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La financiarisation du marché des certificats d’économies d’énergie

Structuration en cours du marché secondaire

15/12/2020

Lorsque  la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 a créé le mécanisme des certificats d’économies d’énergie ("certificats blancs"), le législateur avait en tête, comme cela avait été annoncé en 2003 dans un Livre Blanc sur les Energies, la mise en place d’un système "pour aider au financement d’opérations d’économies d’énergie, y compris chez les particuliers" (orientation reprise dans le communiqué de presse du Conseil des ministres du 5 mai 2004) et valoriser les externalités positives que constituent les économies d’énergie.

Les économies d’énergie représentent en effet un bénéfice pour l’ensemble de la collectivité mais l’effort d’une entreprise pour réaliser ces économies n’était pas, jusqu’à la loi de 2005, valorisé sur le marché. L’idée était que l’utilisation des mécanismes de marché allait permettre d’installer un jeu coopératif entre différents intervenants et valoriser ainsi ces externalités positives.

La philosophie du dispositif des certificats d’économies d’énergie (CEE)

L’objectif du dispositif est de promouvoir les économies d’énergie dans des secteurs dits "diffus" impliquant un très grand nombre d'acteurs et pour lesquels la réglementation, les aides de l'Etat et les incitations fiscales existantes sont insuffisamment efficaces1.

Dès l’origine, ce dispositif a donc été fondé sur la mise en place d’un marché, dans lequel se rencontrent une demande de certificats provenant des obligations d’économies d’énergie imposées aux vendeurs et une offre de certificats provenant d’entreprises ou collectivités publiques. Ces rencontres engageront des actions, au-delà de leur activité habituelle, visant à économiser l’énergie, la conviction étant que "le marché permettra de s’assurer que tous les acteurs potentiels sont mobilisés, pour identifier tous les gisements d’économies d’énergie les moins couteux"2

Le cadre législatif et réglementaire a été ensuite affiné pour arriver au cadre juridique que nous connaissons actuellement, issu de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat (dite "Energie Climat") et de ses textes réglementaires d’application.

Le marché actuel des certificats d’économies d’énergie

Le mécanisme est comparable à celui des quotas d’émission de gaz à effet de serre, créé par l'ordonnance n° 2004-330 du 15 avril 2004, dont il s’inspire largement. Les deux mécanismes reposent sur l’utilisation de certificats négociables, instruments de politique environnementale imaginé par Herman Dales[3].

Comme les quotas d’émission de gaz à effet de serre[4], les unités de réduction des émissions de gaz à effet de serre et les unités de réduction d’émissions certifiées[5] ou encore les unités carbone de quantité attribuée ou les unités carbone d’absorption[6], les CEE sont des biens meubles négociables (article L.221-8 du Code de l’énergie) matérialisés par leur inscription au compte de leur détenteur dans un registre (article L.221-10 du Code de l’énergie). Comme les quotas CO2, leur usage est double puisque les certificats constituent à la fois un instrument réglementaire permettant de remplir des obligations d’économies d’énergie imposées par le législateur et un objet économique ayant vocation à être échangé.

L’unité de compte des CEE est le kilowattheure d’énergie finale économisé. Les certificats peuvent être détenus, acquis ou cédés par tout éligible, qu’il soit ou non obligé aux économies d’énergie ainsi que "par toute personne morale" (article L.221-8 du Code de l’énergie). Conséquemment, ces mêmes personnes peuvent ouvrir un compte dans le registre national des CEE (article L.221-10 du Code de l’énergie).

De cette structuration du mécanisme et de la libre transmissibilité des certificats sont nés deux marchés, à savoir le marché primaire et le marché secondaire. Le premier correspond à celui de l’élaboration du CEE et prend en compte le montant des aides financières négociées entre le bénéficiaire des économies d’énergies et la société qui accompagne ce bénéficiaire dans ses travaux au titre des certificats d’économies d’énergie. Le second est celui où s’échangent les certificats d’économies d’énergie entre les acteurs.

Ce marché secondaire est aujourd’hui peu organisé[7] mais il tend à se structurer de façon rationnelle.

La structuration du marché secondaire des certificats d’économies d’énergie

Aujourd’hui, le standard de l’échange du certificat sur le marché secondaire est l’échange de gré à gré, soit directement, soit via un réseau de négociants (des courtiers). L’échange de gré à gré correspond à un accord contractuel conclu entre deux parties, portant sur la transmission de biens meubles, les certificats, dans le respect des règles du Code civil applicables à la vente de biens, adaptées aux spécificités du dispositif. Ainsi, le transfert de propriété qui obéit au principe posé à l’article 1196 du Code civil doit tenir compte du fait que les certificats sont exclusivement matérialisés par leur inscription au registre national des CEE (article L.221-10 du Code de l’énergie). Toutefois, contrairement aux titres financiers dont le transfert de propriété résulte selon la volonté du législateur de leur inscription au compte-titres de l’acquéreur ou au bénéficie de l’acquéreur dans un dispositif d’enregistrement électronique (article L.211-17 du code monétaire et financier), le transfert de propriété des CEE obéit, nous semble-t-il, aux règles du droit commun, à savoir qu’il correspond à l’accord sur la chose et le prix.

Les acteurs procèdent à quelques échanges de gré à gré en spot, c’est-à-dire une fois le certificat produit, qui permettent aux acteurs d’ajuster leur stock de certificats en vue de respecter leurs obligations. Ils procèdent surtout, toujours de gré à gré, à des échanges forward, avec un prix défini en amont de la production à des degrés de maturité variable dans un contexte particulier puisque l’actif sous-jacent, le CEE, pourra ne pas être délivré ou sera susceptible d’être annulé par l’effet d’une sanction administrative dans les conditions des articles L.222-3 et suivants du Code de l’énergie.

Ce risque, spécifique au dispositif des certificats d’économies d’énergie, est susceptible d’être maîtrisé par exemple par la mise en place d’une obligation de substitution du certificat annulé par le vendeur par un volume équivalent de certificats. Par ailleurs, le fait que les certificats sont des biens meubles incorporels est de nature à rassurer les intervenants sur le marché des CEE car cela implique que les certificats peuvent faire l’objet d’un nantissement : ainsi, à défaut de paiement de la dette garantie, le créancier peut faire ordonner en justice la vente des CEE. On peut ainsi imaginer le développement de produits structurés sur les certificats d’économies d’énergie comme ce qu’avait décrit M. Prada sur le CO2[8] : une banque d’investissement conclut des contrats d’achat de CEE à terme, correspondant à des projets développés par un ou plusieurs opérateurs de la chaîne de valeur des CEE ; la banque monte ensuite un produit structuré adossé à un portefeuille de projets, proposé à des acteurs du marché dans le cadre d’un investissement privé.

On note parallèlement l’effort des acteurs du secteur pour structurer le marché, avec aujourd’hui la création d’une place de marché organisée. L’idée de créer une place de marché organisée avait été explorée sans succès par Powernext il y a une dizaine d’années sous la forme d’un "marché spot à livraison/règlement sécurisé" dénommé "Powernext energy savings", qui correspondait à un marché privé et optionnel permettant l’échange des certificats avec création d’une fiducie. Cette idée est revenue à l’ordre du jour il y a quelques mois sous l’impulsion de plusieurs énergéticiens. Ces derniers évoquaient l’idée courant 2019 et annonçaient en avril 2020 avoir signé un protocole d’entente et de confidentialité avec la société créée par le porteur de projet.

Cette place de marché avait été appelée de ses vœux par la Cour des comptes tant en 2013 qu’en 2016 afin d’améliorer la maîtrise des risques sur le marché secondaire. Ainsi, la Cour des comptes suggérait de créer "une place de marché réservée à l’échange des CEE séparée du registre national aux fonctions d’enregistrement et prévoyant notamment un carnet d’ordre, la transparence des prix et volumes recherchés et des transactions effectivement réalisées. Un tel marché contribuerait à la fiabilisation et la transparence du dispositif"[9]. Dans son rapport public de 2013, la Cour des comptes avait dressé la liste des avantages potentiels de la mise en place d’un marché organisé :

  • possibilité de signaux-prix incontestables ;
  • anonymat des transactions ;
  • publicité de l’existence de la transaction et transparence des prix d’offre et de demande grâce à la mise en place d’un carnet d’ordre central ; et enfin
  • sécurisation des transactions.

La place de marché qui avait été créée par Powernext (Powernet Energy Savings) prévoyait que les transactions devaient être effectuées de façon anonyme et qu’elles devaient donner lieu à paiement sécurisé (contrôle avant et après la transaction) et instantané. L’échange devait se dérouler en trois phases : dépôt des certificats et de l’argent sur le compte du fiduciaire en dehors des sessions de négociations afin de déterminer les volumes qui allaient pouvoir être échangés sur la plateforme de marché, séance de négociation et, enfin, retrait des certificats et de l’argent du compte du fiduciaire et redistribution sur les comptes des acteurs de marché.

La nouvelle place de marché (C2E Market), fruit de la collaboration entre deux obligés (Engie et l’enseigne de distribution Les Mousquetaires via sa filiale carburants Scaped) et trois intermédiaires à statut de délégataire (Eqinov, Leyton et Sonergia) a été lancée le 9 novembre 2020. Elle poursuit un double objectif : d’une part, fournir une infrastructure de marché stable qui permette aux acheteurs et aux vendeurs de certificats de réaliser leurs transactions de façon sécurisée et, d’autre part, apporter une meilleure transparence sur le prix des certificats. Les primo-adhérents à cette place de marché ont pris des engagements mensuels de volume (1 TWh cumac). La plateforme va proposer plusieurs cotations : une en mode spot, basée sur les transactions quotidiennes et disponible chaque jour et quatre cours à terme, pour les semestres 2021 et 2020. Dans la communication qui a été faite sur GreenUnivers, Marc La Rosa, précise que "les titres CEE ne sont pas considérés comme des instruments financiers et pas non plus leur échange à terme […] mais cette bourse a quand même été présentée à l’Autorité des marchés financiers qui est en cours d’examen de l’initiative". Nul doute que l’analyse que fera l’Autorité des marchés financiers du marché des certificats d’économies d’énergie sera riche d’enseignements pour le mécanisme.


[1] Rapport n°1597 fait au nom de la Commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire sur le projet de loi (n°1586) d’orientation sur l’énergie par M. Serge Poignant, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 mai 2004 http://www.assemblee-nationale.fr/12/rapports/r1597.asp#P433_57685

[2] Rapport au Parlement sur l’application de la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/Media/Files/autour-de-la-loi/legislatif-et-reglementaire/application-des-lois/rapports-art-67/2005/loi_2005-781.pdf.pdf

[3] Herman Dales, Pollution, Property and Prices: An Essay in Policy-Making and Economies(1969)

[4] Article L.229-11 du Code de l’environnement

[5] Article L.229-22 du Code de l’environnement

[6] Article L.229-24 du Code de l’environnement

[7] Matthieu Glachant, Victor Kahn, François Lévêque, Une analyse économique et économétrique du dispositif des Certificats d’Economies d’Energie, Mines ParisTech PSL, Octobre 2020.

[8] Michel Prada, La régulation des marchés du CO2, 19 avril 2010, page 40 https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/104000201.pdf

[9] Cour des comptes, Rapport public annuel 2016, février 2016, page 190 https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/03-certificats-economies-energie-RPA2016-Tome-2.pdf


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