’appel n’a tout simplement pas mis la Cour de cassation en position d’exercer son contrôle.

Il nous paraît donc prudent de relativiser la portée de la solution de la Cour de cassation sur ce dernier point, celle-ci intéressant davantage la motivation de la durée de préavis par les juges du fond que le régime même de la rupture brutale des relations commerciales établies.


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