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La loyauté des négociations n’interdit pas nécessairement l’existence d’échanges bilatéraux

14/04/2017

Cass. soc., 8 mars 2017, n° 15-18.080

Avant l’entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016 (n° 2016-1088), il n’existait pas de dispositions légales générales fixant les principes propres à assurer la loyauté des négociations. La Cour de cassation a donc progressivement dégagé les règles applicables à la négociation et à la conclusion des accords collectifs. C’est ainsi que la Chambre sociale décide de façon constante que l’employeur doit convoquer toutes les organisations syndicales représentatives aux réunions de négociation ou de révision d’un accord collectif (Cass. soc., 17 sept. 2003, n° 01-10.706), cette obligation étant prescrite à peine de nullité de l’accord conclu (Cass. soc., 26 mars 2002, n° 00-17.231).

Or, il est courant que les partenaires sociaux conviennent d’un délai de signature entre la date de la dernière réunion de négociation et la date de signature effective de l’accord. L’accord collectif est, aux termes de l’article L. 2231-3 du Code du travail, un acte écrit à peine de nullité. Il doit être signé des deux parties. Il en résulte que, tant qu’il n’a pas été effectivement signé, il ne constitue qu'un simple projet susceptible d’être modifié par les parties.

Ainsi, cette pratique a conduit la Cour de cassation à préciser sa jurisprudence en énonçant les conditions dans lesquelles des modifications peuvent être apportées à l’accord dans ce délai, sans contrevenir au principe de loyauté qui doit présider à toute négociation.

En conséquence, dans le cas d’une organisation syndicale qui demandait l’annulation de l’accord collectif au motif que des modifications avaient été apportées au projet final distribué aux syndicats lors de la dernière réunion de négociation, la Cour, après avoir rappelé le principe selon lequel la nullité d’un accord est encourue lorsque toutes les organisations syndicales représentatives n’ont pas été invitées à sa négociation, a décidé « qu’une organisation n’était pas fondée à critiquer les modifications apportées au projet d’accord soumis à la signature après la dernière séance de négociation dès lors que l'existence de négociations séparées n’était pas établie et lorsque ni cette partie ni aucune partie à la négociation n’avait sollicité la réouverture des négociations en raison de ces modifications », ce dont il résultait que l’accord n’était pas nul (Cass. soc., 12 oct. 2006, n° 05-15.069).

Dans une décision de principe ultérieure, la Chambre sociale a énoncé, les situations susceptibles de constituer des manquements à l’obligation de négocier avec toutes les organisations syndicales représentatives et d’entraîner par voie de conséquence, la nullité de l’accord conclu (Cass. soc., 10 oct. 2007, n° 06-42.721) :

  • le défaut de convocation de toutes les organisations syndicales à sa négociation ;
  • l'existence de négociations séparées ;
  • le fait que les parties n'aient pas été mises à même de discuter les termes du projet soumis à la signature en demandant, le cas échéant, la poursuite des négociations jusqu'à la procédure prévue pour celle-ci.

L’arrêt du 8 mars 2017 (n° 15-18.080) reprend à l’identique cette solution de principe. En l’espèce, une organisation syndicale avait saisi le tribunal de grande instance aux fins d’obtenir l’annulation de l’accord conclu au motif qu’aucune réunion plénière ne s’était tenue avant la soumission du texte définitif à la signature des parties, que le projet de texte initial était différent du texte définitif et n’avait été soumis qu’à des rencontres bilatérales et enfin que le syndicat avait demandé en vain la poursuite des négociations avant la signature.

Pourtant, la Chambre sociale approuve les juges du fond d’avoir décidé que la négociation avait été régulière au motif que, « si des échanges bilatéraux ont bien eu lieu pendant une suspension de séance, le syndicat demandeur qui y avait été convié avait refusé d’y participer et un dernier projet d’accord avait été soumis aux organisations syndicales lors de la reprise de séance, ce dont il résultait qu’il n’y avait pas eu de négociations séparées ». Le syndicat demandeur n’était donc pas fondé à retenir l’existence de manœuvres déloyales de la part des autres parties à la négociation.

Ainsi, bien que le juge ait reconnu l’existence « d’échanges bilatéraux » entre la partie employeur et les syndicats de salariés, ceux-ci ne caractérisaient pas l’existence de négociations séparées qui eut été une cause de nullité de l’accord. Cela tient certainement au fait que le syndicat en cause y avait été convié mais avait refusé d’y participer. Or, si l’employeur a l’obligation convoquer toutes les organisations syndicales à la négociation, le refus de certaines organisations d’y participer ne lui interdit pas de poursuivre les négociations.

De surcroît, le texte modifié à la suite de ces échanges avait été soumis à l’ensemble des organisations syndicales ce dont il résultait que toutes les organisations syndicales avaient été mises en mesure de présenter leurs observations sur ce projet. C’est pourquoi la Chambre sociale a décidé en l’espèce que la négociation était régulière. Afin d'éviter tout risque de nullité lié à la modification de l’accord pendant le délai de signature, il conviendrait de reconvoquer systématiquement toutes les organisations syndicales à une nouvelle réunion de négociation afin qu'elles puissent toutes être mises en situation d’en discuter les termes.

Une telle procédure pourrait être expressément insérée dans un accord de méthode, tel qu’il est désormais prévu par l’article L. 2222-3-1 du Code du travail, issu de la loi du 8 août 2016. L’objectif affiché de ce texte, dont la mise en place s’inspire directement du rapport Combrexelle, est de donner aux partenaires sociaux la possibilité de « définir la méthode permettant à la négociation de s’accomplir dans des conditions de loyauté et de confiance mutuelle entre les parties ». Cet accord, qui peut être conclu à tous les niveaux de négociation, précise la nature des informations partagées entre les négociateurs, définit les principales étapes du déroulement des négociations et peut prévoir des moyens supplémentaires ou spécifiques propres à en assurer le déroulement. La méconnaissance de l’accord de méthode, à moins qu’elle porte sur la loyauté des négociations, n’est, sauf stipulation contraire, pas de nature à entraîner la nullité des accords conclus. On peut toutefois supposer que, lorsque l'accord de méthode a été respecté, les contestations portant sur la loyauté des négociations seront en principe écartées par le juge.