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La délicate question de l’inclusion des frais de recherches et développement dans les encours de production

19/12/2011


Le Conseil d'Etat précise la question de l’inclusion des frais de R&D dans le coût de revient de stocks sans mettre fin à ce stade à la controverse.


1- Le Conseil d'Etat fait prévaloir l’intention du Législateur sur le texte

La question de l’inclusion obligatoire des dépenses de recherches et développement dans le prix de revient des travaux en cours a longtemps fait l’objet de controverses entre l'administration fiscale et les contribuables.

En effet, si les règles comptables prévoient que les frais de recherche fondamentale sont obligatoirement comptabilisés en charges et ne sont pas incorporables dans le coût d'entrée des stocks, les coûts de développement, du fait d'une option prévue par le Code de commerce, peuvent être, au choix de l'entreprise (C. com. art. R 123-186 et PCG, art. 311-3.2) :

  • soit comptabilisés en immobilisations, s'ils remplissent les critères de définition et de comptabilisation des immobilisations incorporelles générées en interne,
  • soit comptabilisés en charges même s'ils répondent à ces critères.

Lorsque les frais de développement sont comptabilisés en immobilisations et qu’ils sont utilisés dans le processus de production des stocks, ils sont systématiquement inclus dans leur coût de production par le biais de la quote-part de l'amortissement annuel de ces frais (PCG, art. 321-21).

Lorsque les frais de développement sont comptabilisés en charges, cette charge ne doit pas être incorporée dans le coût des stocks sauf si les frais de développement se rapportent à une commande ferme. En effet, en l'absence de commande ferme, les frais ne répondent pas à la définition d'un stock et ne peuvent donc pas être comptabilisés en en-cours de production dans l'attente de leur affectation à la production à venir.

En revanche, lorsque ces frais ont été vendus dans le cadre d'une commande ferme, ils sont comptabilisés en en-cours de production. Dans ce cas, la totalité des frais de développement ainsi stockés peut ensuite être incorporée dans le coût de production des pièces au rythme de leur production et donc sur plusieurs exercices (Annexe I de la note de présentation de l'avis CNC, n°2004-15, § 3.1).

La notion de commande ferme suppose que :

  • la commande du client prévoit le financement de la totalité des travaux de développement,
  • les coûts de développement sont refacturés dans le prix des pièces, dont le nombre est garanti à la commande et permet de couvrir le coût des développements nécessaires.

Le Législateur fiscal s’est aligné sur ces dispositions comptables en réformant en 1984 l’article 236 du code général des impôts, de la manière suivante :

« Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, les dépenses de fonctionnement exposées dans les opérations de recherche scientifique ou technique peuvent, au choix de l'entreprise, être immobilisées ou déduites des résultats de l'année ou de l'exercice au cours duquel elles ont été exposées. Lorsqu'une entreprise a choisi de les déduire, ces dépenses ne peuvent pas être prises en compte dans l'évaluation du coût des stocks. Ces dispositions sont applicables aux dépenses exposées dans les opérations de conception de logiciels ».

La Loi fiscale semblait donc aller au-delà des prescriptions comptables puisqu’elle n’envisageait pas d’exception pour les coûts de développement engagés dans le cadre de commandes fermes.

En revanche, la doctrine administrative avait continué à se référer aux règles comptables précitées en indiquant que les dépenses ayant une contrepartie spécifique, c'est-à-dire engagées pour la réalisation de commandes de tiers, doivent s'incorporer au coût de revient des commandes qui figurent dans les comptes de stocks ou travaux en cours, que les coûts de développement aient été passés en charges (BOI 4 A-13-05, n°155 ; BOI 4 C-7-84, n°28 et 29 ; D. adm. 4 A-2521, n°35) ou qu'ils aient été immobilisés (BOI 4 A-13-05, n°157).

Il était donc permis de s’interroger sur la légalité de cette doctrine administrative au regard des dispositions précises de l’article 236-I précité d’autant plus que sur le fondement de cette doctrine, plusieurs vérificateurs ont entrepris de redresser les dépenses de R&D de sous-traitants industriels, en particulier dans le secteur des équipementiers automobiles.

C’est pourquoi un contribuable avait déposé devant le Conseil d'Etat un recours pour excès de pouvoir afin de faire juger que l’instruction précitée était illégale en ce qu’elle ajoutait aux dispositions de l’article 236-1 qui laissait au contribuable un choix total entre immobilisations et charges sans restreindre celui-ci en cas de dépenses engagées dans le cadre d’une commande de tiers.

Par une décision en date du 11 juillet 2011 (n°340202), le Conseil d'Etat, s’appuyant sur les travaux parlementaires, a rejeté le recours et validé la doctrine administrative au motif que les dépenses de R&D engagées dans le cadre d’une commande de tiers ne sont pas susceptibles d’être immobilisées et ne relèvent donc pas de l’option ouverte par l’article 236 du code général des impôts. Ces dépenses devraient alors être stockées.

2- Tenu par les termes du recours, l’arrêt du Conseil d'Etat laisse le débat ouvert au fond

A ce stade, on pourrait déduire de cette position que toutes les dépenses de R&D engagées par une entreprise afin de répondre à une demande d’une autre entreprise devraient être incluses dans les encours de production et que l’option visée à l’article 236-1 du code général des impôts leur est définitivement fermée.

Cette position présume largement de celle du Conseil d'Etat.

En effet, faute de préciser la notion de « recherches ayant une contrepartie spécifique, c'est-à-dire engagées pour la réalisation de commandes de tiers (par exemple en sous-traitance) », le Conseil d'Etat laisse en suspens la question.

En effet, il arrive assez fréquemment dans certains secteurs, que des appels d’offres visent à sélectionner un prestataire industriel qui s’engage sur des prix et des capacités de développement industriel sans pour autant recevoir en contrepartie une commande ferme en volume. De ce fait, le contribuable retenu bénéficie d’une exclusivité pour participer à un programme sans être garanti de produire un volume suffisant pour couvrir ses frais de recherches.

En application des principes comptables rappelés ci-dessus, il nous semble que dans ce cadre, de telles dépenses devraient être exclues des stocks (sauf à ce que l’entreprise ait choisi de les immobiliser).

Telle était au demeurant la position de Monsieur OLLEON, Rapporteur public de l’affaire jugée en juillet par le Conseil d'Etat puisqu’après avoir conclu dans le sens retenu par l’arrêt, il indiquait :

« Frais de développement comptabilisés en charges : il faut distinguer deux cas de figure :

  • Si les frais se rapportent à la production de l’exercice, sans contrepartie (en vue de clients potentiels par exemple ou pour développer le potentiel de recherche de la firme) : les frais ne répondent pas à la définition d’un stock et ne peuvent donc pas être comptabilisés en en-cours de production. Selon l’article 236-I, si l’entreprise a opté pour la comptabilisation en charge, ces frais ne peuvent pas être repris dans l’évaluation des stocks : il faut donc un retraitement pour la détermination du résultat fiscal.
  • Si les frais ont comme contrepartie une commande ferme (une société tierce finance la totalité des coûts de développement) : ils répondent à la définition d’un stock et peuvent être comptabilisés en en-cours de production. Fiscalement, les dépenses doivent s’incorporer au coût de revient des commandes qui figurent dans les comptes de stock ou travaux en cours, qu’ils aient été immobilisés ou passés en charge. Ils sont donc exclus de l’option de l’article 236-I. »

Ainsi, Monsieur OLLEON rappelait-il bien que, conformément aux principes comptables, la notion de contrepartie spécifique doit se comprendre comme celle de « commande ferme », situation dans laquelle l’entreprise « sous-traitante » (ou co-traitante) ne prend aucun risque économique sur ses frais de R&D puisque ceux-ci sont soit financés directement (achat d’études par exemple), soit inclus dans le prix des pièces commandées dont le volume est précisément déterminé dès la commande.

Ce nouveau point de controverse devra sans doute être tranché à l’avenir par le juge qui sera alors conduit à déterminer précisément les notions de « commandes spécifiques » et de « commandes fermes ».

Notons que si le juge devait, ce que nous ne croyons pas, se prononcer en faveur de la thèse de l’intégration en stocks des dépense de R&D sans commande ferme en volume, la portée de l’option visée à l’article 236-1 du CGI pourrait être considérablement réduite, non seulement pour les entreprises sous-traitantes mais également sans doute pour l’ensemble des sociétés ayant des dépenses de R&D spécifiques à un produit donné.


Par Arnaud Donguy, avocat associé,

Article paru dans la revue Option Finance du 19 décembre 2011

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Arnaud Donguy
Associé
Paris