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« CDG Express »

conséquences juridiques des modifications substantielles d’une déclaration d'utilité publique

13/02/2019

En rejetant les recours introduits contre la déclaration d’utilité publique modifiée du projet de liaison ferroviaire entre Paris et l’aéroport Charles de Gaulle, le Conseil d’État détaillait les conditions de légalité de la seconde déclaration d’utilité publique adoptée à la suite de modifications substantielles apportées au projet déjà déclaré d’utilité publique.

Ce faisant, la Haute Juridiction apportait des précisions bienvenues concernant la notion de modifications substantielles justifiant la tenue d’une nouvelle enquête publique, puis l’adoption d’un nouvel acte déclaratif, mais également sur la nécessité d’actualiser les éléments du projet soumis à nouvelle enquête publique, tant sur le plan contextuel que réglementaire. 

CE, 22 oct. 2018, n°411086, Cne Mitry-Mory et a. : JurisData n°2018-018508

Note :

Initié au début des années 2000, maintes fois revu et discuté, le projet de liaison ferroviaire « CDG Express » vise à réaliser une liaison ferroviaire rapide (20 minutes), directe et à haut niveau de service entre Paris et l'aéroport Paris-Charles de Gaulle. Ce projet est lancé vers une mise en service pour la fin d’année 2023, juste à temps pour l’accueil des Jeux Olympiques de Paris 2024.

Enlisé, le projet était relancé par la loi Macron du 6 août 2015 (L. n°2015-990, 6 août 2015, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, art. 8 : JO 7 août 2015) qui autorisait le Gouvernement, par son article 8, à prendre par ordonnance « toute mesure relevant du domaine de la loi permettant la réalisation d'une infrastructure ferroviaire entre Paris et l'aéroport Paris-Charles-de-Gaulle, notamment en modifiant l'article L. 2111- 3 du code des transports ». C'est sur ce fondement que le Gouvernement publiait l’ordonnance du 18 février 2016 (Ord. n°2016-157, 18 févr. 2016 relative à la réalisation d'une infrastructure ferroviaire entre Paris et l'aéroport Paris-Charles de Gaulle : JO 19 févr. 2016), qui confiait la conception, le financement, la réalisation et l'exploitation de l'infrastructure ferroviaire du CDG Express à une société, filiale de l'établissement public SNCF Réseau et de la société anonyme Aéroports de Paris, dans le cadre d'un contrat de concession de travaux. Cette ordonnance était ratifiée par la loi du 28 décembre 2016 (L. n°2016-1887, 28 déc. 2016, relative à une liaison ferroviaire entre Paris et l’aéroport Paris-Charles de Gaulle, art. 1er : JO 29 déc. 2016).

Avant la concrétisation de ce montage juridique, il était nécessaire de faire déclarer d’utilité publique ce projet en  vue notamment d’organiser les expropriations rendues nécessaires pour la réalisation des travaux (32 kilomètres de voies entre la gare de l’Est et le Terminal 2 de l’aéroport, dont 22 existantes).

Par arrêté inter-préfectoral n°2008/2250 du 19 décembre 2008, le projet était déclaré d’utilité publique, au profit de l’État, en vue de procéder aux expropriations nécessaires, dans un délai de 5 ans ; délai ensuite prorogé d’une nouvelle période de 5 ans par un arrêté inter-préfectoral n°2013-336-0013 du 2 décembre 2013. L’arrêté du 19 décembre 2008 emportait également mise en compatibilité des dispositions des documents d’urbanisme de Paris (75), de Mitry-Mory (77), du Bourget et de Tremblay-en-France (93).

Le montage juridico-contractuel ayant été postérieurement décidé, cette évolution du contexte juridique et financier du projet (taxe versée par les voyageurs aériens, hors ceux en correspondance ; réévaluation du coût du projet) justifiait l’organisation d’une nouvelle enquête publique entre le 8 juin 2016 et le 12 juillet 2016, en vue notamment de porter à la connaissance du public les diverses modifications intervenues.

En conséquence, un arrêté inter-préfectoral n°75-2017-03-31-010 du 31 mars 2017 portait modification de l’arrêté initial de 2008, afin de déclarer d’utilité publique le projet ainsi amendé et modifiait en conséquence l’arrêté du 19 décembre 2018.

Par deux requêtes enregistrées le 31 mai et le 2 juin 2017, le Conseil d’État était directement saisi notamment par l’association contre le projet de CDG Express, l’association Pouvoir citoyen, ainsi que la commune de Mitry Mory et l’association Non au CDG Express, lesquels arguaient de l’illégalité de l’enquête publique ainsi menée et de l’absence d’utilité publique du projet.

Par la décision commentée (CE, 22 oct. 2018, n°411086, Cne Mitry-Mory et a.), le Conseil d’État rejetait les recours en étant amené à préciser les conditions de légalité de la seconde déclaration d’utilité publique, adoptée à la suite des modifications substantielles. En définitive, il relevait que la procédure suivie pour l’adoption de cet arrêté avait été régulière et reconnaissait au fond l’utilité publique du projet amendé.

Cette décision venait ainsi réaffirmer que la modification de la déclaration d’utilité publique réalisée à la suite de modifications substantielles du projet initial nécessitait une nouvelle enquête publique (1), dont le contenu était surtout précisé (2)

1.   Modifications substantielles et nouvelle enquête publique

Après un retour sur la délicate appréciation de la notion de modifications substantielles (A), la portée de la décision commentée sera soulignée, à savoir la réaffirmation du principe d’une nouvelle enquête publique en cas de modification de la déclaration d’utilité publique intervenue à la suite de modifications substantielles du projet initial (B)

A - La délicate notion de « modifications substantielles » 

En matière d’expropriation pour cause d’utilité publique, l’équilibre entre atouts et inconvénients d’un projet s’appréciant globalement, il était toujours compliqué de dégager une définition stable de la notion de modifications substantielles.

Par exemple, le Conseil d’État considérait que la suppression d’un échangeur autoroutier (travaux de construction de l’autoroute A 14 au niveau de Saint-Germain-en-Laye) constituait une modification substantielle touchant à l’économie générale du projet, « eu égard à la fonction qui lui était donnée dans la conception d’ensemble de l’ouvrage déclaré d’utilité publique » (CE, avis, 3 juill. 1990, n°348252, Autoroute A 14).

En sens contraire pour des travaux également autoroutiers (autoroute A 85 Angers-Tours), la Haute Juridiction relevait que les améliorations apportées au projet induisant un surcoût de 22 % par rapport à l’estimation sommaire ne pouvaient être regardées comme des « modifications substantielles de l’implantation de l’ouvrage ou de ses caractéristiques principales et ne remettent pas en cause l’économie générale de celui-ci » (CE, avis, 10 févr. 1994, n°355587, Autoroute A 85).

Cette appréciation se rapprochait de la solution ultérieurement retenue pour une absence de modification substantielle, constituée d’un changement de financement (suppression d’une subvention de l’État de l’ordre de 24 % du coût total de l’opération). Un tel changement « n’impliquait pas en l’espèce une modification substantielle des conditions d’exploitation de l’ouvrage ni de l’économie générale du projet, dont le coût global n’était pas sensiblement accru et dont les caractéristiques physiques demeuraient inchangées » (CE, 22 juin 2005, n°355587, Assoc. Clermont-Ferrand et a.).

Par ailleurs, ne représentait pas une modification substantielle affectant les caractéristiques essentielles de l’opération (liaison entre les autoroutes A 86 et A 1) la réalisation de trois voies, et non deux (CE, 2 juill. 2001, n°211231, Cne La Courneuve : JurisData n°2001-062729). Plus récemment, et c’est une solution des plus logiques, le juge administratif considérait que « la modification par l'arrêté litigieux du bénéficiaire de l'expropriation éventuelle d'une partie des parcelles concernées par le projet d'aménagement » ne constituait pas une modification substantielle susceptible d'avoir eu une incidence sur l'économie générale du projet et nécessitant de ce fait qu'il soit procédé à une nouvelle enquête publique (CAA Versailles, 20 sept. 2018, n°17VE01307, ZAC Centre-Ville Draveil : JurisData n°2018-019142).

Aux termes de la décision commentée, le Conseil d’État jugeait que les modifications apportées au montage juridico-financier, induisant un surcoût de 81 %, constituaient des modifications substantielles, sans faire référence aux deux conditions généralement appréciées lors des jurisprudences antérieures pour définir une modification substantielle (porter sur l’implantation de l’ouvrage ou ses caractéristiques essentielles, d’une part, et bouleverser l’économie générale du projet, d’autre part). Il semblerait que cette décision soit la première à reconnaître comme substantielles des modifications entraînant une augmentation du coût de l’opération, alors qu’une modification était antérieurement admise comme substantielle au sujet de modifications portées aux caractéristiques physiques de l’ouvrage.

B - La tenue ou non d’une nouvelle enquête publique 

Le principe d’une nouvelle enquête publique était posé à l’occasion du litige précité relatif aux travaux de  l’autoroute A 14 (CE, avis, 3 juill. 1990, Autoroute A 14, préc.). S’il appartenait à l’Administration de modifier le projet, en prévoyant notamment la suppression de l’échangeur autoroutier, les conséquences de telles modifications substantielles touchant à l’économie générale du projet justifiaient donc l’organisation d’une nouvelle enquête publique. S’agissant des travaux de l’autoroute A 85 Angers-Tours, le Conseil d’État, saisi pour avis, considérait que les modifications apportées (améliorations induisant un surcoût des travaux) n’étant pas substantielles, il n’était pas nécessaire d’adopter après nouvelle enquête publique, un décret modificatif (CE, avis, 10 févr. 1994, Autoroute A 85, préc.). En outre, il était ultérieurement précisé, à l’occasion du même litige objet de cet avis, que si une nouvelle enquête s’avérait nécessaire, elle pourrait n’être limitée qu’à la portion du projet faisant l’objet de modifications, à condition que les modifications aient un caractère divisible et puissent faire l’objet d’un traitement distinct par rapport aux autres ouvrages sans remettre en cause l’économie générale du projet (CE, 18 févr. 1998, n°178423, Assoc. pour la sauvegarde de la Région de Langeais).

Dans l’hypothèse d’une suppression d’une subvention de l’État n’impliquant pas une modification substantielle, il était logiquement considéré qu’une modification non substantielle ne rendait pas nécessaire la tenue d’une  nouvelle enquête publique (CE, 22 juin 2005, n°355587, Assoc. Clermont-Ferrand et a., préc. – Autre illustration : CAA Versailles, 20 sept. 2018, n°17VE01307, ZAC Centre-Ville Draveil, préc.).

S’agissant du litige regardant la liaison autoroutière entre les axes A 86 et A 1, le Conseil d’État réaffirmait le principe selon lequel une modification substantielle donnait lieu à une nouvelle enquête publique, puis à un acte modificatif déclarant l’utilité publique d’un projet (CE, 2 juill. 2001, n°211231, Cne La Courneuve, préc.).

Par la décision ici commentée, le Conseil d’État précisait qu’il résultait de la combinaison de plusieurs articles du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique (C. expr., art. L. 1, L. 121-2 et L. 121-4) que « lorsqu'un projet déclaré d'utilité publique fait l'objet de modifications substantielles durant la période prévue pour procéder aux expropriations nécessaires, sans toutefois qu'elles conduisent à faire regarder celui-ci comme constituant un projet nouveau, il incombe à l'autorité compétente de porter une nouvelle appréciation sur son utilité publique au regard de ces changements et de modifier en conséquence la déclaration d'utilité publique (DUP) initiale ». Toutefois, une telle modification, qui n'a pas pour effet de prolonger la durée pendant laquelle doivent être réalisées les expropriations, ne saurait « légalement intervenir qu'à la suite d'une nouvelle enquête publique, destinée notamment à éclairer le public concerné sur la portée des changements ainsi opérés au regard du contexte dans lequel s'inscrit désormais le projet ». Tout en s’inscrivant dans une jurisprudence constante considérant qu’une modification substantielle entraînait l’organisation d’une nouvelle enquête publique et l’adoption d’un acte modificatif, la présente décision précisait qu’un tel acte modificatif ne saurait avoir pour effet de prolonger la durée pendant laquelle doivent être réalisées les expropriations.

2. Précisions apportées quant au contenu à actualiser du dossier soumis à enquête publique 

Par la présente décision, le Conseil d’État précisait, en cas de tenue d’une nouvelle enquête publique, la nécessité de mettre à jour les éléments contextuels d’un projet modifié (A), ainsi que les éléments réglementaires (B)

A - La nécessaire actualisation contextuelle des éléments du projet

Revenons d’abord sur le raisonnement retenu, étape par étape, par la Haute Juridiction pour écarter l’argumentation des requérants. Au niveau de l’illégalité externe, les requérants soutenaient que la procédure suivie avait été irrégulière. Le Conseil d’État écartait notamment les griefs relatifs à la nouvelle enquête publique, en considérant que le dossier soumis à enquête avait été suffisamment documenté et qu’il avait été bien actualisé pour tenir compte à la fois des modifications substantielles apportées au projet, mais également des évolutions significatives du contexte juridique, social et économique.

Sur le fond, le Conseil d’État reconnaissait l’utilité publique du projet modifié, dès lors qu’il permettait d’améliorer la desserte du deuxième aéroport européen (Roissy-Charles de Gaulle), en le dotant « d'une liaison directe, rapide et assurant un haut niveau de ponctualité, à l'instar des dessertes d'aéroports internationaux d'autres États membres de l'Union européenne, de favoriser le développement économique régional et national, en contribuant à la compétitivité de la région Ile-de-France et de Paris ainsi qu'à la réussite des Jeux Olympiques de 2024 et de s'inscrire, par un mode de transport plus respectueux de l'environnement limitant le recours aux transports routiers, dans le cadre d'un développement durable ». Ce projet comportant de nombreux « bénéfices attendus », le juge  administratif concluait qu’il ne ressortait pas des pièces des « dossiers que ces modifications seraient de nature à lui retirer son caractère d'utilité publique ». Aux termes du fameux bilan coûts-avantages (CE, ass., 28 mai 1971, Ville Nouvelle Est : Lebon, p. 409) qui opère une balance entre les avantages présentés par l’opération projetée et ses inconvénients, il était ici considéré que, même si le coût du projet avait été réévalué, ses avantages excédaient, au regard des objectifs poursuivis, ses inconvénients.

Ce raisonnement rappelé, le premier apport de cette décision, outre la réaffirmation des éléments précités (définition des modifications substantielles, nécessité d’une nouvelle enquête publique), reposait sur la charge incombant au maître d’ouvrage, « de reprendre les éléments du dossier soumis à l'enquête publique initiale en les actualisant pour prendre en compte les modifications substantielles apportées au projet et les évolutions du contexte si ces dernières sont significatives ». En l’espèce, il ressortait des pièces des dossiers que les modifications substantielles apportées au projet « et les évolutions significatives du contexte économique et social dans lequel il s'inscrit, en particulier en matière de déplacements en Île-de-France et d'évolution démographique et sociale de la région », avaient été opportunément appréhendées par une « actualisation des documents pertinents du dossier d'enquête publique ». Plus précisément, il était fait référence à la notice explicative incluant l'appréciation sommaire des dépenses, qui avait été mise à jour pour « prendre en compte les modifications apportées au montage juridique et financier du projet et à l'estimation des coûts ». Partant, la nouvelle évaluation socio-économique prenait « notamment en considération, dans l'estimation du bilan économique et social de la ligne, la révision de son coût ainsi que les modalités de financement et le montage juridique nouveaux, y compris l'éventualité d'un financement par une taxe versée par les voyageurs aériens ». Enfin, l'analyse présentée intégrait également « l'impact estimé de la mise en service du projet de ligne 17 du réseau de transport public du Grand Paris desservant l'aéroport Charles-de-Gaulle depuis la gare de Saint-Denis-Pleyel, ainsi que les nouvelles données disponibles en matière de démographie, d'emploi, de logement et d'utilisation des moyens de transports dans la région ».

B - La nécessaire actualisation réglementaire des éléments du projet 

Rappelant que la procédure d’une telle enquête publique et la composition du dossier sont régies par les dispositions applicables à la date de la décision modifiant la déclaration d'utilité publique, le Conseil d’État en tirait un enseignement complémentaire, en précisant qu’en plus de l’actualisation des évolutions significatives du contexte, il appartenait au maître d'ouvrage « de produire les éléments du dossier soumis à enquête publique nouvellement requis par la réglementation ». En l’occurrence, si les requérants soutenaient que l'étude d'impact figurant dans le dossier d'enquête publique n'aurait pas comporté certaines pièces requises par la réglementation applicable, il ressortait des pièces des dossiers que des éléments relatifs aux principes des modalités de rétablissement des voies (CGPPP, art. L. 2123-9), figuraient dans l'évaluation socio-économique.

De même, le grief des requérants était infondé, dans la mesure où le dossier n’avait pas à comporter certains des documents invoqués (document présentant la compatibilité du projet avec les documents d'urbanisme opposables ainsi qu'avec divers plans, schémas et programmes, évaluation des incidences sur les sites Natura 2000).

En outre, le Conseil d’État considérait que certains éléments figurant déjà dans l’étude d’impact initiale (risques de mouvements de terrain ou de sismicité, présence d'installations classées voisines du projet, risques liés à certains cours d'eau, état des chemins ruraux) étaient suffisamment analysés, dès lors qu’ils n’auraient pas connu des « évolutions significatives nécessitant la mise à jour des pièces de l'étude d'impact initiale reproduites dans le dossier d'enquête publique ».

Enfin, si la juridiction reconnaissait une insuffisance de l’étude acoustique (« l'étude acoustique, fondée sur des mesures datant de 2004, doit être regardée comme obsolète, dans son identification des “points noirs de bruit”, au regard de l'évolution des dessertes ferroviaires comme du bâti environnant », il ne ressortait pas des pièces des dossiers que cette insuffisance, au regard notamment « des nuisances sonores déjà identifiées lors de la première déclaration d'utilité publique », avait eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative. Après avoir « danthonisé » ce dernier moyen (CE, ass., 23 déc. 2011, n°335033, Danthony : JurisData n°2011-029061), puis reconnu au fond l’utilité publique de la nouvelle mouture du projet, le Conseil d’État estimait que les requérants n’étaient pas fondés à demander l’annulation de l’arrêté modificatif du 31 mars 2017.


Article paru dans les Revues Lexisnexis - Energie - Environnement - Infrastructures n°2 de février 2019