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Défaut d’information-consultation du CSE sur les conséquences environnementales d’un projet de restructuration d’entreprise

Premières décisions des juges du fond

13/03/2023

Parmi les objectifs de la loi n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « loi Climat », l’un d’eux visait, comme le précise l’étude d’impact, à « renforcer le rôle du CSE (…) dans la lutte contre le changement climatique » et à rendre l’employeur « débiteur d’une obligation d’information-consultation (…) sur la question des enjeux de la transition écologique».

Ainsi, le législateur a ajouté aux attributions générales du CSE dans les entreprises d’au moins 50 salariés, prévues à l’article L.2312-8 du Code du travail, une obligation d’information et de consultation sur «les conséquences environnementales» des mesures qui tendent, de manière non limitative, à :

  • 1° Affecter le volume ou la structure des effectifs ;
  • 2° Modifier son organisation économique ou juridique ;
  • 3° Affecter les conditions d'emploi, de travail, notamment la durée du travail, et la formation professionnelle ;
  • 4° Introduire de nouvelles technologies, tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ;
  • 5° Faciliter la mise, la remise ou le maintien au travail des accidentés du travail, des invalides de guerre, des invalides civils, des personnes atteintes de maladies chroniques évolutives et des travailleurs handicapés, notamment sur l'aménagement des postes de travail.

De surcroit, la loi Climat a également créé une obligation d’information du CSE sur les conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise, au cours de chacune des trois consultations récurrentes portant sur les orientations stratégiques de l’entreprise, la situation économique et financière de l’entreprise ou encore la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi (C. Trav., art. L.2312-17 et L.2312-22).

Ces modifications ont fait naître des incertitudes, tant sur le sens de cette nouvelle attribution que sur sa portée.

En effet, il est possible de se demander si cette nouvelle disposition fait obligation de recueillir un avis distinct du CSE sur les conséquences environnementales d’un projet visé à l’article L.2312-8 du Code du travail et ce, même dans le cas où le projet n’a aucun impact environnemental.

Par ailleurs, la loi Climat n’a pas introduit une obligation d’information du CSE sur les conséquences environnementales de projets devant donner lieu à des consultations ponctuelles (C. Trav., art. L.2312-37) ce qui devrait conduire à retenir, suivant une analyse littérale des textes, que l’employeur n’est pas débiteur, dans ces hypothèses, d’une obligation d’information-consultation environnementale du CSE, à la différence de ce qui est prévue pour les consultations récurrentes.

Dans un tel contexte, les premières décisions des juges du fond étaient attendues. Trois jugements, à notre connaissance, se sont d’ores et déjà prononcés sur l’obligation d’information du CSE en matière environnementale. (1)

Il s’agit de deux tribunaux administratifs saisis de la question des conséquences du défaut d’information environnementale sur la régularité de la consultation portant sur des projets de licenciement collectif mis en place par document unilatéral mais aussi d’un tribunal judiciaire appelé à statuer sur la régularité de la consultation du CSE portant sur des projets de réorganisation n’entraînant pas une réduction des effectifs.

Dans chaque affaire, les juges se prononcent sur l’obligation ou non d’informer et de consulter le CSE en matière environnementale : retour sur les apports de ces jugements intervenus dans le cadre de projets de restructurations ponctuels sans réduction des effectifs [1] ou de la mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi [2].

1. Projet de restructuration ponctuel SANS compression des effectifs : des précisions sur l’effectivité et le contenu de l’obligation d’information environnementale du CSE

Dans cette affaire, une entreprise spécialisée dans la fabrication, la commercialisation, l’installation, la conception ainsi que la maintenance de solutions d’énergie éolienne offshore avait engagé une procédure d’information-consultation de son CSE portant sur un projet de déménagement de ses locaux.

Lors de la première réunion du CSE, la direction n’avait transmis aucune information sur l’étude d’impact environnemental du projet. Au cours de la seconde réunion, le CSE avait demandé, sans succès, des informations en matière environnementale et avait décidé de recourir à une mission d’expertise.

Par la suite, les élus avaient demandé la tenue d’une réunion extraordinaire sur les conséquences environnementales du projet, sous la forme d’un point distinct de l’ordre du jour. La direction avait alors transmis des informations portant sur les impacts environnementaux du projet, lesquelles avaient été jugées insuffisantes par le CSE.

C’est dans ce contexte que le CSE avait saisi le tribunal judiciaire de Nantes aux fins d’obtenir, d’une part, la transmission d’informations supplémentaires sur l’impact environnemental du projet de déménagement et, d’autre part, la prorogation du délai d’information-consultation dont le point de départ devait être fixé à la date de la réunion extraordinaire organisée en fin de procédure, correspondant à la communication au CSE des premières informations en matière environnementale.

Ces griefs offraient ainsi l’occasion aux juges de déterminer si le projet de déménagement entrait dans les prévisions de l’article L.2312-8 du Code du travail, qui conditionne l’obligation d’information-consultation du CSE en matière environnementale.

Le tribunal apporte une réponse positive à cette question puisqu’il se réfère expressément à cet article qui, dans sa rédaction issue de la loi Climat, impose une information-consultation en matière environnementale.

Ce faisant, le tribunal confère à cette nouvelle obligation une pleine effectivité en présence d’un projet ponctuel de déménagement entrant logiquement dans son champ d’application au titre des «questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise».

La particularité du raisonnement retenu par le juge tient au fait que celui-ci ne se contente pas de vérifier si le projet en cause entre dans le champ de l’article L. 2312-8 du Code du travail, mais module également l’intensité de l’obligation d’information en fonction de la spécificité de l’entreprise.

En effet, dans leur motivation, les juges soulignent, de manière appuyée, l’importance de cette obligation d’information sur les conséquences environnementales de la mesure envisagée, laquelle s’analyse, selon eux, comme «une évidence, plus qu’une simple obligation légale», au regard :

  • D’une part, de l’activité exercée par la société, qui «en fait un acteur de la transition énergétique» ;
  • Et, d’autre part, de la culture de l’entreprise, à l’appui d’une explication imagée très évocatrice : «(…) la question environnementale entre dans la culture de l’entreprise, au même titre que la musique pour un orchestre, le milieu marin pour une conserverie de poissons, ou la connaissance du corps humain pour les services de santé».

Partant, selon le tribunal, la communication tardive par la société d’informations relatives à l’impact environnemental du projet, en ce qu’elle n’a pas eu lieu lors des premières réunions du CSE, s’avère «particulièrement regrettable» et même constitue, pour la société, «une défaillance grave à son obligation d’information qu’elle devrait assumer de sa propre initiative sans attendre les réclamations de l’élu ou de l’expert».

En conséquence, le juge, tout en estimant que les informations transmises sur les conséquences environnementales du projet étaient suffisantes en ce qu’elles constituaient «une réponse détaillée technique et normée à la question des impacts environnementaux du projet» prolonge le délai d’information-consultation en reportant son point de départ à la date de la réunion extraordinaire ayant donné lieu à la communication de ces éléments.

Ainsi, pour décider de proroger le délai de consultation, le juge semble avoir pris en compte l’implication particulière de l’entreprise dans la transition écologique compte tenu de la nature de son activité et de sa culture d’entreprise.

Il n’est pas certain qu’il en aurait été de même si l’entreprise avait été moins impliquée dans ces questions.

Enfin, cette décision laisse entière la question de savoir si l’impact environnemental du projet de restructuration envisagé doit donner lieu à une consultation distincte de celle portant sur le projet lui-même

2. Projet de restructuration AVEC compression des effectifs : des décisions divergentes sur l’obligation d’information environnementale du CSE

Les deux affaires en cause concernent des projets de licenciement collectif mis en place par la voie de documents unilatéraux validés par l’administration. Les décisions administratives de la DRIEETS ont été contestées par les CSE respectifs des deux sociétés aux fins d’obtenir leur annulation au motif, notamment, de l’irrégularité de la procédure d’information-consultation du fait de l’absence d’informations sur les conséquences environnementales du projet.

Pour chacune de ces affaires, le tribunal administratif concerné devait donc décider s’il y avait lieu de faire application, ou non, de l’article L.2312-8 du Code du travail relatif à l’information-consultation du CSE en matière environnementale.

En cas de réponse positive, celle-ci s’ajouterait à la double information-consultation obligatoire prévue dans le cadre de la procédure de licenciement collectif relative, non seulement, à l’opération projetée et à ses modalités d'application (C. Trav., art. L.2312-39), mais aussi au projet de licenciement collectif (C. Trav., art. L.1233-30).

Dans l’affaire jugée par le tribunal administratif de Montreuil, la fermeture d’un site avait entraîné la mise en place d’un projet de licenciement collectif.

Le CSE soulevait, toutefois, l’irrégularité de la procédure d’information-consultation au motif qu’il n’avait reçu aucune information sur les conséquences environnementales au titre de l’article L. 2312-8 du Code du travail et n’avait pas été consulté sur ce fondement.

En ce sens, le CSE invoquait la «portée générale» de cette disposition, «dont les articles L.2312-37 et suivants, portant sur les consultations et informations ponctuelles, ne sont que la déclinaison».

En effet, les dispositions légales relatives aux consultations ponctuelles ne prévoient pas d’obligation d’information du CSE sur les conséquences environnementales de projets devant donner lieu à ces consultations ponctuelles, telles qu’un projet de restructuration et de compression d’effectifs (C. Trav., art. L.2312-39).

Néanmoins, le tribunal administratif de Montreuil considère que le CSE «ne peut pas se prévaloir de ces dispositions pour soutenir que la procédure d’information-consultation serait irrégulière». A l’appui de cette solution, les juges relèvent que la loi Climat «n’a pas modifié les articles L.1233-61 à L.1233-64 de ce code, relatifs au plan de sauvegarde de l’emploi».

Comme l’a relevé un auteur (2), si la solution retenue, excluant l’obligation d’information environnementale dans le cadre de la procédure de licenciement collectif, peut légitimement être fondée sur une analyse littérale des textes applicables, il aurait sans doute été plus approprié de viser expressément les articles L. 2312-37 et L. 2312-39 du Code du travail mentionnant la consultation du CSE sur les projets de restructuration entrainant une compression des effectifs, ou encore l’article L.1233-30 du Code du travail détaillant l’objet de la double consultation du CSE dans cette hypothèse au lieu des dispositions  portant sur le plan de sauvegarde de l’emploi.

Une solution contraire est adoptée par le tribunal administratif de Cergy Pontoise.

Dans cette affaire, le projet de licenciement collectif résultant d’une cessation d’activité avait entrainé la suppression de l’intégralité des emplois.

Dans le cadre de son recours, le CSE invoquait notamment la communication tardive, plus de deux mois après la réunion initiale, d’informations en matière environnementale dans le cadre de la procédure d’information-consultation afférente à ce projet.

Bien que la motivation du tribunal ne soit pas très claire, il semble que celui-ci raisonne en deux temps.

Dans un premier temps, les juges se réfèrent explicitement à l’article L.2312-8 du Code du travail, dans sa version issue de la «loi Climat», dont ils confirment l’application au cas d’espèce, au titre des «mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs» (C. Trav., art. L.2312-8, II, 1°).

Dans un deuxième temps, le tribunal conclut néanmoins à l’absence d’irrégularité de la procédure d’information-consultation du CSE, en relevant, au regard des faits d’espèce, que :

  • les conditions de transfert des contrats de travail et les prestations logistiques afférentes ont été mentionnés dans les documents transmis au CSE ;
  • les conséquences environnementales «à supposer qu’elles existent seraient minimes, dès lors que les activités transférées se poursuivent pour la plupart dans les mêmes locaux et que celles qui ne sont pas transférées cessent totalement» ;
  • la communication tardive d’informations en matière environnementale au CSE «n’a pas pu empêcher le CSE d’examiner ces parties très succinctes signalées par des modifications apparentes et de formuler son avis en toute connaissance de cause sur ce point dans des conditions qui ne sont pas susceptibles d’avoir faussé sa consultation».

Le tribunal de Cergy-Pontoise semble donc retenir, sans le préciser toutefois de manière explicite, l’existence d’une obligation d’information-consultation sur les conséquences environnementales, en application de l’article L. 2312-8 du Code du travail, distincte de celle requise dans le cadre de la procédure de licenciement collectif et s’ajoutant donc à cette dernière.

Comme dans l’affaire ayant donné lieu à la décision du tribunal judicaire de Nantes, l’obligation d’information et de consultation en matière environnementale est appréciée en tenant compte des circonstances d’espèce.

En effet, les juges retiennent que la communication tardive de ces informations n’a pas rendu la procédure irrégulière, compte tenu de certains éléments de fait ayant concouru à compenser ce retard (notamment, comme le relève le tribunal, le fait que l’information du CSE en fin de procédure a été complète et que ce dernier ne demandait pas d'élément nouveau précis pour pouvoir donner un avis éclairé sur le projet de déménagement).

Le juge adopte donc une solution contraire à celle retenue par le tribunal administratif de Montreuil puisqu’il conclut à l’existence d’une obligation d’information-consultation spécifique en matière environnementale, au titre l’article L.2312-8 du Code du travail, qui s’ajouterait à celle prévue dans l’hypothèse d’un projet de licenciement collectif.

Ce faisant, les juges semblent privilégier l’intention du législateur, qui transparait dans l’étude d’impact de la loi Climat, sur l’analyse littérale des textes.

Finalement, ces premières décisions, concernant des consultations ponctuelles, permettent déjà de constater des divergences d’interprétation sur le principe même de l’obligation d’information consultation du CSE sur les conséquences environnementales du projet de l’entreprise.

Ainsi, les tribunaux de Cergy-Pontoise et de Nantes se réfèrent aux attributions générales du CSE pour fonder l’obligation d’information-consultation tandis que celui de Montreuil se fonde, pour y faire échec, sur l’absence de modification par la loi Climat des dispositions relatives aux consultations ponctuelles.

S’il est difficile de préjuger, à ce stade, de ce que seront les positions respectives par la Cour de cassation ou le Conseil d’Etat, d’autres décisions, rendues notamment par les cours d’appel des ordres judicaire et administratif, permettront sans doute de faire avancer ce débat à fort enjeu pour les entreprises.

En effet, la régularité des procédures d’information-consultation du CSE peut être remise en cause et, plus largement, une entrave aux prérogatives du CSE peut être caractérisée, lesquelles peuvent être lourdes de conséquences lorsque des projets de réorganisation, avec ou sans réduction des effectifs, s’invitent dans la vie des entreprises.


(1) TJ de Nantes, 22 décembre 2022, n° 22/01144 
TA de Montreuil, 2 mai 2022, n°2202445 
TA de Cergy-Pontoise, 10 mars 2022, n°2115613 

(2) A. Casado, comm. ss. TA de Montreuil, 20 mai 2022, n°2202445


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