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Les entreprises ont-elles bien pris toute la mesure du changement de nature du crédit d’impôt recherche ?

11/08/2011


Parmi les changements majeurs intervenus depuis 2008, celui concernant les modalités requises pour bénéficier du CIR mérite une attention particulière

Le succès du CIR ne se dément pas et le Rapport au Parlement sur le crédit d’impôt recherche 2010, quatrième du genre, établi sur les données 2008 par les soins des services du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche en avril 2011 en fait un constat clair et documenté. Ainsi, 15.479 entreprises ont eu recours à ce dispositif pour une enveloppe globale de 4,7 milliards d’euros au titre de 2009.

Ce succès est tel qu’outre les conséquences budgétaires, le législateur est attentif aux éventuels effets d’aubaine et abus. C’est la raison pour laquelle, sans doute, il s’emploie à aménager sans cesse le dispositif.

I - Un dispositif phare pour l’attractivité fiscale de la France soumis à de fréquentes adaptations

La loi de finances pour 2011 a, sans surprise, apporté son lot de modifications et d’aménagements du dispositif, combinant mesures à fort pouvoir d’annonce et mesures techniques aux conséquences lourdes.

Au titre des mesures à fort pouvoir d’annonce figure la réduction - pour les dépenses exposées à compter du 1er janvier 2011 - des taux bonifiés réservés aux « primo-accédants » au titre des deux premières années d’application du régime, qui sont désormais de 40% et 35% au lieu de 50% et 40%. Relève également de cette catégorie la mesure qui consiste à déduire du montant des dépenses de recherche éligibles les rémunérations proportionnelles ou forfaitaires versées par les entreprises à des tiers en rémunération des prestations rendues pour l’octroi du CIR.

Au titre des mesures techniques figure notamment la modification affectant le calcul des dépenses de fonctionnement, lesquelles sont, à compter des dépenses exposées en 2011, évaluées à 50% des dépenses de personnel (soit une réduction de 25%) et - ce qui est nouveau - à 75% des dotations aux amortissements des immobilisations affectées aux opérations de recherche. Relève également de cette catégorie l’instauration d’un plafond des dépenses confiées à des organismes de recherche privés à trois fois le montant total des autres dépenses de recherche.

Les modalités de calcul du CIR évoluent donc en permanence, quitte à dérouter et inquiéter les investisseurs, particulièrement les investisseurs étrangers, désireux avant tout de disposer de prévisions fiables et d’une sécurité juridique en la matière.

II - Depuis la réforme du dispositif de 2008, le bénéfice du CIR n’est plus subordonné à l’exercice d’une option

Dans ce contexte de changements fréquents de la norme, un élément favorable aux contribuables est encore peu connu des entreprises. Le Rapport au Parlement précité le met en évidence : depuis 2008, le bénéfice du dispositif du CIR ne procède plus d’une décision de gestion de l’entreprise mais d’un droit à part entière.

Autrement dit, le bénéfice du CIR n’est aujourd’hui plus subordonné à l’exercice d’une option de la part du contribuable.

Cette transformation de la nature fiscale du CIR est l’œuvre de la loi de finances pour 2008 qui a procédé à la réécriture de l’article 244 quater B du CGI en abolissant la part en accroissement du CIR et en supprimant le caractère optionnel du dispositif.

Auparavant, l’article 244 quater B du CGI disposait que le bénéfice du CIR s’appliquait sur « option annuelle de l’entreprise ». Le texte de l’article 244 quater B du CGI dans sa version actuelle ne fait plus référence à l’exercice d’une option et il en va de même de celui de l’article 49 septies M de l’annexe III audit code traitant des modalités déclaratives tel qu’il a été modifié par le décret n° 2008-590 du 23 juin 2008.

Ce changement de nature, méconnu des entreprises, emporte pourtant pour elles des conséquences juridiques et pratiques importantes.

En premier lieu, la souscription et le dépôt par un contribuable de la déclaration 2069 A postérieurement à la date du relevé de solde de l’impôt sur les sociétés n’emporte plus la perte pour lui du droit de bénéficier du CIR au motif que ce dépôt tardif serait réputé caractériser une renonciation à l’exercice du crédit.

En second lieu, un contribuable est fondé à demander le bénéfice du CIR jusqu’au terme du délai de réclamation contentieuse. Il est ainsi possible à une entreprise de demander par voie de réclamation en 2011 le bénéfice du CIR au titre de l’année 2009.

Sous l’empire du dispositif antérieur, dans les situations ci-dessus, c’était la solution inverse qui prévalait. Toute possibilité de rattrapage paraissait bien devoir être écartée en application de la jurisprudence du Conseil d’Etat issue d’un arrêt du 1er octobre 2001 (LEREM) : en l’espèce une association - dont le caractère non lucratif avait été remis en cause - avait demandé rétroactivement le bénéfice du CIR au titre des années pour lesquelles elle avait cru à tort que l’option ne lui était pas ouverte faute d’être assujettie à l’impôt sur les sociétés. Le Conseil d’Etat a considéré que les textes en vigueur n’autorisaient aucune option rétroactive et que le bénéfice du CIR pour les années concernées était subordonné à l’exercice d’une option à exercer au plus tard à la date prévue pour le dépôt de la déclaration annuelle de résultat de sorte que l’association, n’ayant pas respecté en temps utile cette obligation, ne pouvait bénéficier du CIR.

Le changement de nature du CIR introduit de la souplesse dans la gestion du CIR même s’il est évident que l’intérêt du plus grand nombre des entreprises sera de gérer le CIR en « temps réel ».

Ces conséquences pratiques sont relevées par les auteurs du rapport précité lorsqu’ils évoquent le logiciel spécifique du Ministère de la Recherche qui, pour chaque entreprise, archive l’historique des déclarations et des procédures.

A notre connaissance, l’administration fiscale ne s’est pas prononcée sur les conséquences liées à ce changement de nature même s’il semble qu’elle en a déjà tiré des conséquences pratiques, en particulier s’agissant des groupes intégrés fiscalement. Il n’est ainsi plus exigé d’une société à la tête d’un groupe fiscalement intégré, au sein duquel une filiale intégrée expose des dépenses de recherches éligibles au dispositif du CIR, de souscrire une déclaration 2069 A, alors même qu’elle n’expose personnellement aucune dépense éligible, afin de formaliser une option globale pour l’ensemble des sociétés du groupe.

III - La mise en œuvre du droit au CIR a posteriori soulève des difficultés qui ne sont pas toutes résolues à ce jour

Ce droit au CIR n’est pas sans contrainte. L’entreprise qui entend bénéficier du CIR tardivement doit déposer, outre la déclaration 2069 A, un dossier complet contenant toutes les pièces et informations justificatives requises. L’expérience montre que la constitution d’un dossier CIR pour un dépôt à la date du relevé de solde est une tâche importante mobilisant les ressources internes et externes de l’entreprise. Le travail et les coûts liés attachés à un tel travail au titre d’années écoulées ne doivent pas être mésestimés.

Il reste un certain nombre de difficultés pratiques à clarifier, principalement celles qui sont liées aux modalités de calcul de la période précédant le remboursement de la créance de CIR lorsque celle-ci n’a pas pu être utilisée pour le paiement de l’impôt sur les sociétés. On sait en effet que dans le cas général prévu à l’article 199 ter du CGI, le CIR est imputé sur l’impôt sur les sociétés dû par le contribuable au titre de l’année au cours de laquelle les dépenses de recherche ont été exposées, que l’excédent de CIR constitue une créance sur le Trésor utilisée selon les mêmes modalités pendant la période des trois années suivantes et que ce n’est qu’à l’issue de cette période que la créance résiduelle est remboursée.

Ainsi, lorsque le CIR est demandé a posteriori dans le cadre d’une réclamation, la question qui se pose est celle de déterminer le point de départ de la période de trois ans au titre de laquelle la créance sur le Trésor sert au paiement de l’impôt : l’année du millésime du CIR ou l’année au titre de laquelle intervient la demande de CIR ? Cette difficulté est encore accrue pour le CIR correspondant aux dépenses exposées au cours des années 2008 et 2009 du fait du dispositif exceptionnel et généralisé de remboursement immédiat du CIR dans le cadre du plan de relance de l’économie adopté par le gouvernement. Ainsi une réclamation faite en 2010 au titre du CIR 2008 pourrait-elle donner lieu à un remboursement immédiat ?

Ces difficultés devront être levées au cas par cas.

Il n’en demeure pas moins que l’acquisition d’un droit nouveau doit toujours être saluée ce qui nous semblait avoir été quelque peu négligé jusqu’à aujourd’hui.


Par Jean-René Bénichou, avocat associé CMS Bureau Francis Lefebvre
et Gilles Coumert, avocat associé CMS Bureau Francis Lebvre Lyon

Article paru dans la revue Option Finance du 11 juillet 2011

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