Home / Publications / Du nouveau sur la reconnaissance de l'unité économique...

Du nouveau sur la reconnaissance de l'unité économique et sociale ?

10/11/2009

Invité naguère à s'interroger sur les "confins" de l'UES et son aptitude à franchir la frontière bien impalpable entre relations individuelles et relations collectives du travail (1) la Chambre sociale de la Cour de cassation n'en continue pas moins parallèlement à enrichir les aspects les plus classiques de la notion et de son régime, comme le montrent trois arrêts récents, relatifs tant à la définition de l'UES qu'aux modes et aux effets de sa reconnaissance.

I - On évoquera en premier lieu l'arrêt du 4 mars 2009 (n° 08-60 497 RJS 2009 n° 448) qui est un peu passé inaperçu, mais qui présente cependant un double intérêt.

D'abord, il apporte un éclairage intéressant sur la manière dont le juge d'instance doit appliquer le critère de l'unité économique et plus particulièrement, comment il peut utiliser la concentration du pouvoir de direction entre les différentes entités pour parvenir à dire qu'il y a bien unité économique.

En l'espèce, le jugement est cassé pour avoir adopté une démarche trop exigeante consistant à rechercher des mandats sociaux croisés ou cumulés entre dirigeants Le tribunal avait relevé que le président et le directeur général délégué de l'une des sociétés n'avaient aucun mandat dans l'autre société, chacune contrôlant des filiales a priori concernées par le même périmètre social.

Cette absence de détention des mandats propres à l'une des entités faisait, aux yeux du juge, obstacle au constat de la concentration du pouvoir de direction.

La Cour de cassation a estimé ce motif inopérant dès lors que le syndicat demandeur soutenait, sans être contredit, que la concentration était caractérisée par le fait qu'une personne physique apparaissait comme responsable hiérarchique à la fois de divers établissements et de filiales de ces deux sociétés.

On peut donc en déduire que, pour être décisive, la détention des mandats sociaux croisés ou cumulés de toutes les sociétés par les mêmes personnes n'est pas la seule hypothèse de concentration pertinente des pouvoirs de direction et qu'il peut y avoir d'autres formes de concentration, en particulier comme en l'espèce, la direction de fait, par une même personne physique, de plusieurs unités de travail rattachées à des entités juridiquement distinctes.

Toujours quant à l'unité économique, un autre reproche approuvé par la Cour de cassation, était adressé au juge d'instance, celui de ne pas avoir répondu au syndicat qui faisait valoir que les activités des deux sociétés en cause étaient complémentaires en ce qu'elles prenaient place dans un programme de développement commun avec les mêmes clients et qu'une étroite imbrication de l'organisation des deux sociétés était patente.

Ceci montre encore l'approche souple voulue par le juge de cassation face à une conception plus rigide du tribunal qui s'était contenté d'observer que l'une des sociétés réalisait des prestations de service dans les secteurs du génie électrique et du génie climatique et que l'autre maintenait et réparait des moteurs et des vannes en atelier, ce qui, pour le juge d'instance n'était ni similaire ni complémentaire à l'activité de la première société.

Mais l'apport principal de l'arrêt est ailleurs. Il gît dans la réponse apportée au premier moyen de cassation lequel fait grief au Tribunal d'avoir refusé d'organiser les élections dans le cadre de l'UES alors qu'un délégué syndical y avait déjà été désigné et que sa nomination n'avait pas été contestée par les sociétés employeurs.

Pour le syndicat, demandeur en cassation, le juge d'instance aurait dû, soit constater la survenance de modifications susceptibles de remettre en cause l'existence de l'UES entre la date de désignation du délégué syndical et la date de saisine du tribunal, soit déclarer recevable la demande d'organisation des élections sur le même périmètre que celui de la désignation dudit délégué.

Cependant, le moyen est déclaré non fondé au motif suivant : "Attendu que si l'absence de contestation dans les délais prévus par l'article L. 2143-8 du Code du travail de la désignation d'un délégué syndical dans le périmètre d'une UES, interdit la remise en cause du mandat du DS et constitue un élément que le juge doit prendre en considération dans l'action en reconnaissance de cette unité, elle n'établit pas à elle seule son existence".

Cette réponse est en réalité extrêmement sibylline dès lors qu'on la confronte à la jurisprudence antérieure ayant tranché la même question.

On peut en extraire néanmoins un premier enseignement qui est dans la totale continuité de ce qui a déjà été jugé : une fois le délai de contestation expiré, le délégué syndical d'UES reste un représentant du personnel de plein exercice dans le cadre qui lui a été initialement assigné, il ne peut pas être récusé ou évincé parce qu'il n'aurait pas été désigné dans un périmètre non validé par accord collectif ou par décision de justice (2).

On pourrait avancer, bien que ceci n'ait jamais été jugé à notre connaissance que, sauf démonstration d'une fraude, les employeurs qui auraient organisé unilatéralement la mise en place d'un comité d'entreprise ou d'une délégation du personnel uniques, peuvent sans doute, eux aussi, s'appuyer sur l'absence de contestation des élections par des syndicats dûment invités, mais qui ne sont pas venus négocier le protocole. Comment nier qu'en pareille occurrence le comité d'entreprise ou la délégation du personnel d'UES reposent sur des mandats valides ?

Mais quelle est dans le temps la mesure de cette validité ? Elle dure vraisemblablement jusqu'à la contestation du périmètre par telle ou telle partie intéressée c'est-à-dire, pour revenir à l'espèce jugée, jusqu'à la contestation des sociétés qui après s'être laissé enfermer dans le court délai prévu par le droit syndical refusent maintenant une élection groupée.

C'est ici que se dévoile la portée de l'arrêt du 4 mars car, tout en défendant la validité du mandat du délégué syndical, il admet que l'UES puisse être discutée devant le juge, comme si on se situait au premier jour de son existence. C'est tout le sens de la formule : "La désignation du délégué syndical n'établit pas à elle seule l'existence de l'UES".

Autrement dit, la Cour autorise un débat judiciaire sur la reconnaissance du périmètre, bien que d'une certaine façon, l'UES ait déjà fonctionnée (peut être même y-a-t-il eu une négociation d'UES avec le ou les délégués désignés à cette échelle !).

Elle autorise ce débat judiciaire de reconnaissance parce qu'aucun des deux modes prévus par la loi n'a été utilisé, ni le mode judiciaire ni le mode conventionnel. Mais la signification exacte de cette solution est difficile à apprécier pour deux raisons au moins :

La première est qu'il existe une jurisprudence du 3 mai 2007 qui semble avoir consacré la solution diamétralement opposée alors que, rien dans l'arrêt du 4 mars 2009 n'indique qu'il y ait à proprement parler revirement (3).

La seconde raison, c'est que l'arrêt du 4 mars lui-même, contient une réserve consistant à dire que le juge doit, dans l'action en reconnaissance de l'UES qui lui est soumise, prendre en considération la désignation antérieure non contestée du délégué syndical faite à l'échelle de cette UES, qui certes n'est pas encore juridiquement confirmée mais qui néanmoins existe, d'une façon qu'on pourrait presque qualifier de putative dès lors que la bonne foi des intéressés n'est pas en cause.

Dans cette réserve se trouve peut être la clef de la conciliation entre l'arrêt de 2007 et celui de 2009. Mais pour le comprendre il faut prendre la peine de retourner vers la jurisprudence antérieure, une jurisprudence qui traitait d'un point fort important en pratique et qu'on peut formuler de la manière suivante :

Faut-il, pour qu'il y ait UES, nécessairement passer par l'un des deux modes de reconnaissance prévus par le Code du travail ou existe-il une troisième voie qui permettrait de pallier en quelque sorte au moins provisoirement, le défaut d'utilisation des deux voies précédentes, dès lors qu'on aurait commencé à mettre en place des institutions représentatives unifiées à une échelle plus large que celle d'une entité juridiquement autonome ?

L'enjeu qui s'attache à cette question n'est pas que théorique : voici un délégué syndical, non contesté à temps, qui prétend prendre en charge des intérêts et des revendications d'une communauté de travail composée des salariés de toutes les entités employeurs et qui entend même peut-être négocier globalement sur ces sujets. Comment lui dénier cette aptitude dès lors que sa désignation (pour l'UES) n'est plus contestable ? (4)

Mais aussi, à l'inverse, des élections groupées se sont déroulées sans contestation aucune, peut-être dans une vacuité syndicale, et l'animateur de l'UES entend que les institutions uniques qui en sont issues jouent pleinement leur rôle, tout comme il souhaite qu'en fin d'exercice le commissaire aux comptes certifie des résultats consolidés pour le calcul de la participation des salariés de l'UES (5).

Le 3 mai 2007 la Chambre sociale a semblé comprendre ces enjeux et favoriser à titre subsidiaire le fonctionnement d'une troisième voie, dans un litige qui portait sur la contestation de la désignation d'un délégué syndical correspondant, aux yeux du syndicat, a une même Unité Economique et Sociale.

La lecture de la décision ne laisse aucun doute sur l'admission de cette troisième voie d'accès à l'UES en l'espèce. En effet, la Cour a non seulement constaté l'irrecevabilité de la contestation pour forclusion, mais elle a également donné raison au syndicat qui, fort de cette désignation, demandait l'organisation des élections dans le même périmètre.

A la critique du pourvoi selon laquelle “en retenant que les sociétés exposantes étaient forcloses à contester l’existence de l’UES revendiquée par le syndicat à l’occasion d’un contentieux relatif à l’organisation d’élections professionnelles, dès lors que deux ans auparavant elles n’avaient pas contesté la désignation du délégué syndical désormais purgée de tout vice, le tribunal d’instance avait violé l’article L. 4 12-15 ensemble l’article L. 431-1 du Code du travail”.

La Cour de cassation a répondu que: ".... Les critères de reconnaissance d’une UES sont identiques quelle que soit l’institution représentative mise en place; d’où il suit qu’après avoir relevé que les sociétés, d’une part avaient ainsi reconnu l’existence d’une unité économique et sociale pour l’exercice du droit syndical, d’autre part n’établissait pas la survenance, depuis la désignation du DS, de modifications susceptibles de remettre en cause cette unité économique et sociale, le tribunal d’instance pu décider que Ies élections devraient avoir lieu dans le périmètre de l’UES ainsi délimitée

En d’autres termes, la Chambre sociale estimait qu'en s’étant abstenues de contester dans le délai légal la désignation du délégué syndical, les sociétés concernées avaient implicitement mais nécessairement reconnu l’existence d’une UES, ce qui entrainait ensuite à leur encontre, le déclenchement des obligations d’organisation des élections dans le même périmètre.

Comme l'a écrit Jean Savatier à l’occasion du commentaire de l’arrêt (6) : "Cette décision montre que la reconnaissance d’une UES peut résulter non seulement d’une convention ou d’une action judiciaire, conformément aux dispositions de l’article L. 431-6 al 6 C. Trav. (désormais L. 2322-4) mais aussi de l’absence de réaction des sociétés concernées devant la prétention unilatérale d’un syndicat lors de la désignation d’un délégué syndical On se trouve alors devant une reconnaissance tacite de I'UES par les sociétés à qui cette désignation aura été notifiée. Ces sociétés deviennent irrecevables à contester l'existence de l'UES à l'occasion des élections professionnelles qu'elles sont tenues d'organiser".

Dans quelle mesure l'arrêt du 4 mars 2009 remet-il en cause cette possibilité de reconnaissance tacite et pour quelle raison la Cour éprouve-t-elle le besoin d'affirmer que la désignation non contestée du Délégué Syndical d'UES n'établit pas à elle seule l'existence de celle-ci ? Y a-t-il continuité ou rupture dans la position de la Chambre ? Pour tenter de répondre il faut revenir au commentaire de Jean Savatier portant sur arrêt de 2007 où, après avoir dit qu'on était en présence d'une reconnaissance tacite, l'éminent commentateur glisse une critique qui est la suivante : "Paradoxalement, la Cour de cassation, autorise un mode de reconnaissance excluant tout débat judiciaire, en raison de la négligence des employeurs ayant laissé expirer le délai de 15 jours pendant lequel ils pouvaient contester les prétentions unilatérales d'un syndicat notifiant la désignation d'un délégué dans le cadre d'une UES".

A la réflexion, en effet, cette solution pouvait paraître comme excessivement tranchée, en même temps qu'elle véhiculait divers inconvénients, dont celui de générer une incohérence jurisprudentielle.

Elle aboutissait à ce que la désignation d'un délégué syndical par une seule organisation peut être minoritaire, puisse fixer définitivement le périmètre d'une UES et à ce que les autres syndicats qui n'avaient désigné personne, voire qui n'avaient désigné qu'à l'échelle d'une seule société, ne puissent plus participer (sauf fait nouveau) à la détermination du cadre de mise en place des institutions représentative des salariés, y compris celles issues d'élections.

A la limite, on pouvait imaginer une forme d'entente entre les employeurs et un syndicat visant à imposer l'UES à toutes les parties intéressées, alors que peut-être, celle-ci n'était pas si évidente en tant que réalité sociale homogène, constitutive d'une seule et même communauté de travail (7).

La solution se révélait au demeurant paradoxale rapprochée d'une autre jurisprudence aux termes de laquelle le juge peut être saisi de la question de l'UES indépendamment de tout litige électoral c'est-à-dire en vérité, à tout moment (8).

Par conséquent, lorsque l'arrêt du 4 mars 2009 énonce que la désignation du délégué syndical n'établit pas à elle seule l'existence de l'UES, c'est d'abord semble-t-il pour répondre à cette critique pertinente, et rétablir une cohérence entre les solutions jurisprudentielles. En d'autres termes le débat judiciaire doit avoir lieu car, en l'excluant totalement, l'arrêt de 2007 est allé trop loin.

Mais dans ce nouvel arrêt correcteur, la Cour de cassation ajoute une précision qui semble essentielle pour assurer une continuité jurisprudentielle minimale et garder ce qui apparaît comme utile dans sa position antérieure ; elle affirme que l'absence de contestation de la désignation du délégué (d'UES) constitue un élément que le juge se doit de prendre en considération dans l'action en reconnaissance de cette unité dont il est ultérieurement saisi.

En d'autre termes, si le débat judiciaire n'est pas clos par le seul constat d'une désignation non contestée à temps et que le juge ne peut plus se contenter d'opposer au demandeur une fin de non-recevoir basée sur ce constat on serait tenté de dire qu'il existe en revanche, de par cette désignation, comme une présomption simple de l'existence de l'UES dont le juge ne peut faire abstraction dans l'examen de la demande en dénégation d'UES qui lui est adressée ensuite (9). Du fait qu'un délégué a été nommé à l'échelle de l'ensemble des entités juridiques concernées et qu'il a déjà joué dans ce cadre son rôle légal, une apparence s'est constituée et des droits sont nés en rapport avec elle.

En toute logique on en déduira que le débat judiciaire qui s'engage alors doit être différent de celui que déclenche une demande primaire de reconnaissance, en l'état d'institutions représentatives élues ou syndicales dispersées ou absentes dans les différentes entités en cause.

Le juge devra dire pourquoi, ce ou ces mandats non contestés, ne présentent finalement aucune pertinence quant à la promotion des intérêts de la communauté des salariés des différentes entités concernées (en dépit du fait qu'un temps déjà long a pu s'écouler). Et, si ses explications s'avéraient insuffisantes à cet égard, son jugement ne devrait-il pas être censuré ?

Ainsi, le rapprochement des jurisprudences de 2007 et de 2009 conduit à considérer que la reconnaissance de l'UES reste possible, en marge des voies conventionnelle ou judiciaire prévues par la loi lorsque les mécanismes de représentation des salariés propres à l'entreprise connaissent un début de fonctionnement à ce niveau.

Forme de reconnaissance fondée sur l'apparence, elle a un caractère précaire puisqu'elle est subordonnée à l'absence de saisine du juge, lequel pourra, de par le caractère déclaratif de son jugement, dire qu'à la date où il statue, l'UES n'existe pas ou qu'elle existe autrement. Et cela remettra alors en cause pour l'avenir le mandat du délégué syndical d'UES.

Mais c'est tout de même une forme de reconnaissance tacite puisque, tant que le débat judiciaire n'a pas lieu, et peut-être n'aura-t-il jamais lieu, les rapports collectifs de travail s'organisent valablement au seul niveau de cette UES apparente et, à la limite, contester pour cette seule raison l'exercice des mandats existants conduirait sans doute à commettre le délit d''entrave à l'exercice du droit syndical.

Eventuellement préexistante, la réalité juridique de l'UES est donc plus large que l'issue des procédures formelles de reconnaissance prévues par la loi. Le juge est obligé d'en tenir compte. C'est simplement l'intensité de cette prise en compte qui est réajustée à la baisse : elle ne peut aboutir à bloquer le débat judiciaire demandé par l'une des parties intéressées et celui-ci peut déboucher sur une autre perception de la communauté de travail la plus pertinente.

II - De l'arrêt du 4 mars, on passera à l'arrêt du 31 mars 2009 n° 08-60.494 (RJS 6/09 n° 559) qui a été beaucoup plus remarqué ne serait-ce que parce qu'il a donné lieu à une présentation officieuse par l'un des magistrats en charge du contentieux électoral au sein de la chambre sociale de la Cour de cassation (10).

L'arrêt énonce que : "Lorsqu'une UES regroupant 50 salariés ou plus est reconnue par convention ou par décision de justice entre plusieurs entreprises juridiquement distinctes, la mise en place d'un comité d'entreprise est obligatoire. Il s'en déduit qu'il appartient aux parties de définir lors de chaque scrutin la composition et le périmètre de l'Unité économique et sociale".

Tel est l'attendu de principe mais, pour en comprendre la portée, il est utile de le rapprocher de la formule finale de cassation qui est la suivante : "Qu'en statuant ainsi, alors que le périmètre de l'Unité économique et sociale dans lequel devraient être organisées les élections au comité d'entreprise n'avait fait l'objet, ni d'un protocole d'accord préélectoral unanime, ni d'une décision de justice préalablement aux élections, le tribunal a violé le texte susvisé".

Dès lors, le Tribunal d'Instance, dont le jugement est censuré, n'aurait pas dû débouter le syndicat FO qui demandait la négociation d'un nouveau protocole préélectoral pour déterminer le périmètre de l'UES, suite au regroupement de certaines entités et à l'intégration d'une nouvelle activité dans le regroupement ainsi créé. Les commentateurs précités déclinent ce message en trois propositions :

  • L'accord déterminant l'existence et le périmètre de l'UES a la nature d'un accord préélectoral (11)
  • Si la structure, la composition et le périmètre de l'UES ne peuvent être remis en cause pendant le cours des mandats des institutions mises en place, cette structure, cette composition et ce périmètre (d'UES) doivent faire l'objet d'une nouvelle négociation à l'occasion de chaque scrutin.
  • Enfin, (c'est là le plus important mais aussi sans doute le plus sujet à controverse) l'accord en question doit être unanime. On remarquera que sur ce dernier point, les commentateurs (12) précisent que l'arrêt est rendu en application des textes antérieurs à la loi du 20 août 2008, lesquels exigent cette unanimité.

Deux enseignements se dégagent de la décision.

Tout d'abord l'arrêt, sans le dire expressément, créé une obligation de négocier sur l'UES au seuil de chaque élection organisée à ce niveau. S'il n'y a rien de nouveau, le périmètre antérieur restera inchangé. Si l'UES s'est modifiée ou a disparu, ce sera le moment d'en prendre acte. Le rythme des échéances électorales tel qu'il est fixé par la loi paraît en effet convenir à un tel réexamen dont les conséquences sur la structuration des droits collectifs des salariés concernés sont loin d'être minimes (13).

Il reste, qu'on peut éprouver des difficultés à trouver le partenaire syndical pour négocier et conclure sur ce sujet. L'arrêt ne dit rien de ces situations. Il faut inviter systématiquement mais à défaut de réponse, pourquoi l'UES serait-elle interdite ? (14)

Le deuxième enseignement a trait au débat entre unanimité et majorité qui existe depuis maintenant plusieurs années sur la conclusion du protocole préélectoral et qui "parasite" en quelque sorte la reconnaissance conventionnelle de l'UES.

On avait cru pouvoir avancer, au vu de certains arrêts, que l'exigence d'unanimité était en recul. Le présent arrêt nous rappelle que tel n'est pas le cas lorsqu'il s'agit d'élections et que le protocole préélectoral doit être unanime, y compris lorsqu'il tranche cette question de l'UES.

On ne reprendra pas ici le débat de fond sur ce qui nous semble être les fausses vertus de l'exigence d'unanimité (15). On fera simplement deux observations qui conduisent selon nous à relativiser la portée de cette exigence désormais restaurée.

L'arrêt concerne exclusivement la matière électorale, il ne porte pas sur le droit syndical, lequel est également concerné par la présence d'une UES, sans qu'en toute logique l'exigence d'unanimité se retrouve dans la négociation d'un accord de configuration de l'UES qui ne concernerait que les rapports entre les employeurs et les syndicats présents dans le périmètre.

Ensuite, on peut observer que la solution est rendue en contemplation du droit antérieur à la loi du 20 août 2008. Or, sous l'empire des nouvelles dispositions, le protocole préélectoral peut être valablement conclu selon le principe majoritaire, en l'occurrence une double majorité. Celle des organisations syndicales ayant participé à la négociation et parmi celles-ci les organisations syndicales ayant recueilli 50% des suffrages exprimés lors des dernières élections ou à défaut ayant la majorité en nombre des organisations syndicales représentatives.

Il reste, il est vrai des ilots d'unanimité dans le droit nouveau, comme en ce qui concerne la modification du nombre et de la composition des collèges, l'organisation du scrutin en dehors du temps de travail et la suppression du Comité d'entreprise.

La détermination de l'UES en fait-elle partie ? Alors même qu'aucun texte ne le prévoit et qu'un seul arrêt déjà ancien de la Chambre sociale l'a affirmé (16), les avis restent partagés. M. Cohen, auquel semble se rallier le Pr P.Y Verkindt, estime que la réponse doit être positive à partir du moment ou cette reconnaissance à une répercussion sur le nombre des collèges. Autrement dit, les articles L. 2314-10 et L. 2324-12 seraient automatiquement impactés par l'apparition de l'UES (17).

Ainsi formulée, cette conséquence est tout de même de bien subtil entendement. En effet, que, selon les circonstances de fait, on puisse admettre qu'il en va ainsi parce que, dans l'une des entités regroupées, on avait auparavant négocié un protocole traitant de cette question et que les nouvelles élections d'UES ne donnent pas lieu à la même solution, soit. Encore qu'on puisse répondre qu'il n'y a aucune continuité entre les élections antérieures et celles qui se déroulent à l'échelle du périmètre redéfini puisqu'il ne s'agit plus de la même "entreprise" au sens du droit des relations collectives du travail.

Mais en cas d'institutions représentatives créées "de novo", en quoi le fait d'organiser les élections à l'échelle de l'UES induit-il nécessairement une modification du nombre et de la composition des collèges ? Les règles légales de base sont applicables de la même façon qu'en cas d'entreprise unique.

Cependant, si la thèse soutenue par ces auteurs est la bonne alors rien ne va changer sous l'empire de la loi de 2008 puisque la règle a été reconduite telle quelle 18). Un protocole non unanime qui aborderait la question de l'UES devrait être considéré comme non valide, au moins en ce qu'il traite de la matière électorale stricto sensu.

Encore faudrait-il que la nullité soit invoquée (19). Sans quoi les élections d'UES auront lieu et les mandats qui en résulteront auront la valeur de mandats d'UES dont on ne voit pas qu'ils puissent être remis en cause une fois les délais de contestation écoulés.

On retombera ainsi sur l'UES apparente qui, à la limite, vivra sa vie quatre ans durant, jusqu'à la nouvelle négociation électorale où obligation sera faite aux employeurs de reprendre cet objet dans la négociation du protocole unique avec risque de disparition de l'UES par défaut de signature d'un seul des partenaires syndicaux.

III - Dans cette revue de jurisprudence un dernier arrêt mérite d'être évoqué. L'arrêt du 29 avril 2009 n° 07-.19.880 RJS 7/09 n° 644 qui porte sur le sort des mandats syndicaux en vigueur dans les différentes entreprises comprises dans l'UES. Il décide que les mandats deviennent caducs du fait de la reconnaissance de l'UES.

Plus précisément, ils sont devenus caducs à la date ou le jugement qui a validé les accords reconnaissant l'UES, est devenu définitif. Précision donnée pour la première fois par la Chambre sociale (20). La thèse des syndicats qui entendaient garder la maîtrise du moment où le mandat serait supprimé est repoussée, la caducité est automatique.

Tout de même, on pouvait concevoir qu'il y ait débat dans la mesure où, contrairement au cas des mandats électifs qui cessent à la date de l'élection des nouvelles institutions sans qu'on puisse imaginer une quelconque suivie parallèle, précisément parce leur seule légitimité est élective, lorsqu'il s'agit de délégués syndicaux, le mandat dépend alors essentiellement du syndicat qui nomme et qui révoque comme il l'entend et quand il l'entend.

Est-ce qu'en l'absence d'une quelconque disposition légale l'y autorisant, le juge peut en quelque sorte prendre la place du syndicat pour exercer cette prérogative fut-ce en maniant l'outil juridique de la caducité ?

L'objection est évitée par la limitation du rôle du juge qui ne fait que constater la caducité du mandat. Il ne le révoque pas lui-même et surtout n'ordonne nullement au syndicat de le faire. Ainsi est sauvegardée la liberté syndicale d'auto-organisation.

Enfin, l'arrêt précise que dans le cadre d'une action en constatation de la caducité de la désignation d'un délégué syndical, il n'est pas nécessaire que le délégué concerné soit appelé à l'instance. Il n'y a donc pas lieu de transposer ici l'exigence formulée par l'article R. 2143-5 du code du .travail à propos de la contestation de la désignation des délégués syndicaux, qui impose de convoquer toutes les "parties intéressées" à l'audience de contestation, sous peine de vicier la procédure judiciaire.


(1) D'où il est ressorti que l'UES ne pouvait en tant que telle assumer la qualité d'employeur des salariés des différentes entités groupées (Cass. soc. 16 décembre 2008 n° 07-43.875 : RJS 3/09 n° 254 Bull. civ. V n° 255) Pour une analyse critique de cette jurisprudence qui contourne plus qu'elle ne résout la question de la personnalité morale de l'UES ainsi que l'application de la théorie des co-employeurs, voir notre ouvrage : Droit du travail Sirey Université, Octobre 2009 n° 67 et s.

(2) Solution qui répond en vérité à une pratique fréquente des organisations syndicales préconisée par un auteur particulièrement qualifié (M. Cohen : Le droit des comités d'entreprise et des comités de groupe, 8ème ed. LGDJ p 92)

(3) Cass. soc. 3 mai 2007 Dr social 2007 n° 06-60.042 RJS 7/07 n° 863 p 1250 note J Savatier. Voir déjà en ce sens : Cass. soc. 29 janvier 2003 n° 01-60.650 RJS 4/03 n° 480

(4) Elle l'est d'autant moins qu'au terme d'un travail jurisprudentiel remarquable, qui tendait à satisfaire au mieux l'impératif de sécurité juridique en ce domaine, la désignation d'un délégué syndical dans une unité économique et sociale non encore reconnue doit être notifiée au représentant légal de chacune des personnes morales concernées avec indication, à peine de nullité, de la composition exacte de l'unité en question (Cass. soc. 26 avril 2000 n° 99-60.030 RJS 7-08 n° 824 Dr. Social 2000 p 798 note J. Savatier). La Cour de cassation a même été jusqu'à préciser que le syndicat doit faire explicitement état de la revendication de la reconnaissance de l'existence d'une UES, de sorte qu'est dépourvue de validité à cet égard la lettre de désignation qui se borne à énumérer trois sociétés sans faire état de cette revendication (Cass. soc. 6 février 2002 n° 00-60.440 RJS 4/02 n° 456 BCV n° 56).

(5) Conformément aux termes de l'article L. 3322-4 du Code du travail, lequel renvoie, pour les modalités de mise en place de la participation au sein d'une UES, à un accord collectif unique couvrant l'unité économique et sociale conclu notamment avec le comité d'entreprise ou ratifié par la majorité qualifiée des salariés concernés (art. R 3322-2 C. trav.).

(6) Droit social Décembre 2007 p 1250 précité

(7) L'inconvénient semble avoir été identifié dès un arrêt du 23 juin 1988 n° 87-60.245 et 87-60.250 (BCV n° 392) mais sans que les conséquences d'une destruction brutale de "l'acquis relationnel" résultant de mandats non contestés aient en quelque façon été prises en compte.

(8) Cass. soc. 2 juin 2004 n° 03-60.135 RJS 8-9/04 n° 936 B. Civ. V n° 157

(9) Cette présomption simple pouvait déjà se déduire de la formulation d'un arrêt de la Cour du 13 février 2008, non publié (n° 07-60 182) aux termes duquel l'existence de l'UES ne peut être écartée par le juge sans qu'il s'explique sur une désignation antérieure non contestée.

(10) L. Pécaut-Rivolier en collaboration avec Y. Struillou Chronique des jurisprudences sur la représentation du personnel (1er trimestre 2009 SSL 25 mai 2009 n° 1401 p 7)

(11) Pourtant, l'article 2322-4 du Code du travail qui est demeuré inchangé énonce qu'une unité économique et sociale peut être créée par convention sans autre précision, ce qui, comme on l'a justement souligné (Précis Dalloz de droit du travail 2008 n° 874), semble privilégier la nature d'accord collectif de droit commun plutôt que d'accord préélectoral.

(12) Article précité

(13) Obligation de négocier qui paraît se maintenir y compris en présence d'un accord collectif de configuration de l'UES, conclu antérieurement avec la majorité des syndicats représentatifs, comme l'ont déjà admis certaines juridictions. Sur la reconnaissance de l'UES conventionnelle par le mode majoritaire, voir notre étude : L'avenir de l'UES conventionnelle : SSL n° 1120 du 20 juillet 2005.

(14) On retombe alors sur la problématique de l'UES putative du moins tant que le partenaire syndical reste silencieux, hypothèse a bien distinguer de celle où il y aurait eu négociation débouchant sur un désaccord quant à l'opportunité de créer un périmètre électoral élargi.

(15) A. Cœuret : la négociation préélectorale, entre majorité et unanimité RJS 2007 chr. p 211: Fausses vertus que l'élargissement du cercle des organisations syndicales devant être invitées à la négociation par l'effet de la loi du 20 août 2008 ne fera qu'accentuer. Dès 2004, Jean Savatier écrivait à ce sujet "Le législateur a voulu que, dans l'hypothèse ou plusieurs personnes juridiquement distinctes forment une UES, ce soit sur la base de cette entreprise unique que soient mises en place les institutions représentatives du personnel. Pour tenir compte de la réalité de cette entreprise unique, il faut éviter qu'un syndicat minoritaire puisse s'opposer à cette mise en place, acceptée par les autres organisations. Et il faut organiser aussitôt que possible les élections sans tenir compte du terme normal du mandat de certains élus et en donnant un effet constitutif, et non simplement déclaratif, à l'accord ou au jugement reconnaissant l'existence de l'UES" (note sous cass. soc. 26 mai 2004 Dr social 2004 p 915)

(16) Cass. soc. 23 juin 1988 n°87-60.245 et 87-60.250 : Bull. Civ V n° 392

(17) M. Cohen ouvrage précité, p 91, P. Verkindt : les élections professionnelles dans l'entreprise Dr . social 2009 p 648 et s.

(18) On se demande alors pourquoi il est fait allusion au droit antérieur à la loi du 20 août 2008 dans le commentaire précité.

(19) Car, selon la solution mise au point en jurisprudence, l'absence d'unanimité ne rend pas le protocole irrégulier mais permet seulement à la partie qui justifie d'un intérêt de saisir le juge d'instance d'une demande de fixation judiciaire des modalités électorales (Cass. soc. 28 octobre 1997 n) 96-60.272 RJS 12/97 n° 1404 TPS 1998 com. 13 Cass; soc.10 mai 2000 TPS 2000 com 272)

(20) Pour les institutions élues la question a déjà été tranchée v. Cass. soc. 26 mai 2004 n) 02-60.935 RJS 8-9/04 n° 936 Bull civ. V n° 142 qui décide que la reconnaissance de l'UES implique le renouvellement immédiat des institutions élues, les mandats en cours avant le jour des élections organisées au sein de l'UES cessent, quelle que soit l'échéance de leur terme.

Par Alain Coeuret, Of counsel
Agrégé des Facultés de droit

Article paru dans le RJS 10/09