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Tous les associés doivent-ils adhérer à la raison d’être de leur société ?

L’insertion d’une raison d’être dans les statuts ne fait pas l’objet de règles particulières

05/08/2019

L’insertion d’une raison d’être dans les statuts, prévue par la loi PACTE du 22 mai 2019, ne fait pas l’objet de règles particulières quant aux modalités de la décision des associés : il devrait donc s’agir d’une modification statutaire comme les autres. Il est par conséquent possible qu’un associé minoritaire se voie imposer par une décision de la majorité une raison d’être avec laquelle il serait en désaccord. Dispose-t-il alors d’une voie de sortie ?

La loi PACTE du 22 mai 2019 a permis aux sociétés de « préciser une raison d'être » dans leurs statuts, celle-ci étant « constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité », selon les termes ajoutés par le législateur à l’article 1835 du Code civil. Cette innovation suscite un intérêt croissant des entreprises françaises. Plusieurs de nos plus grandes sociétés, ATOS et Carrefour en tête, se sont immédiatement emparé du nouveau dispositif, et ont procédé, dès leurs assemblées du printemps 2019, à la modification de leurs statuts. De nombreuses autres sociétés disent aujourd’hui réfléchir à leur raison d’être, même si cela ne se traduit pas toujours par un ajout opéré dans leurs statuts. Au-delà de l’affichage de principes vertueux, la nouvelle notion sert aussi à préciser le projet mené par la société, qui ne se résume pas à son objet social, c’est-à-dire à une ou plusieurs activités économiques, mais consiste aussi en la recherche d’objectifs supérieurs.

La définition de la raison d’être est simple, tout en donnant à chaque société une grande latitude pour choisir les principes dont elle entend se doter. Au-delà de cette simplicité, il faut bien constater que la loi PACTE n’a pas précisé les conditions de l’adoption d’une raison d’être. Il faut ajouter aux statuts, et donc modifier ceux-ci, mais est-il concevable que la définition de la raison d’être de la société, de ce qui doit constituer son essence, soit une modification statutaire comme les autres ?

I – Les conditions de l’adoption d’une raison d’être

Le législateur n’a pas prévu de règle particulière quant à la décision d’insertion d’une raison d’être dans les statuts. S’agissant d’une insertion dans les statuts, et donc d’une modification de ceux-ci, se pose la question des conditions dans lesquelles les associés peuvent procéder à cette modification du pacte sociétaire.

Dans la plupart des sociétés, la modification des statuts se fait à la majorité, mais à une majorité qualifiée. Dans la SA, il est ainsi prévu que l’assemblée générale extraordinaire, compétente pour modifier les statuts, statue à la majorité des deux tiers des voix dont disposent les actionnaires présents ou représentés (art. L. 225-96 du Code de commerce), tandis que dans les SARL, une majorité des trois quarts des parts sociales ou des deux tiers des parts détenues par les associés présents ou représentés est exigée, en fonction de la date de constitution de la société (art. L. 223-30). Dans les SAS, le législateur a laissé aux associés la possibilité de définir dans les statuts si la modification de ces derniers se fait à la majorité, et le cas échéant, de définir cette majorité, ou si c’est à l’unanimité (art. L. 227-9). Dans les sociétés de personnes enfin, comme les sociétés civiles et les SNC, la règle est l’unanimité, sauf à ce que les statuts aient prévu une majorité particulière requise.

Mais l’adoption d’une raison d’être est-elle une modification statutaire comme les autres ?

Même lorsque la loi ou les statuts prévoient que les modifications statutaires sont décidées à la majorité, certaines modifications supposent une décision prise à l’unanimité des associés. Lorsque la société entend augmenter les engagements de ses associés, il faut recueillir le consentement de chacun, ce qui suppose en pratique l’unanimité si la modification a un impact qui concerne tous les associés (art. 1836 du Code civil). Par ailleurs, certaines modifications considérées comme radicales supposent aussi une décision unanime. Ces modifications sont relativement peu nombreuses : on peut citer le changement de nationalité de la société, la décision de transformation d’une société en SAS, l’insertion dans les statuts d’une SAS de certaines clauses, comme une clause rendant inaliénables les actions émises par la société (les clauses d’agrément ne sont plus concernées depuis 2017 et la loi Soilihi de simplification du droit des sociétés, adoptée définitivement le 10 juillet 2019, soustrait au champ de l’unanimité obligatoire les clauses d’exclusion). A l’origine de cette exigence de l’unanimité, on trouve la même raison : parce que les engagements des associés augmentent d’une manière qui n’était pas prévisible dans leur accord initial, ou parce que la situation de départ connaît un bouleversement, l’accord de chaque associé est exigé.

Le changement qu’implique l’adoption d’une raison d’être est-il tel que, alors même que la loi ou les statuts ne disent rien sur ce point, une décision unanime des associés serait tout de même nécessaire ? L’unanimité des associés n’est bien entendu pas facile à obtenir, et au-delà d’un certain nombre d’associés, il est à peu près certain que l’accord de tous ne sera jamais obtenu, ne serait-ce que parce que l’unanimité se calcule en principe sur l’ensemble des parts ou actions émises par la société, et que la moindre absence compromet donc le vote unanime.

Les mots « raison d’être » perturbent : est-il concevable d’être associé si l’on n’est pas en accord avec la raison d’exister de la société ? On peut aussi se dire que ces « principes » dont la société se dote et qu’elle entend mettre en œuvre en leur affectant des moyens ne sont qu’une précision apportée quant à la manière dont la société entend fonctionner, et dont elle souhaite voir ses dirigeants prendre la mesure. A cette aune, la raison d’être ne fait que constater quelque chose qui allait déjà de soi, un consensus implicite des associés qui n’avait pas encore été exprimé dans les statuts. Le caractère quelque peu évanescent des principes retenus peut aussi contribuer à éteindre le débat…

II - Que faire lorsque la société se dote d’une raison d’être inacceptable pour un associé ? 

Il y a un côté troublant dans le fait de doter la société d’une raison d’être alors que l’entité est déjà constituée et fonctionne depuis un certain temps. On peut certes se dire que l’on ne fera que constater une raison d’être qui, finalement, réunit les associés depuis toujours, ou du moins depuis la constitution de la société, ou leur adhésion aux statuts. Mais que doit faire l’associé qui voit la société dont il détient des actions depuis vingt ans, et qui a un très fort affectio societatis, adopter une raison d’être qui n’est pas conforme à sa propre conception et à ses valeurs ?

Il sera toujours possible à cet associé de tenter de trouver une sortie négociée. Les autres associés accepteront peut-être de racheter sa participation. Les pactes d’associés et les différents accords contractuels qui peuvent être conclus auront désormais intérêt à envisager cette hypothèse d’évolution de la société.

Si l’on poursuit la réflexion, il est à se demander si dans les sociétés cotées, l’adoption d’une raison d’être ne doit pas être vue comme une modification statutaire de nature à imposer aux actionnaires contrôlant la société de mettre en œuvre une procédure de retrait pour permettre aux autres actionnaires de céder leurs titres. On sait que sont concernées les « modifications significatives des dispositions statutaires, notamment relatives à la forme de la société » et les décisions de « réorientation de l'activité sociale », conformément à l’art. L. 433-4, I du Code monétaire et financier et à l’art. 236-6 du Règlement général de l’Autorité des marchés financiers. Cette autorité apprécie les conséquences de l’opération au regard des droits et des intérêts des détenteurs de titres de capital ou de droits de vote de la société pour décider s'il y a lieu de mettre en œuvre une offre publique de retrait.

La question se posera donc de savoir si des actionnaires sont fondés à sortir de la société, simplement parce que celle-ci se sera dotée d’une raison d’être. Ce serait là un effet inattendu de cette innovation portée par le législateur, sans doute à rebours de ce qu’il avait imaginé ! On se rassurera en relisant les différentes raisons d’être des sociétés qui ont fait aujourd’hui la démarche : il est peu probable que les termes retenus, souvent très généraux, parfois à la limite du compréhensible, soient de nature à susciter un inconfort tel chez les associés qu’ils veuillent quitter la société maintenant qu’elle a exprimé sa raison d’être dans ses statuts.

Article paru dans Option Droit & Affaires le 25 juillet 2019


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