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Projet de loi d’accélération du nucléaire : quelles évolutions ?

Régime juridique actuel et futur

20/01/2023

L’année 2023 est sans aucun doute celle où l’on reparlera du nucléaire français.

Le 27 octobre 2022 a en effet été ouvert le débat public organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP) sur le programme de six réacteurs nucléaires de type "EPR2" (1), dont les deux premiers seraient situés à Penly en Normandie (2). Le débat se déroulera jusqu’à 27 février 2023, et EDF prévoit pour ce projet une date de début des travaux pour 2028 et une mise en service des deux réacteurs en 2035 et 2037.

Le contexte difficile que connaît actuellement la construction de l’EPR de Flamanville a néanmoins cristallisé ce débat public sur le nucléaire. Or, l’intérêt d’un tel débat est de permettre aux différents points de vue de s’exprimer mais aussi de clarifier les controverses sur le nucléaire en favorisant la diffusion de l’information sur le sujet.

Pour rappel, les 56 réacteurs actuellement en fonctionnement en France sont des réacteurs à eau pressurisée (REP) de deuxième génération, construits dans la cadre du plan Messmer initié dans les années 1970 (voir carte géographique du parc électronucléaire en France, site Internet de l’IRSN). Le retour d’expérience et d’exploitation de ces réacteurs a permis l’émergence de l’EPR, réacteur de troisième génération plus performant et plus sûr. Ce réacteur est déjà opérationnel en Chine (Taishan), en phase de test en Finlande (Olkiluoto 3) et en construction en France (Flamanville 3) et en Angleterre (Hinkley Point C). L’EPR2 s’appuie sur les enseignements tirés des projets EPR évoqués ci-dessus afin d’en améliorer notamment la constructibilité dans l’optique d’une meilleure gestion des coûts et des délais. A cela s’ajoutent d’autres projets innovants à des stades de développement relativement avancés comme les petits réacteurs modulaires (small modular reactors - SMR) et leur concept français "Nuward" ou sur du long terme comme la fusion nucléaire dont le projet ITER vise à démontrer la faisabilité.

Le débat en cours sur Penly permettra d’alimenter les échanges parlementaires sur le projet de loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC) dont l’adoption est prévue avant le 1er juillet 2023. C’est ainsi l’occasion de revoir la stratégie française pour l’énergie et le climat, concernant notamment la place du nucléaire dans le mix énergétique français, et de modifier en conséquence le droit positif qui fixe aujourd’hui un objectif de réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50% en 2035 (3)  et prévoit la fermeture de 14 réacteurs nucléaires. A ces mesures qui avaient été prises dans un contexte de déclin programmé du nucléaire s’est ajouté un plafonnement de la capacité de production d’électricité nucléaire à 63,2 GW imposé par l’article L. 311-5-5 du Code de l’énergie. Ce texte empêche en effet, jusqu’à nouvel ordre, la délivrance d’une autorisation d’exploiter une centrale nucléaire si celle-ci a pour effet de porter la capacité totale autorisée au-delà de ce plafond. A ce titre, la puissance installée du parc nucléaire était de 61,37 GW au 31 décembre 2020(4) , ce qui ne laisse que peu de marge de manœuvre pour le développement du nucléaire en France. En s’appuyant sur le résultat de ces débats, le Parlement pourra faire évoluer la loi. Le Sénat, saisi du projet de loi d’accélération du nucléaire, a d’ores et déjà pris l’initiative de supprimer les plafonds des articles L. 100-4, 5° et L. 311-5-5 du Code de l’énergie, en ajoutant un nouvel article 1er A au projet de loi.

Les débats actuels sur le nucléaire sont l’occasion de rappeler que la construction de nouveaux réacteurs est jalonnée par une multitude d’étapes importantes dont l’étude du design, la préparation du site supposant la réalisation de travaux préparatoires ou encore l’obtention des autorisations administratives nécessaires, que le projet de loi souhaite simplifier. Encore faut-il que le projet de loi aboutisse avant la fin du premier trimestre 2023 pour permettre au projet Penly de bénéficier du nouveau régime d’accélération et de simplification des procédures.

Le régime juridique actuel d’autorisation

Les installations nucléaires de base (INB) sont soumises en raison de leur nature de la quantité ou de l’activité des substances radioactives qu’elles contiennent, à des dispositions particulières visant à protéger les personnes et l’environnement. L’article L.593-2 du Code de l’environnement dresse une liste des installations considérées comme des INB, dont font notamment partie "1° Les réacteurs nucléaires".

Bien que les sources soient morcelées entre différents codes (Code de l’énergie, Code de l’urbanisme, Code de la santé publique, etc.), l’essentiel du droit applicable aux activités et installations nucléaires se trouve au sein du Code de l’environnement. Ce choix peut paraître surprenant compte tenu de l’existence du Code de l’énergie, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un régime particulier de police administrative qui se distingue clairement du régime juridique des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).

La construction de nouveaux réacteurs nucléaires nécessite une demande d’autorisation de création d’une INB afin d’obtenir le décret d’autorisation de création (DAC). Au DAC s’ajoute plusieurs autorisations connexes nécessaires à la réalisation du projet (voir le schéma des différentes autorisations administratives nécessaires à la construction d’un réacteur électronucléaire disponible sur Internet dans le dossier du maître d’ouvrage de Penly, page 198).

Le décret d’autorisation de création

L’article L.593-7 du Code de l’environnement impose le dépôt d’une demande d’autorisation pour la création d’une INB auprès du ministre chargé de la sûreté nucléaire (actuellement le ministre de la Transition énergétique), par l’industriel qui prévoit d’exploiter l’installation et qui acquiert ainsi la qualité d’exploitant (5).

La demande contient un dossier composé notamment du plan détaillé de l’installation, de l’étude d’impact, de la version préliminaire du rapport de sûreté, de l’étude de maîtrise des risques et du plan de démantèlement(6). Le compte rendu et le bilan du débat public doivent également être joints au dossier de demande.

L’instruction du dossier est réalisée par le ministre de l’Energie, en coordination avec l’Autorité de sureté nucléaire (ASN) et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Elle est menée sur une durée de trois ans, avec une possibilité de prolongation de deux ans si la complexité du dossier le justifie(7).

Le projet de création d’une INB est soumis à évaluation environnementale en application de l’article L.122-1 du Code de l’environnement, ce qui implique la réalisation d’une étude d’impact.

Une fois la demande de création déposée, une enquête publique est organisée par le préfet dans chacune des communes distantes de moins de cinq kilomètres de l’installation. La durée de cette enquête est d’au moins un mois (8).

À la suite de l’enquête publique, le décret est signé par le Premier ministre, après avis de l’ASN. Le DAC et l’avis de l’ASN sont publiés sur le Journal officiel. Le DAC peut faire l’objet d’un recours des tiers dans un délai de deux ans à compter de sa publication en premier et dernier ressort devant le Conseil d’Etat (9).

Les autorisations connexes

La construction de réacteurs électronucléaires nécessite l’obtention d’un permis de construire délivré par le préfet compétent (10). Les travaux préparatoires comme ceux relatifs aux aménagements et terrassements ou la mise en place de routes et bâtiments nécessaires au pilotage du chantier, peuvent commencer une fois le permis de construire délivré.

Une autorisation environnementale prévue par l’article L.181-1 du Code de l’environnement est également requise pour procéder à la réalisation des travaux portant sur les ICPE et IOTA dans le périmètre de l’INB mais non nécessaires à son fonctionnement (11) .

Enfin, si la centrale est située sur le littoral, une demande de concession d’utilisation et de travaux sur le domaine public maritime de l’Etat et de reconnaissance d’utilité publique est nécessaire en application de l’article L.2124-3 du Code général de la propriété des personnes publiques. En l’occurrence, le projet Penly, situé hors zone portuaire, nécessite une déclaration d’utilité publique (DUP) afin de procéder aux travaux d’extension de la plateforme sur la mer et au décalage de la digue de protection.

Le dépôt de l’ensemble des demandes d’autorisations administratives peut s’effectuer de manière simultanée, comme l’a fait EDF pour Penly (12) , ce qui permet d’avoir une meilleure lisibilité du projet tout en optimisant la durée nécessaire à l’obtention des différentes autorisations. A titre d’illustration, le calendrier proposé par EDF prévoit quinze mois entre le dépôt des dossiers de demandes et l’obtention du permis de construire et de l’autorisation environnementale.

A ces autorisations mentionnées portant sur la phase de construction du projet, il convient d’ajouter les autorisations relatives à la phase d’exploitation des réacteurs électronucléaires, à savoir, l’autorisation de mise en service délivrée par l’ASN, prévue par les articles R.593-29 et suivants du Code de l’environnement, et l’autorisation d’exploitation d’une installation de production d’électricité, prévue par l’article L.311-1 du Code de l’énergie, délivrée par le ministre de l’Energie.

Les apports principaux du projet de loi d’accélération du nucléaire

Le projet de loi contient trois titres dont le premier, qui a suscité le plus de réactions, intègre huit articles (quatorze à l’issue de la première lecture au Sénat) et vise à accélérer les procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants. Le deuxième titre contient deux articles (cinq à l’issue de la première lecture au Sénat) et concerne les mesures relatives au fonctionnement des INB existantes. Le troisième titre contient quant à lui diverses mesures, sur lesquelles on ne s'étendra pas : on rappellera simplement qu’il ratifie notamment l’ordonnance n°2016-128 du 10 février 2016 sur diverses dispositions en matière nucléaire.

Nous revenons ici sur les mesures d’accélération des procédures du titre I du projet de loi et plus particulièrement sur deux dispositions.

A titre liminaire, le projet de loi précise en son article 1er que le nouveau régime juridique s’applique aux demandes d’autorisation de création déposées dans les 15 ans (20 ans, à l’issue de la première lecture au Sénat) suivant sa promulgation, à condition de se situer à proximité immédiate ou à l’intérieur du périmètre d’une INB. Ces conditions sont susceptibles d’être remplies pour le projet Penly. Ce critère d’implantation à proximité immédiate ou à l’intérieur d’une INB devrait être étendu, à l’issue de la première lecture au Sénat, afin d’inclure les SMR dans le champ d’application du projet de loi, alors même qu’ils ont davantage vocation à être installés, non pas à proximité des lieux de production mais à proximité des lieux de consommation.

Ensuite, l’article 3 du projet de loi prévoit de dispenser d’autorisation d’urbanisme les constructions, aménagements, installations et travaux réalisés en vue de la création d’un réacteur électronucléaire et des équipements et installations nécessaires à son exploitation, tout en garantissant le contrôle de leur conformité aux règles d’urbanisme. A ce titre, l’étude d’impact du projet de loi(13) précise que cette dispense est nécessaire dans la mesure où "le formalisme attendu d’un dossier de permis de construire n’est pas adapté à l’ampleur, la complexité et la sensibilité d’un projet de création de centrale électronucléaire".

Enfin l’article 4 prévoit de séquencer le début des travaux en fonction des enjeux de sûreté. Ainsi, il convient de distinguer les travaux "préalables", liés aux constructions non nucléaires (parkings, locaux administratifs et autres infrastructures de support), des travaux liés à la construction du réacteur électronucléaire (coulage du radier nucléaire, enceinte du bâtiment nucléaire etc.). Dans la première situation, les travaux pourront débuter à la suite d’une autorisation environnementale en application de l’article L.181-1 du Code de l’environnement dont la procédure d’instruction intègre l’étude d’impact du projet global et l’enquête publique. Dans la deuxième situation, et par dérogation à l’article L.425-12 du Code de l’urbanisme, selon lequel les travaux ne peuvent être exécutés avant la clôture de l'enquête publique préalable au DAC, le début des travaux est reporté à la date de publication du DAC. Selon l’étude d’impact du projet de loi, ce dispositif devrait réduire d’un à deux ans la durée de construction d’un réacteur électronucléaire en permettant un démarrage anticipé des travaux, le délai d’instruction dans le cadre de la procédure de l’autorisation environnementale étant plus court que celui de la demande d’autorisation de création d’une INB.

Par conséquent, l’article 3 du projet de loi, couplé aux dispositions de l’article 4, devrait permettre de réduire la durée de construction d’un réacteur électronucléaire tout en simplifiant les procédures auxquelles elle est soumise. A noter que cette simplification du cadre juridique a également vocation à diminuer le risque de recours contentieux en limitant le nombre d’actes attaquables. Toutefois, cette simplification se fait dans le respect des règles de l’article L.593-1 du Code de l’environnement (sécurité, santé et salubrité publiques, protection de la nature et de l'environnement) ainsi que du principe de participation du public.

Dans le contexte de relance du nucléaire en France, le projet de loi entend participer à la réalisation de cet objectif en simplifiant les différentes procédures administratives d’autorisation, sans oublier de garantir la protection des intérêts essentiels. L’ensemble des leviers, législatifs et réglementaires, techniques, financiers ou encore contractuels sont à mobiliser pour parvenir aux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, tout en assurant la sécurité d’approvisionnement et l’indépendance énergétique de la Nation.


(1) L’acronyme EPR recouvre deux appellations "European Pressurized Reactor" puis "Evolutionary Power Reactor".
(2) Débat public sur les nouveaux réacteurs nucléaires et le projet Penly | vie-publique.fr
(3) Article L.100-4, 5° du Code de l’énergie. 
(4) Production – Production totale : RTE Bilan électrique 2020 (rte-france.com)
(5) Article R.593-15 du Code de l’environnement. 
(6) L’article R.593-16 du Code de l’environnement prévoit la liste complète des documents à inclure dans le dossier de demande.
(7) R.593 -28 du Code de l’environnement.
(8) L.123-1 à L.123-18 et R.123-1 à R. 123-27 du Code de l’environnement. 
(9) L.596-23 du Code de l’environnement. Il s’agit d’un contentieux de pleine juridiction. 
(10) L.421-1 et R.421-1 et suivants du Code de l’urbanisme. 
(11) L.593-33 du Code de l’environnement. 
(12) Cf. Dossier du maître d’ouvrage en date du 4 octobre 2022, projet Penly.
(13) Etude d’impact du projet de loi relatif à l’accélération du nucléaire.


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