L’Autorité de la concurrence a condamné à une amende forfaitaire de 1 million d’euros la société Gaz de Bordeaux pour avoir utilisé abusivement les moyens commerciaux liés à son activité de service public lors de l’ouverture à la concurrence du marché de la fourniture de gaz naturel (Décision 22-D-17 du 11 octobre 2022).
Le contexte : l’ouverture progressive à la concurrence du marché de la fourniture de gaz naturel
Lors de l’ouverture à la concurrence du secteur de la fourniture de gaz au détail en 2007, les consommateurs français sont devenus éligibles aux offres de marché, tout en conservant la possibilité d’opter pour les tarifs réglementés de vente (TRV) proposés par les seuls opérateurs historiques.
La disparition progressive des TRV a débuté le 19 juin 2014. La loi Energie-climat du 8 novembre 2019, qui a entériné cette disparition selon un échéancier précis, a imposé aux fournisseurs historiques de délivrer à leurs clients ayant souscrit un contrat aux TRV une information neutre sur les modalités de disparition de ces tarifs, les modalités de souscription aux offres de marché (OM) proposées en concurrence avec les fournisseurs alternatifs et l'existence d’un comparateur d'offres proposé gratuitement par le médiateur national de l’énergie.
En février 2019, l’Autorité de la concurrence a été saisie par la Commission de régulation de l’énergie de pratiques mises en œuvre entre 2016 et 2019 par la société Gaz de Bordeaux, opérateur historique, dans le secteur de la fourniture de gaz naturel aux clients résidentiels et aux petits clients non-résidentiels consommant moins de 30 MWh/an sur la zone de Bordeaux et des communes voisines.
Plus précisément, il était reproché à Gaz de Bordeaux d’avoir abusé de la position dominante (art. L. 420-2 C. com.) qu'elle détenait sur ce marché, en ayant utilisé les moyens commerciaux liés à son activité de service public et à son statut d’opérateur historique, pour développer exclusivement son activité concurrentielle de fourniture de gaz en offres de marché.
L’Autorité de la concurrence a accueilli ce grief.
Une utilisation abusive par le fournisseur historique de ses moyens et infrastructures dédiés à son activité de service public
Avant de s’intéresser à un potentiel abus, l’ADLC commence par constater l’existence d’une position dominante détenue par Gaz de Bordeaux sur le marché pertinent pendant la période infractionnelle en relevant que :
- l’opérateur historique a conservé plus de 98% de parts de marché sur le territoire des entreprises locales de distribution (ELD) durant toute cette période ;
- le marché concerné était caractérisé par de très fortes barrières à l’entrée, ce qui rendait la position de Gaz de Bordeaux d’autant plus difficile à contester ;
- en sa qualité d’opérateur historique sur la zone concernée, Gaz de Bordeaux détenait des avantages concurrentiels importants dont ne disposaient pas les fournisseurs alternatifs.
L’ADLC a ensuite estimé que Gaz de Bordeaux avait abusé de la position dominante qu’elle détenait, en opérant une confusion dans l’esprit des consommateurs dans le but de développer son activité concurrentielle de fourniture de gaz en offres de marché. En effet :
- l’opérateur n’avait procédé à aucune séparation de ses moyens logistiques et commerciaux qui aurait permis de distinguer les moyens dédiés à la commercialisation de son offre au TRV de ceux dédiés à la commercialisation de ses offres de marché ;
- Alors qu’il était tenu d’assurer le maintien d’une offre de souscription au TRV, il s’était appuyé sur les moyens humains et techniques hérités de son monopole historique et liés aux TRV, non reproductibles par ses concurrents, pour mettre en œuvre une stratégie visant, dans le contexte de l’ouverture à la concurrence des marchés de la fourniture au détail du gaz, à préserver sa position sur ces marchés en orientant vers ses OM la quasi-totalité de ses nouveaux clients, privés de fait de la possibilité de choisir une offre au TRV.
Cette stratégie de Gaz de Bordeaux était plus précisément caractérisée par la mise en œuvre de cinq pratiques, constitutives d’un faisceau d’indices prévis, graves et concordants :
- la mise en retrait de l’offre au TRV sur son site internet ;
- l’omission de l’offre au TRV par les conseillers de son standard téléphonique ;
- l’omission de l’offre au TRV sur le comparateur d’offres ;
- l’omission de l’offre au TRV sur le document de présentation des offres disponibles sur son site internet.
Un abus de position dominante de nature à réduire l’animation concurrentielle sur le marché de la fourniture de gaz
Après avoir souligné les spécificités du contexte juridique et économique dans lequel s’inséraient ces pratiques, l’Autorité de la concurrence a considéré que les pratiques mises en œuvre par Gaz de Bordeaux avaient été de nature à faire échec à la volonté des pouvoirs publics de procéder à la libéralisation du secteur de l’énergie. Par son comportement destiné à orienter systématiquement les nouveaux clients vers ses offres de marché, elle avait en effet réduit l’animation concurrentielle sur le marché au moment de la disparition du TRV.
Cette position s’inscrit dans le prolongement de celle retenue par la cour d’appel de Paris dans sa décision du 31 octobre 2014 par laquelle elle condamnait l’entreprise GDF Suez pour abus de position dominante. Elle met en lumière les effets particulièrement néfastes des pratiques mises en œuvre par un fournisseur historique ayant pour effet de freiner l’ouverture à la concurrence, lorsque de telles pratiques sont destinées à dissuader l’entrée de nouveaux concurrents.
A noter que, à rebours de la méthodologie préconisée par son Communiqué sanctions du 30 juillet 2021, l’Autorité a décidé, conformément à la faculté que ce communiqué lui offre par ailleurs, d’infliger une amende forfaitaire solidaire d’1 million d’euros à Gaz de Bordeaux et à sa filiale Régaz Bordeaux eu égard à la taille modeste de l’entreprise en comparaison des opérateurs historiques nationaux. Elle a accompagné cette sanction d’une injonction de publication de la décision sur le site internet de l’entreprise pendant trois mois, estimant cette mesure, destinée à améliorer l’information des consommateurs, de nature à engendrer un effet correctif important sur le marché.
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