En application des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, le salarié qui justifie d’une exposition à l'amiante peut, dès lors que la preuve du préjudice qu'il a personnellement subi est rapportée, demander réparation de son préjudice d’anxiété. Une telle demande peut être formulée même s'il n'a pas travaillé dans un établissement susceptible d'ouvrir droit à l’allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA).
Revenant sur une solution établie, c'est ce qu'a décidé la Cour de cassation dans un arrêt rendu en assemblée plénière le 5 avril 2019 (n° 18-17.442) à propos d’un salarié employé en qualité de rondier, chaudronnier et technicien au sein d'une centrale électrique ne figurant pas sur la liste fixée par arrêté ministériel et qui avait saisi la juridiction prud'homale aux fins d’obtenir des dommages et intérêts en réparation d’un préjudice d'anxiété et pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
Un droit à réparation ouvert à tous les salariés exposés à l’amiante
Depuis plusieurs arrêts rendus en mai 2010 (Cass. soc., 11 mai 2010, n° 09-42.241 et n° 08-44.952), la Cour de cassation a reconnu aux salariés bénéficiaires de l'ACAATA – c'est-à-dire aux salariés ayant travaillé dans un établissement figurant sur une liste fixée par arrêté ministériel pendant une période où y était fabriqué ou traité de l'amiante – un droit à réparation du préjudice d'anxiété résultant de leur crainte de développer à tout moment une maladie grave. Du seul fait de l’inscription sur la liste de l'établissement dans lequel ils ont travaillé, l'existence de ce préjudice est présumée (Cass. soc., 2 avr. 2014, n° 12-28.616). Jusqu'à présent, ce droit à indemnisation était uniquement réservé aux salariés ayant travaillé dans des établissements les rendant éligibles au dispositif ACAATA, les autres ne pouvant y prétendre même s'ils avaient été effectivement exposés à l'amiante dans le cadre de leur activité professionnelle (Cass. soc., 17 févr. 2016, n° 14-24.011).
Par sa décision du 5 avril 2019, l'assemblée plénière revient sur cette jurisprudence en reconnaissant à tout salarié justifiant d'une exposition à l'amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave, le droit d'agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, et ce même si l'établissement dans lequel il a travaillé n'est pas inscrit sur la liste fixée par arrêté ministériel.
Un droit à indemnisation dans les conditions du droit commun de la responsabilité civile
Le droit à réparation du salarié s'exerce dans les conditions du droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur. En l'espèce, l'assemblée plénière a censuré la décision des juges du fond qui ont retenu que l'exposition du salarié à l'amiante étant acquise, le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité était établi et sa responsabilité engagée, sans qu'il puisse s'en exonérer en rapportant la preuve des mesures de prévention qu'il avait prises. La Haute juridiction réaffirme ainsi la jurisprudence "Air France" qui a reconnu à l'employeur la possibilité de s'exonérer de sa responsabilité en prouvant qu'il a mis en œuvre les mesures de prévention et de sécurité visées aux articles L.4121-1 et L.4121-2 du Code du travail, ce qu'il appartient aux juges du fond de vérifier (Cass. soc., 25 nov. 2015, n° 14-24.444).
Il appartient donc au salarié, non seulement de rapporter la preuve de son exposition à l'amiante et du manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité, mais également d'établir la réalité et l'étendue du préjudice d’anxiété qu'il a personnellement subi.
La note explicative jointe à l'arrêt précise que la décision ne remet pas en cause le régime applicable aux salariés éligibles au dispositif ACAATA, lesquels continuent à bénéficier de la présomption les dispensant de faire la preuve de leur exposition, de la faute de l’employeur et de leur préjudice.
Une prescription au point de départ incertain
L'élargissement du périmètre d'indemnisation du préjudice d'anxiété devrait entraîner un regain de contentieux initiés par des salariés qui jusqu'à présent ne pouvaient y prétendre.
La question de la prescription devrait alors se poser de façon cruciale. Au-delà de la question relative à la durée du délai de prescription - sur laquelle les décisions des juges du fond s'opposent – cette décision soulève une interrogation quant à son point de départ. Celui-ci est, pour les salariés ayant travaillé dans un établissement figurant sur les listes ACAATA, fixé à la date de publication de l'arrêté ministériel inscrivant l'établissement sur ces listes (Cass. soc., 19 nov. 2014, n° 13-19.263). Dès lors que tous les salariés exposés à l'amiante, indépendamment de cette inscription, peuvent demander réparation de leur préjudice d'anxiété, on peut s'interroger sur le point de départ de la prescription qui sera retenu par le juge. En effet, les articles 2224 du Code civil et L.1471-1 du Code du travail posent le principe commun d'un point de départ dit "glissant" entendu comme le "jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit".
Enfin, en repoussant les frontières de la reconnaissance du préjudice d'anxiété hors du champ d'application du dispositif ACAATA, cette jurisprudence peut faire craindre, à terme, de nouvelles tentatives de reconnaissance du préjudice d'anxiété liées à d’autres risques professionnels, jusqu'ici écartées par la Cour de cassation.
Préjudice d'anxiété
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