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Effets des reports d'imposition

par Jean-Yves Mercier, avocat associé

25/06/2009

L'événement qui met fin au report constitue le fait générateur d'imposition de la plus-value en suspens qui devient taxable au taux alors en vigueur et sur la base de son montant d'origine

L'article 151 octies I du CGI donne aux exploitants individuels qui apportent en société l'ensemble des éléments de l'actif immobilisé affectés à l'exercice de leur activité professionnelle la possibilité d'opter pour un dispositif qui les affranchit de l'imposition immédiate de leurs plus-values d'apport. En ce qui concerne les immobilisations non amortissables, la neutralité est assurée par un report de l'imposition de la plus-value d'apport jusqu'à la date de la cession à titre onéreux ou du rachat des droits reçus en rémunération de l'apport (ou jusqu'à la cession de l'immobilisation par la société, si elle est antérieure).

Le Conseil d'Etat avait été saisi en 2002 du cas d'un contribuable qui, s'étant mis en situation de perdre le bénéfice du report, prétendait être taxé sur les plus-values qui étaient apparues sur ces éléments au taux en vigueur l'année de l'apport, en l'occurrence moins élevé que celui applicable au titre de l'année de la cessation du report (11 % au lieu de 16 %). La requête de ce contribuable avait été rejetée car les dispositions susvisées n'ont pas pour effet de différer le paiement d'une imposition qui aurait été établie au titre de l'année de réalisation de la plus-value, mais seulement de permettre, par dérogation à la règle suivant laquelle le fait générateur de l'imposition d'une plus-value est constitué au cours de l'année de sa réalisation, de la rattacher à l'année au cours de laquelle intervient l'événement qui met fin au report d'imposition, d'où il suit que la plus-value d'apport doit être soumise au taux que la loi a fixé pour les plus-values réalisées au cours de ladite année (arrêt du 10 avril 2002 n° 226886).

Tout portait à penser que la règle tracée par cette décision serait transposée aux reports d'imposition dont ont pu se prévaloir, sur le fondement des articles 92 B et 160 I ter du CGI, les personnes physiques ayant participé à des échanges de titres consécutifs, notamment, à une fusion ou à une OPE.

Plusieurs décisions récentes montrent qu'il en est bien ainsi et livrent d'utiles éclaircissements sur le traitement des plus-values mises en report.

I. Incidence des manquements aux obligations déclaratives

I.1 Echange de titres

Aux termes de l'article 92 B du CGI qui s'est appliqué aux échanges de titres opérés avant 2000, l'obtention du report d'imposition était subordonnée à la déclaration du montant de la plus-value réalisée et à la présentation simultanée d'une demande de report. Une fois accomplies ces formalités substantielles (sur la déclaration des revenus afférents à l'année de l'opération), le contribuable devait en outre, pendant toute la durée de détention des titres reçus en échange, fournir à nouveau chaque année dans sa déclaration l'indication du montant de la plus-value placée et demeurée en report. Cette obligation de suivi résultait d'un décret codifié à l'article 41 quatervicies de l'annexe III du CGI.

Un contribuable avait valablement demandé, début 1995, le report d'imposition d'une plus-value réalisée en 1994, avait à nouveau mentionné ladite plus-value sur sa déclaration souscrite en 1996 mais s'était abstenu, à compter de 1997, de reproduire la mention exigée. Ayant cédé en 2000 et en 2001 les titres qu'il avait reçus à l'occasion de l'échange générateur de la plus-value, il avait soutenu que le report demandé s'était éteint en 1997, moyennant quoi l'Administration était hors délai, en 2002, pour établir l'imposition déclenchée par les cessions réalisées en 2000 et en 2001.

Le Conseil d'Etat lui donne tort (arrêt du 16 mars 2009 n° 307768).

Par dérogation à la règle suivant laquelle le fait générateur de l'imposition d'une plus-value est constitué au cours de l'année de la réalisation de celle-ci, les dispositions du II de l'article 92 B du CGI permettent de rattacher cette imposition à l'année au cours de laquelle intervient l'événement qui met fin au report. Il en résulte qu'aucune imposition ne peut être réclamée au redevable avant que ne se produise l'événement mettant fin au report, lequel, en vertu de ce même article, ne peut être la méconnaissance de ses obligations déclaratives annuelles par le contribuable qui a régulièrement opté pour ce régime, mais est constitué par la cession ou le rachat des actions échangées.

I.2 Apport en société de l'entreprise individuelle

L'auteur d'une plus-value ouvrant droit au report prévu par l'article 151 octies I du CGI avait opté pour le régime du report dans l'acte de constitution de la société mais avait omis de joindre à sa déclaration relative aux revenus de l'année de l'apport (et à ses déclarations annuelles suivantes) l'état de suivi de cette plus-value. Ce manquement à l'une des deux obligations requises par la loi à l'appui du report déclenchait-il l'imposition de la plus-value par rattachement aux revenus de l'année de l'apport (en l'occurrence prescrite à la date du contrôle) ou par rattachement aux revenus de l'année suivante, qui était celle du défaut d'exécution de l'obligation déclarative (année non encore couverte par la prescription) ?

Le Conseil d'Etat retient la seconde solution en jugeant que le bénéfice du report d'imposition avait été acquis du fait de l'option exercée dans l'acte d'apport et que le défaut de souscription de l'état de suivi avait constitué, au début de l'année suivante, l'événement mettant fin au report d'imposition et impliquant, en conséquence, le rattachement de la plus-value aux revenus de l'année en cause (arrêt du 16 mars 2009 n° 304749).

I.3 Portée pratique de ces décisions

Pour l'application de l'article 151 octies du CGI, toute défaillance, même ponctuelle, dans la série des productions annuelles de l'état de suivi des plus-values entraîne l'exigibilité de l'imposition en report au titre de l'année de cette défaillance et oblige l'Administration à établir le rappel dans le délai de reprise qui expire le 31 décembre de la troisième année suivante.

En revanche, pour l'application de l'article 92 B du CGI (et de l'article 160 I ter conçu dans les mêmes termes), le report tient en dépit des manquements aux rappels annuels du montant de la plus-value en report. Ce n'est que par l'effet de la cession ou du rachat des titres reçus en échange que l'impôt en suspens devient exigible.

II. Insuffisance du montant de la plus-value déclarée

En vérifiant les années 1998 et 1999, au cours desquelles se sont produits les événements ayant mis fin au report d'imposition d'une plus-value d'échange de titres réalisée en 1994, l'Administration a été en mesure d'établir que le contribuable avait sous-estimé le montant de la plus-value déclarée par lui au titre de cet échange et a ainsi établi l'impôt sur une base supérieure au montant de la plus-value déclarée et mise en report.

La CAA de Paris décide (arrêt du 8 octobre 2008 n° 07-4845) :

  • d'une part, que rien n'obligeait le service à considérer que le bénéfice du report avait été usurpé en raison de cette insuffisance, en conséquence de quoi le contribuable n'était pas fondé à soutenir que la totalité de la plus-value devait être rattachée à l'année 1994, atteinte par la prescription lors du contrôle ;
  • d'autre part, que le service a pu, à bon droit, soumettre à l'impôt, au titre des années 1998 et 1999, un montant de plus-value rectifié.

Les événements qui, dans cette affaire, ont été regardés comme ayant mis fin au report d'imposition avaient été, pour 1998, la répartition d'une prime d'émission représentant la moitié de la valeur des titres que le contribuable avait reçus en échange et, pour 1999, la liquidation de la société émettrice. Les cas d'extinction du report (article 160 I ter) étant la cession, le rachat, le remboursement et l'annulation des titres reçus lors de l'échange, on peut ne pas être convaincu que la distribution de la prime d'émission opérée en 1998 ait valablement déclenché une première imposition partielle de la plus-value. En effet, aussi longtemps que les titres existent, ils ne peuvent être regardés comme étant "remboursés".

III. Transfert du domicile hors de France

L'auteur de plus-values en report dégagées en 1992 et en 1996 a procédé en 1998 à partir de la Suisse, où il était fiscalement domicilié depuis le 1er janvier, à la cession des titres reçus en échange des opérations correspondantes. Etant donné qu'aussi bien les titres reçus en échange que ceux remis à l'échange représentaient une participation inférieure à 25 %, le régime d'imposition applicable était celui prévu par l'article 92 B du CGI. Ainsi la cession opérée en 1998 était couverte par l'exonération instituée par l'article 244 bis C du CGI à l'égard des plus-values de cession réalisées par les personnes qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France.

Cette disposition emportait-elle l'exonération des plus-values mises en report en 1992 et en 1996 ? Le TA de Paris a répondu positivement à cette question (jugement du 7 octobre 2008 n° 02-14030).

Article paru dans la revue Option Finance du 20 avril 2009