Home / Publications / La Cour de Justice valide la taxe régionale italienne...

La Cour de Justice valide la taxe régionale italienne sur les activités de production : un gros souci en moins pour de nombreux Etats membres

19/01/2007

Le soulagement des autorités budgétaires italiennes qui craignaient la remise en cause de tout le système de financement des régions en Italie et les montants considérables que pourraient représenter les demandes de remboursement, est probablement à la mesure du long suspense qui a caractérisé ce dossier. En effet, la question du juge italien avait été posée il y a trois ans; à deux reprises, des conclusions d'Avocats généraux différents avaient conclu à l'illégalité de la taxe, leur double intervention s'expliquant par la procédure exceptionnelle de réouverture de la procédure orale motivée par la nécessité de discuter de l'éventuelle limitation de la rétroactivité de l'arrêt à venir puisqu'il était devenu possible, à la suite des premières conclusions de l'Avocat général Jacobs, que la taxe italienne soit déclarée illégale.

Le danger était devenu à ce point perceptible, qu'alors que le Gouvernement italien avait été tout seul pour défendre sa taxe lors de la procédure écrite, pas moins de 15 Etats (ce qui est un record dans l'histoire de la Cour) ont présenté des observations lors de la seconde audience.

Un nuage d'amertume pourrait habiter les autorités danoises qui avaient été victimes du seul arrêt dans lequel la Cour de Justice avait déclaré une taxe nationale incompatible avec l'article 33§1 de la 6ème Directive TVA, alors que ses caractéristiques, comme on le verra, n'étaient pas tellement éloignées de celles de la taxe italienne. Comme nous allons le voir, cet arrêt Dansk-Denkavit de 1992 (C-200/90, Rec. p. I-2217) a toutes les chances de rester le seul cas d'application de l'article 33§1 de la 6ème Directive TVA Sur le plan juridique, l'arrêt IRAP (aussi appelé Banca Popolare Di Cremona, du nom de la banque qui avait contesté la taxe devant les juridictions fiscales italiennes) rappelle d'abord que les taxes nationales ne seront considérées comme contraires à l'article 33 § 1 que si elles «présentent les caractéristiques essentielles de la TVA même si [elles] ne sont pas en tous points identiques à celles-ci» (§26 de l'arrêt).

Et il suffit qu'une de ces caractéristiques essentielles fasse défaut pour que la taxe soit sauvée (§27).

Ces caractéristiques essentielles de la TVA sont au nombre de quatre et rappelées au §28 de l'arrêt :

  1. la taxe doit s'appliquer de façon générale aux transactions ayant pour objet des biens ou des services
  2. elle doit être proportionnelle au prix perçu par l'assujetti en contrepartie des biens et services qu'il fournit
  3. la taxe doit être perçue à chaque stade du processus de production et de distribution y compris celui de la vente au détail, quel que soit le nombre de transactions intervenues précédemment
  4. la taxe due par un assujetti sur les montants acquittés lors des étapes précédentes du processus doit pouvoir être déduite de telle sorte que la taxe ne s'applique à un stade donné qu'à la valeur ajoutée à ce stade et que la charge finale de la taxe repose en définitive sur le consommateur.

Dans l'affaire IRAP, la Cour va décider que les deuxième et quatrième caractéristiques font défaut à la taxe italienne.

3.1. Tout d'abord, elle ne pourrait être considérée comme étant proportionnelle au prix des biens et services parce que son assiette inclurait «des éléments tels que les variations de stock, les amortissements et les dépréciations, qui n'ont pas de lien direct avec les fournitures de biens ou de services en tant que telles» (§ 30). Assez étrangement, la Cour ne cite pas les importations auxquelles l'IRAP ne s'applique pas non plus, à la différence de la TVA, mais elle aurait probablement été malvenue de le faire puisque cet élément était également présent dans la taxe en cause dans l'arrêt Dansk-Denkavit, ce qui n'avait pourtant pas empêché la Cour de déclarer contraire à l'article 33 la taxe danoise.

De même, le fait que la taxe danoise utilisait une assiette de calcul différente quand elle frappait des entreprises non assujetties à la TVA n'avait pas à l'époque influencé la décision de la Cour.

Il est clair que la Cour de Justice a adopté une approche relativement stricte, parce qu'il est difficile de considérer qu'il n'y avait pas au niveau du contenu de l'assiette d'imposition, au moins une «similitude substantielle», comme le dit l'Avocat général Stix-Hackl au §118 de ses conclusions, entre l'IRAP et la TVA.

De plus, si on retourne à l'objectif de l'article 33§1 de la 6ème Directive TVA qui veut empêcher qu'une taxe compromette le fonctionnement du système de la TVA, il est difficile, comme le dit encore l'Avocat général (§92) de «considérer en même temps qu'une taxe interfère avec ce système si elle est strictement proportionnelle au prix des transactions mais qu'il n'en est rien si elle n'est que grossièrement proportionnelle». Comme l'avait dit l'Avocat général Jacobs, il suffirait dès lors à un Etat-membre de procéder à un ajustement même minime de l'assiette imposable pour faire échapper toute taxe à l'article 33 § 1er de la 6ème Directive TVA
.
3.2. La Cour juge ensuite (§35) que l'IRAP «n'est pas conçue pour être répercutée sur le consommateur final d'une manière caractéristique de la TVA».

Il est vrai que l'IRAP n'est pas séparable du prix d'acquisition hors taxes, de biens et de services par un assujetti mais de nouveau, il convient de noter que, dans l'affaire Dansk-Denkavit, la Cour avait jugé la taxe contraire à l'article 33§1 alors même que la taxe danoise ne devait pas, contrairement à la TVA, faire l'objet d'une mention distincte sur la facture.

Par ailleurs, on comprend difficilement, comment la Cour déduit de cet élément que nécessairement « l'assiette de l'IRAP comporte... non seulement la valeur ajoutée mais également la taxe elle-même » (§33), car tout assujetti ne doit appliquer l'IRAP que sur la valeur nette qu'il ajoute au produit, ce qui implique que n'y sont pas inclus ni ses achats ni l'IRAP payée en amont. On ne comprend pas non plus pourquoi moins que dans la TVA, « les assujettis ne jouissent pas de la possibilité de répercuter... la charge de la taxe » (§34). Economiquement, en effet, il n'est pas toujours possible non plus de répercuter la TVA totalement sur le consommateur.

Le plus étonnant cependant dans le raisonnement de la Cour reste son effort pour justifier la différence de traitement entre la taxe italienne dans le présent dossier et la taxe danoise dans le dossier Dansk-Denkavit.

Selon la Cour, la taxe danoise était «perçue sur une assiette identique à celle qui est utilisée pour la TV» (§37). Etrange quand on lit dans l'arrêt Dansk-Denkavit que «la contribution danoise n'était pas perçue sur les importations» et que «les entreprises importatrices n'étaient pas autorisées à déduire de son assiette la valeur des biens ou des services à apporter».

Selon la Cour encore, la contribution danoise, à la différence de l'IRAP, était «destinée à être répercutée sur le consommateur final» (§ 37). Etrange aussi quand on sait que dans plusieurs arrêts antérieurs cités par l'Avocat général Stix-Hackl au § 28 de ses conclusions, la Cour avait considéré comme dépourvus de pertinence pour apprécier la compatibilité d'une taxe nationale avec le droit communautaire, tant la désignation de la taxe en droit national, le libellé exprès de la législation ou les raisons de son adoption que l'absence d'une exigence expresse de répercussion de la taxe sur les consommateurs.

Last but not least, cet élément qui apparaît ici décisif n'avait pas paru fondamental dans l'arrêt Dansk-Denkavit, puisque la Cour n'avait même pas cru nécessaire de le mentionner dans les raisons qui l'avaient amenée à déclarer dans son dispositif l'illégalité de la taxe danoise. Deux conclusions me paraissent pouvoir être tirées de cet arrêt :

4.1. La jurisprudence de la Cour, si elle est claire dans son résultat puisque 14 arrêts sur 15 ont validé les taxes nationales au regard de l'article 33 § 1er de la 6ème Directive TVA, est par contre très mouvante dans sa motivation. Peut-être faut-il remonter au point de départ de la jurisprudence pour comprendre : en effet, était-il bien exact de considérer qu'une taxe compromet le fonctionnement du système de la TVA (ce que veut éviter l'article 33 § 1er) quand elle en reprend les caractéristiques essentielles ? Car, au fond, n'est-il pas paradoxal, comme l'indique l'Avocat général Stix-Hackl au § 36 de ses conclusions, qu'une taxe puisse «d'autant moins interférer avec le système de la TVA qu'elle lui ressemble davantage» ? Si on avait une taxe nationale ajoutée à la TVA, qui était parfaitement identique à tous égards à cette dernière, en quoi compromettrait-elle le fonctionnement du système TVA puisque son seul effet serait finalement d'accroître le taux normal de la TVA ?

4.2. Il me paraît facile de prédire l'avenir de l'article 33. Les Avocats généraux avaient fait croire à la possible sortie de l'article 33 du coma dans lequel l'avait plongé la jurisprudence de la Cour de Justice. Avec l'arrêt IRAP, les Etats n'auront aucune peine à faire en sorte qu'il ne se réveille jamais.
Article paru dans la revue Option Finance le 23 octobre 2006


Authors:

Melchior Wathelet, Of Counsel