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Covid-19 et report ou étalement du paiement des factures d’eau, de gaz et d’électricité

Les conditions se précisent

12/05/2020

Le Gouvernement met progressivement en œuvre la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, publiée au Journal officiel du 24 mars 2020 et modifiée par la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020, publiée au Journal officiel du 12 mai 2020 (voir notre précédent article : "Report ou étalement du paiement des factures d’électricité et de gaz des TPE - Projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19").

Après l’annonce de la prolongation du confinement par le président de la République, un décret n° 2020-433 du 16 avril 2020 a adapté le dispositif de report ou étalement du paiement des factures d’eau, de gaz et d’électricité. Les conditions pour y recourir sont ainsi assouplies. De nouveaux textes sont attendus afin d’adapter le dispositif à la prolongation de de l’état d’urgence sanitaire, nonobstant la levée du confinement, jusqu’au 10 juillet 2020. 

La loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 a notamment habilité le Gouvernement à prendre par ordonnances, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la loi, des mesures "permettant de reporter intégralement ou d'étaler le paiement des loyers, des factures d'eau, de gaz et d'électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d'être appliquées en cas de non-paiement de ces factures, au bénéfice des microentreprises, au sens du décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008 relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d'appartenance d'une entreprise pour les besoins de l'analyse statistique et économique, dont l'activité est affectée par la propagation de l'épidémie" (article 11, g). L’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d'eau, de gaz et d'électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l'activité est affectée par la propagation de l'épidémie de Covid-19, prise en vertu de cette habilitation, a  été publiée le 26 mars 2020.

Qui peut bénéficier du report ou de l’étalement du paiement des factures ?

Le législateur a aligné la liste des bénéficiaires de cette mesure sur celle du fonds de solidarité institué par l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 à destination des entreprises "particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de Covid-19". Il s’agit des microentreprises, au sens du décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008, c’est-à-dire des entreprises qui, d'une part, emploient moins de 10 personnes et, d'autre part, ont un chiffre d'affaires annuel ou un total de bilan n'excédant pas 2 millions d'euros.

Le Gouvernement vient d’élargir le champ d’application ratione personae de ces mesures avec le décret n° 2020-433 du 16 avril 2020, publié à la suite de la décision de prolonger la période de confinement. Ces mesures s’appliquent toujours à deux catégories de personnes, qui doivent être résidentes fiscales françaises (en vertu de l’article 1er du décret n°2020-378 du 31 mars 2020), mais sous des conditions assouplies :

  • les personnes physiques et morales de droit privé qui étaient mentionnées dans le dossier de presse publié par le Gouvernement, c’est-à-dire les "très petites entreprises (TPE), indépendants, micro-entrepreneurs et professions libérales ayant un chiffre d’affaires inférieur à 1 million d’euros et un bénéfice annuel imposable inférieur à 60.000 euros". En outre, ces entreprises devaient : soit avoir fait l’objet d’une fermeture administrative, soit avoir subi une très importante perte de chiffre d’affaires en mars 2020 par rapport à mars 2019. Le décret modifié relatif au Fonds de solidarité reprend effectivement ces critères.

Plus précisément, les bénéficiaires sont les personnes physiques ou morales de droit privé exerçant une activité économique. Elles doivent remplir les principales conditions suivantes, fixées par l’article 1er du décret n° 2020-378 du 31 mars 2020 tel que modifié par le décret n° 2020-433 du 16 avril 2020 :

    • avoir exercé leur activité dès avant le 1er février 2020 ;
    • avoir un effectif inférieur ou égal à dix salariés (au sens de l’article L.130-1 du Code de la sécurité sociale) ;
    • avoir un chiffre d'affaires hors taxes lors du dernier exercice clos inférieur à un million d'euros ;
    • avoir un bénéfice imposable, augmenté le cas échéant des sommes versées au dirigeant au titre du dernier exercice clos, inférieur à 60 000 euros ;
    • pour les bénéficiaires qui étaient en difficulté (au sens du règlement (UE) n° 651-2014 de la Commission du 17 juin 2014) le 31 décembre 2019, pouvoir recevoir des aides versées au titre du décret relatif au Fonds de solidarité qui soient compatibles avec le règlement (UE) n°1407/2013 de la Commission du 18 décembre 2013 relatif à l’application des articles 107 et 108 du TFUE aux aides de minimis (le cumul des aides est envisageable à la condition de respecter les seuils prévus par ce règlement) et ne pas se trouver en liquidation judiciaire le 1er mars 2020 ;
    • avoir fait l'objet d'une interdiction administrative d'accueil du public entre le 1er et le 31 mars 2020 ou entre le 1er et le 30 avril 2020, ou encore avoir subi une perte de chiffre d'affaires supérieure à 50 % pendant l’une de ces périodes par rapport à l'année précédente. Le Gouvernement avait initialement prévu un seuil de 70 % puis avait rapidement annoncé que ce seuil devait être abaissé à 50 %. C’est le décret n° 2020-394 du 2 avril 2020 qui, modifiant le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 relatif au Fonds de solidarité, y a procédé, élargissant ainsi le champ des bénéficiaires. Ce décret du 2 avril est, aux termes de son article 5, d’application immédiate : il est ainsi entré en vigueur le jour de sa publication, à savoir le 3 avril 2020. Il a, formellement, une portée rétroactive puisqu’il élargit le champ des bénéficiaires des deux décrets aux personnes qui ont subi une perte de chiffre d’affaires supérieure à 50 % entre mars 2019 et mars 2020, au lieu de 70 %. Néanmoins, il ne heurte pas le principe de non-rétroactivité des actes administratifs, car il ne remet en cause aucune situation acquise et se borne à créer de nouveaux droits par référence à une situation passée. En effet, le juge administratif admet qu'"un texte réglementaire puisse attacher des effets futurs à une situation juridique antérieure et au besoin prendre en compte des faits réalisés dans le passé pour leur faire produire effet dans l'avenir" (Répertoire de contentieux administratif Dalloz, Principes généraux du droit : principes de technique juridique – Bruno Genevois et Mattias Guyomar – octobre 2018, §188). C’est ainsi qu’il a été jugé que l'autorité réglementaire peut prévoir que le respect des conditions mises à l'octroi d'une prestation de sécurité sociale sera apprécié par référence à une période antérieure à celle au titre de laquelle cette prestation est servie, dès lors que les effets de droit attachés à cette prise en compte ne valent eux-mêmes que pour l'avenir (CE, Ass., 5 mars 1999, Rouquette, Lebon 37 ; RFDA 1999. 357, concl. Ch. Maugüé). La même analyse doit être faite de l’application immédiate du décret du 16 avril 2020 modifiant le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité (cf. article 10 du décret n° 2020-433 du 16 avril 2020).

Tous les bénéficiaires doivent établir qu’ils remplissent les conditions pour bénéficier des mesures de report ou d’étalement, en vertu de l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 et de l’article 1er du décret n° 2020-378 du 31 mars 2020. Plus précisément, l’article 2 de ce décret dispose que le bénéficiaire de la mesure de report ou d’étalement doit présenter à son créancier une déclaration sur l’honneur attestant à la fois de la réunion de ces conditions et de l’exactitude des informations déclarées, ainsi que l’accusé de réception du dépôt de sa demande d’éligibilité au Fonds de solidarité.  

  • les microentreprises, au sens du décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008, qui poursuivent leur activité dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, à la condition que soit produite une attestation fournie par l’un des mandataires de justice désignés par le jugement d’ouverture de la procédure et ne peuvent bénéficier du Fonds de solidarité (sauf à ce que la procédure ait été ouverte en 2020). L’ordonnance n° 2020-316 ne donne aucune précision sur cette attestation : l’article 2 du décret n° 2020-378 du 31 mars 2020 mentionne ici, outre la déclaration sur l’honneur, la copie du dépôt de déclaration de cessation de paiements ou du jugement d’ouverture d’une procédure collective.

Il faut souligner que seules les "entreprises", c’est-à-dire les personnes qui exercent une activité économique, sont concernées. Ainsi, les particuliers ne peuvent se prévaloir de cette mesure pour obtenir un report ou un étalement de leurs factures d’énergie ou d’eau, ainsi que de leurs loyers. Il n’est en revanche pas exclu que les associations puissent entrer dans la liste des bénéficiaires : elles sont d’ailleurs expressément visées dans la notice du décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 : "Ce fonds, financé notamment par l'Etat, les régions et les collectivités d'outre-mer, bénéficie aux personnes physiques (travailleurs indépendants, artistes-auteurs, etc.) et aux personnes morales de droit privé (sociétés, associations, etc.) exerçant une activité économique et remplissant les conditions suivantes".

Par ailleurs, le Fonds de solidarité institué par l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 s’inscrit dans le champ du régime d’aides d’Etat déclaré par la Commission européenne, le 19 mars 2020, compatible avec le marché intérieur, en vertu de l'encadrement temporaire des aides d'État visant à soutenir l'économie dans le contexte de la flambée de COVID-19. Le Gouvernement français a indiqué à la Commission que son montant devrait être de 1,2 milliard d’euros. Les reports ou étalement de factures d’électricité, de gaz et d’eau ne sont cependant pas concernés, dans la mesure où ils ne mobilisent généralement pas de ressources publiques, nonobstant la clientèle d’EDF et où, en règle générale, chaque entreprise concernée ne bénéficiera que d’une aide temporaire et très inférieure au seuil de minimis. La Commission européenne a autorisé la prolongation de ce régime par sa décision SA.57010 du 15 avril 2020.

Concrètement, quelles sont les mesures prévues par l’ordonnance n° 2020-316 en faveur des bénéficiaires ?

Elles sont de deux ordres :

  • en premier lieu, les bénéficiaires de la mesure peuvent ne pas payer leurs factures d’électricité, de gaz ou d’eau, sans courir de risque de suspension, interruption ou réduction de leur fourniture d’électricité, de gaz ou d’eau ou de la puissance distribuée par leurs fournisseurs (ord. n° 2020-316, article 2). Les fournisseurs tenus par cette mesure sont les fournisseurs d’électricité titulaires d’une autorisation d’achat pour revente mentionnée à l’article L.333-1 du Code de l’énergie, les fournisseurs de gaz autorisés au titre de l’article L.443-1 du même code, ainsi que les fournisseurs et prestataires de services distribuant l’eau potable pour le compte des communes compétentes au titre de l’article L.2224-7-1 du Code général des collectivités territoriales. Autrement dit, et même si c’est peut-être un cas d’école, les petits producteurs qui vendent directement leur seule production à un ou plusieurs consommateurs ne sont pas concernés par cette obligation, puisqu’ils ne sont pas obligatoirement titulaires de l’autorisation mentionnée à l’article L.333-1 du Code de l’énergie. Cette mesure n’est cependant pas une incitation au défaut de paiement par les clients de leurs fournisseurs : elle est simplement une incitation au maintien des contrats par les fournisseurs en cas de défaut de paiement des clients ;
  • en second lieu, l’article 3 de l’ordonnance prévoit que les bénéficiaires de la mesure peuvent demander à leurs fournisseurs un report des échéances de paiement des factures exigibles entre le 12 mars 2020 (date fixée par l’ordonnance) et la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire. Il s’agit donc d’un report ou d’un étalement du paiement, nullement d’une annulation de la dette ; il en va de même pour les loyers professionnels. Ce report des échéances ne peut donner lieu à des pénalités financières, frais ou indemnités à la charge des bénéficiaires et est lissé de manière uniforme sur les échéances de paiement des factures postérieures au dernier jour du mois suivant la date de fin de l’état d’urgence sanitaire, sur une durée qui ne peut être inférieure à six mois.

Application dans le temps des mesures de report ou d’étalement des factures

Si la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance, publiée au Journal officiel du 26 mars 2020 et dont l’article 6 prévoit qu’elle "entrera en vigueur immédiatement" ne fait pas de doute (le 26 mars 2020, donc), son applicabilité dépend en pratique de la publication du ou des décrets d’application, sans qu’il soit encore possible d’assurer que la publication du décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 précité suffira à permettre la pleine application de toutes les mesures que l’ordonnance contient. Il est en outre vraisemblable que les critères et conditions de mise en œuvre évolueront au cours de la crise, comme on l’a dit à propos du critère tenant à la perte de chiffre d’affaires. Le ministre de l’Economie et des Finances s’est notamment dit être "prêt à renforcer encore davantage le Fonds de solidarité" lors de son audition par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale sur le plan de reprise de l’économie du 29 avril 2020. Le mécanisme doit prochainement être étendu aux entreprises de moins de 20 salariés ayant un chiffre d’affaires de moins de deux millions d’euros. Le dispositif devra, enfin, prendre en compte la prorogation de l’état d’urgence sanitaire, dont la levée est désormais fixée au 10 juillet 2020 au soir (loi n° 2020-546 du 11 mai 2020).

Dans tous les cas, on peut se demander quel sera l’impact économique réel de ces mesures sur leurs bénéficiaires, puisqu’il s’agit en pratique d’entreprises visées par une interdiction administrative ou qui ont subi une perte très conséquente de chiffre d’affaires et dont les consommations d’énergie (électricité, gaz et eau) ont nécessairement été particulièrement basses (voire nulles) depuis la deuxième semaine de mars 2020.

Pour autant, cela pourrait fragiliser de petits fournisseurs de gaz ou d’électricité dont la clientèle serait majoritairement composée de professionnels et de TPE. Le risque est d’autant plus important que ces fournisseurs auraient acquis de l’électricité auprès d’EDF sous le régime de l’ARENH à un prix réglementé très nettement supérieur aux actuels prix de marché (voir sur ce point notre article "Des effets sur l’ARENH de la crise économique causée par le Covid 19"). A noter d’ailleurs qu’en Allemagne, où des mesures analogues ont été adoptées jusqu’à la fin du mois de juin, l’organisation des industries de l’énergie et de l’eau (BDEW) s’est publiquement inquiétée des risques pour les fournisseurs d’énergie d’un moratoire qui serait mis en œuvre par un trop grand nombre d‘entreprises.


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