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Vente à terme de certificats d’économies d’énergie

Quels risques ?

15/12/2020

Pour satisfaire leurs obligations légales, les "obligés" aux économies d’énergie, définis à l’article L.221-1 du Code de l’énergie ont plusieurs possibilités : produire des certificats d’économies d’énergie sur leur propre patrimoine (autoproduction), produire des certificats en propre (directement auprès des bénéficiaires d’économies d’énergie), les produire en sous-traitance via un mandataire, financer des programmes ouvrant droit à des certificats, déléguer purement et simplement l’obligation à un "délégataire" (par un contrat de prestation de services et non un contrat d’achat de biens meubles), acheter des certificats sur le marché secondaire en forward (prix défini en amont de la production) ou enfin acheter des certificats sur le marché secondaire en spot (une fois le certificat produit)[1].

Les certificats d’économies d’énergie sont des biens meubles négociables exclusivement matérialisés par leur inscription au compte de leur détenteur dans un registre (article L.221-10 du Code de l’énergie), dit "Emmy". Ces certificats peuvent être, aux termes de l’article L.221-8 du code de l’énergie "détenus, acquis ou cédés".

Les achats de certificats sur le marché secondaire en forward présentent des risques spécifiques, qui découlent de la nature de cet acte juridique : contrat de vente d’une part, contrat de vente à terme, d’autre part.

En pratique, un obligé va se rapprocher d’un "éligible" ou de toute autre personne morale qui dispose d’un compte sur le registre Emmy et qui est prêt à lui livrer des certificats selon un calendrier déterminé à l’avance, à un prix lui aussi déterminé ou déterminable à l’avance. L’obligé et ce tiers vont conclure un contrat de vente de certificats d’économies d’énergie : ils seront donc convenus par avance du prix des certificats, du volume à livrer et du calendrier de livraison dans le cadre de ce qui correspond à une vente à terme.

A la différence de la condition suspensive, le terme suspensif est un événement futur dont la réalisation est certaine, à une date qui elle peut être connue (terme certain) ou inconnue (terme incertain). La vente à terme est une vente définitivement formée, génératrice d’obligations à la fois pour le vendeur (essentiellement, de délivrance) et pour l’acquéreur (essentiellement, de payer le prix). Le terme suspensif retarde seulement l’exigibilité de ces obligations (article 1305 du Code civil). Il est par ce biais possible de retarder l’exécution de l’obligation de délivrance ou de celle de paiement du prix ou encore, nous y reviendrons, la date du transfert de la propriété[2]. Le terme suspensif est ainsi une modalité qui permet de reporter non la naissance d’une obligation ou d’un contrat mais seulement son exécution : ainsi peut-on retarder l’échéance du paiement du prix ou de la délivrance de la chose par un terme. C’est l’arrivée du terme qui rend la créance exigible.

Les contrats de vente à terme de certificats d’économies d’énergie portent souvent sur des volumes de certificats importants, et donc sur des sommes importantes : ils s’exécutent de ce fait sur une période relativement longue dans un contexte légal et réglementaire particulièrement évolutif. L’un des risques pour l’acheteur est donc de subir un défaut de livraison total ou partiel des certificats achetés, tandis que l’un des risques pour le vendeur de certificats est de ne pas être payé de tout ou partie des volumes de certificats livrés.

On citera, sans souci d’exhaustivité, quelques mécanismes qui peuvent être mis en place pour cantonner certains des risques inhérents à cette vente à terme.

Gérer le risque de défaut de l’acheteur : prévoir une clause de réserve de propriété

En matière de vente de biens meubles, la vente est parfaite, même à l'égard des tiers, par le seul consentement des parties, dans les termes de l'article 1583 du Code civil, qui énonce que la vente "est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé". Ainsi en principe il y a coïncidence entre l’effet translatif de la vente et l’échange des consentements.

Toutefois, les parties peuvent avancer ou retarder le transfert des droits issus de la vente par l’insertion dans leur contrat d’une clause de réserve de propriété. Il s'agit de la clause par laquelle le vendeur stipule que le transfert de propriété de la chose qu'il a livrée va être retardé jusqu'au moment où le prix sera intégralement payé. Tous les biens peuvent faire l'objet d'une réserve de propriété : corporels ou incorporels, meubles ou immeubles, fongibles ou non. La clause de réserve de propriété présente surtout l’intérêt dans les ventes de marchandises où le paiement du prix est différé ou échelonné : dans ce cas, le vendeur conserve, tant qu’il n’a pas été payé, la propriété de la chose[3]. Demeurant propriétaire jusqu’au paiement total du prix, le vendeur continue aussi de supporter les risques de perte de la chose, mais il est possible et fréquent, en cas de propriété réservée, de stipuler que les risques seront transférés à l’acquéreur, même non encore propriétaire. Le paiement complet du prix entraîne ensuite automatiquement le transfert de propriété. En contrepoint, la défaillance de l'acheteur dans son obligation de paiement permet sous certaines conditions la revendication du bien en nature par le vendeur.

L’intérêt de cette clause de réserve de propriété, dont la nature est régulièrement débattue (terme, condition ou sûreté[4]), a été renforcé par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés, qui a introduit dans le Code civil au sein des textes traitant des sûretés réelles portant sur les biens meubles un chapitre relatif à la "propriété retenue ou cédée à titre de garantie". Ainsi l’article 2367 du Code civil dispose-t-il : "La propriété d'un bien peut être retenue en garantie par l'effet d'une clause de réserve de propriété qui suspend l'effet translatif d'un contrat jusqu'au complet paiement de l'obligation / La propriété ainsi réservée est l'accessoire de la créance dont elle garantit le paiement". La Chambre commerciale de la Cour de cassation a analysé la clause de réserve de propriété comme une sûreté suspendant l’effet translatif de propriété du contrat de vente jusqu’à complet paiement du prix : une telle suspension ne remet pas en cause le caractère ferme et définitif de la vente intervenue dès l’accord des parties sur la chose et le prix (Cass. com., 17 octobre 2018, n° 17-14.986).

Les certificats d’économies d’énergie délivrés par l’Administration pouvant s’analyser à notre sens comme des biens fongibles incorporels, le vendeur impayé doit pouvoir appréhender entre les mains de l’acheteur des certificats présents sur le compte Emmy dudit acheteur, dès lors que ceux-ci sont "de même nature et de même qualité" que ceux que le vendeur revendiquant a livrés. Et ce, y compris dans l’hypothèse où une procédure collective serait ouverte contre l’acheteur impécunieux (article L.624-16 alinéa 3 du Code de commerce). On peut toutefois se demander jusqu’où irait la fongibilité des certificats d’économies d’énergie : nous ne sommes pas certains qu’elle irait jusqu’à considérer que des certificats "classiques" et des certificats "précarité" sont fongibles.

Néanmoins, la question se pose de la coexistence de ce mécanisme de réserve de propriété avec la matérialisation exclusive de certificats d’économies d’énergie par leur inscription au compte de leur détenteur dans un registre. L’articleL. 221-10 du Code de l’énergie dispose en effet que "les certificats d'économies d'énergie sont exclusivement matérialisés par leur inscription au registre national des certificats d'économies d'énergie, accessible au public et destiné à tenir la comptabilité des certificats obtenus, acquis ou restitués à l'Etat. Toute personne mentionnée aux 1° à 6° de l'article L. 221-7 ou toute autre personne morale peut ouvrir un compte dans le registre national." La réserve de propriété pourrait toutefois à notre avis se conjuguer avec le mécanisme de l’inscription en compte, dans lequel on retarde la date de l’inscription en compte au bénéfice de l’acquéreur au jour du complet paiement du prix. Une mention substitutive serait prévue pendant la période intercalaire pour signaler que l’acquéreur serait possesseur des certificats, détenus jusqu’alors par le vendeur. 

Gérer le risque de l’augmentation des coûts du vendeur

Dans un contrat de vente à terme de certificats d’économies d’énergie, l’obligé et le vendeur seront convenus par avance du prix des certificats, du volume à livrer et du calendrier de livraison des volumes. Ce contrat va donc s’exécuter sur une certaine durée, durant laquelle les coûts de "production" du vendeur peuvent augmenter : cette augmentation des coûts peut notamment découler d’un changement de réglementation.

Le contrat de vente à terme peut alors contenir des clauses de modification bilatérale du contrat (clause de hardship, d’imprévision, de sauvegarde, de révision, etc.) lorsqu’un événement imprévu vient bouleverser l’économie et l’équilibre du contrat. Les parties peuvent ainsi convenir de mécanismes qui leur permettront, le cas échéant, de rétablir l’équilibre du contrat.

La spécificité de la relation contractuelle portant sur des certificats d’économies d’énergie fait que les circonstances susceptibles d’être à l’origine d’une modification du contrat pour bouleversement de l’économie ou de l’équilibre économique du contrat peuvent faire l’objet d’une énumération, même si les parties ont naturellement la faculté de s’en tenir à des stipulations générales. Le cadre réglementaire des certificats d’économies d’énergie étant fortement mouvant, il n’est pas exclu que l’un des changements fréquents de législation ou de réglementation affecte profondément l’exécution des contrats en cours : la possibilité d’appliquer une clause de sauvegarde doit donc être prise en considération. Cependant, une telle clause ne trouvera à s’appliquer que lorsque les événements auront certaines conséquences : les relations contractuelles doivent être gravement ou substantiellement affectées. Le marché se soucie notamment du risque de renforcement de l’obligation de contrôle des travaux qui viendrait accroitre les coûts du vendeur. De fait, certains contrats de vente à terme prévoient d’ores et déjà que ce dernier ne saurait utiliser le renforcement des obligations de contrôle pour mettre en œuvre la clause de sauvegarde. Enfin, dans l’hypothèse où le mécanisme d’adaptation du contrat est mis en œuvre, cette adaptation peut être ou n’être pas couronnée de succès. L’échec, peut conduire au maintien du contrat ou à sa résiliation, suivant ce qu’ont décidé les parties. Le contrat peut encadrer la résiliation (notification de cette faculté, délai de préavis, etc.). 

Le contrat peut aussi rester silencieux, ce qui conduit à ne pas exclure le recours à la théorie de l’imprévision qui ouvrirait au vendeur la faculté de renégocier le contrat. L’article 1195 du Code civil prévoit en effet que "si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin à la date et aux conditions qu’il fixe".

Ces risques, quels qu’ils soient, doivent se combiner avec le risque majeur, et peu commun, de la fragilité du "sous-jacent" objet de l’échange, puisque les certificats peuvent faire l’objet d’un retrait ou même d’une annulation par l’Administration plusieurs années après leur délivrance à titre de sanction contre leur premier détenteur. A cet égard, les opérateurs du marché actifs sur le marché secondaire sont attentifs à l’issue d’un contentieux qui a donné lieu à deux décisions du Conseil d’Etat du 24 juillet 2019 (CE, 24 juillet 2019, n° 428852, Total Réunion, et CE, 24 juillet 2019, n° 428855, Engie) aux conclusions de Marie-Astrid de Barmon : le Conseil d’Etat a renvoyé le jugement des requêtes devant le juge administratif de première instance (tribunal administratif de la Réunion et tribunal administratif de Paris).  


[1] Cette classification,classique, a été récemment reprise par l’Agence de la transition écologique, ex-ADEME (ADEME, Evaluation du dispositif des certificats d’économies d’énergie, 2019)

[2] François Collart Dutilleul, Philippe Delebecque, Contrats civils et commerciaux, Paris, Dalloz, 10ème édition, 2015, §80.

[3] Sur l’opposabilité de cette clause de réserve de propriété aux créanciers de l’acheteur, voir JCL Contrats et Distribution, Fasc. 3770 Ventes conditionnelles, Hugues Kenfack, §107 et s.

[4] Sur la qualification de la réserve de propriété, voir JCL Contrats et Distribution, Fasc. 3770 Ventes conditionnelles, Hugues Kenfack, § 113 et s.

 


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