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Clause de mobilité : l’assouplissement de la jurisprudence se confirme

04/05/2018

La clause de mobilité par laquelle le salarié s’engage, compte tenu de la nature de ses fonctions, "à accepter tout changement de lieu de travail nécessité par l’intérêt du fonctionnement de l’entreprise et ce, sur l’ensemble du territoire national", définit de façon suffisamment précise sa zone géographique d’application et ne confère pas à l’employeur le pouvoir d’en étendre unilatéralement la portée de sorte que le salarié ne peut en refuser l’application. C’est ce que décide la chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 5 avril 2018 (n° 16-25.242).

La mention du lieu de travail dans le contrat de travail constitue en principe une simple mention informative, à moins que les parties n’aient entendu convenir expressément que le salarié exercerait ses fonctions exclusivement dans ce lieu (Cass. soc., 3 juin 2003 n° 01-43.573 ; Cass. soc., 15 déc. 2004, n° 02-46.635). Rien ne s’oppose donc alors à ce que l’employeur modifie le lieu de travail du salarié dans un même secteur géographique, notion qu’il appartiendra au juge d’apprécier. Pour permettre à l’employeur de modifier le lieu de travail, au-delà de ce secteur, sans que cela constitue pour autant une modification du contrat de travail, il est fréquent que le contrat de travail comporte une clause de mobilité fixant les limites dans lesquelles des modifications du lieu de travail peuvent intervenir sans que le salarié puisse s’y opposer.

La mobilité convenue au contrat de travail peut prendre plusieurs formes, qu’il s’agisse de la possible affectation du salarié d’un lieu de travail sédentaire à un autre, de l’accomplissement de déplacements professionnels dans un rayon donné autour du lieu de travail habituel ou, enfin, de l’affectation du salarié d’un chantier à un autre, dans un périmètre déterminé.

Depuis 2006, la Cour de cassation énonce que, pour être valable la clause de mobilité doit définir précisément sa zone géographique d’application et ne peut permettre à l’employeur d’en étendre unilatéralement la portée. Une clause prévoyant que le salarié peut être affecté sur l’ensemble du territoire ou sur toute la zone d’activité de l’employeur ne répond donc pas à l’exigence de définition précise de la zone géographique d’application de la clause (Cass. soc., 7 juin 2006 n° 04-45.846 ; Cass. soc., 14 oct. 2008, n° 06-46.400 ; Cass. soc., 18 mai 2011, n° 09-42.232).

Si ce principe n’est pas remis en cause, ses modalités d’appréciation ont été considérablement modifiées par la Cour de cassation. 

Mutation géographique d’un établissement à un autre

Compte tenu de la nécessité de définir avec précision la zone géographique d’application de la clause de mobilité, on a longtemps considéré que la validité de la clause de mobilité prévoyant la possible affectation du salarié d’un lieu de travail sédentaire dans un autre lieu sédentaire supposait que soit énuméré dans la clause l’ensemble des établissements possibles d’affectation du salarié.

Confirmant une évolution récemment amorcée (Cass. soc., 9 juill. 2014, n° 13-11.906), la Cour de cassation valide une clause de mobilité prévoyant que le lieu de travail peut être modifié "pour des raisons touchant à la nature de l’activité, à l’organisation et au bon fonctionnement de l’entreprise ou à l’évolution de son activité. La salariée pourra ainsi être mutée dans l’un de nos établissement actuels ou futurs en France (Belfort, Bourges, Colomiers, Figeac, Rennes, Paris, Saint Nazaire,…)".

Elle décide en effet que la référence aux établissements situés en France, constitue une zone d’application géographique suffisamment précise, de sorte que le salarié n’ignorait pas l’étendue de son obligation de mobilité (Cass. soc., 14 févr. 2018, n° 16-23.042). Plus récemment encore, la chambre sociale, statuant sur une clause de mobilité selon laquelle "compte tenu de ses fonctions, la salariée prend l’engagement d’accepter tout changement de lieu de travail nécessité par l’intérêt du fonctionnement de l’entreprise sur l’ensemble du territoire français", a décidé que la clause définit de façon suffisamment précise sa zone géographie d’application et ne confère pas à l’employeur le pouvoir d’en étendre unilatéralement la portée (Cass. soc., 5 avr. 2018, n° 16-25.242).

Désormais, une clause de mobilité prévoyant la possibilité d’une affectation dans un autre établissement est donc valable même si elle n’identifie pas expressément les lieux d’implantation des sites potentiels d’activité, à la condition toutefois que son périmètre d’application (France, territoire national, etc.) soit clairement précisé.

Déplacements professionnels

S’agissant des clauses de mobilité fixant le périmètre dans lequel des déplacements professionnels peuvent être effectués par le salarié, la jurisprudence connait une évolution similaire. Ainsi, la Cour de cassation a décidé, s’agissant d’un salarié engagé en qualité de consultant qui refusait d’exécuter les missions confiées en application d’une clause de mobilité dont il contestait la validité, que la clause portant sur "l’ensemble du territoire national", était claire, licite et précise et s’imposait au salarié qui ne pouvait ignorer, compte tenu de ses fonctions de consultant et de son secteur d’activité, qu’il serait amené à s’éloigner de son domicile. Le salarié ne pouvait donc refuser l’application de la clause (Cass. soc., 13 mars 2013, n° 11-28.916).

Reste cependant qu’une clause qui se bornerait à prévoir que le salarié pourra être affecté sur les différents chantiers de l’entreprise, actuels ou futurs, sans en indiquer la zone géographique d’application sera considérée comme nulle (Cass. soc., 15 déc. 2010, n° 09-42.539).

Notons cependant que, même en l’absence de clause de mobilité, la Cour de cassation admet que l’employeur puisse imposer des déplacements au salarié, en considérant que la nature de ses fonctions implique implicitement une mobilité. C’est ainsi par exemple, que la Cour a décidé que constituait une faute grave, le fait pour un chef de chantier du bâtiment de refuser de se rendre pour une durée de deux mois sur un chantier éloigné de 300 kilomètres de la région où il travaillait habituellement, "alors que le déplacement occasionnel imposé à un salarié en dehors du secteur géographique où il travaille habituellement ne constitue pas une modification de son contrat de travail dès lors que la mission est justifiée par l'intérêt de l'entreprise et que la spécificité des fonctions exercées par le salarié implique de sa part une certaine mobilité géographique" (Cass. soc., 22 janv. 2003, n° 00-43.826). Une décision récente de la Cour de cassation confirme que ne constitue pas une modification du contrat de travail le déplacement du salarié à plus de 329 kilomètres de son lieu de travail dès lors que la mission est décidée dans l’intérêt de l’entreprise et s’inscrit dans le cadre de l’activité du salarié, qu'un délai de prévenance raisonnable a été respecté et qu'une information régulière sur la durée prévisible de la mission a été délivrée (Cass. soc., 22 mars 2018, n° 16-19.156).

Même lorsque le critère lié aux fonctions du salarié fait défaut, la chambre sociale semble admettre que des circonstances exceptionnelles puissent justifier l’affectation temporaire du salarié sur un autre lieu de travail. Elle décide en effet qu’une telle affectation ne constitue pas une modification du contrat de travail dès lors que le salarié a été informé dans un délai raisonnable de son changement d’affectation et de sa durée prévisible ce qui n’était pas le cas dans l’espèce qui concernait une employée de cafétéria, affectée en dehors de son secteur de travail habituel pendant les travaux de rénovation des locaux où elle travaillait habituellement (Cass. soc., 3 févr. 2010, n° 08-41.412).

Le pouvoir de l'employeur limité par le droit à une vie familiale et personnelle du salarié

Qu’il s’agisse d’une clause de mobilité ou de la possible affectation temporaire du salarié sur un autre lieu de travail, sa mise en œuvre par l’employeur ne doit pas être abusive. En particulier, la mise en œuvre de la clause de mobilité ne doit pas porter une atteinte excessive au droit du salarié à une vie personnelle et familiale, c'est-à-dire que celle-ci doit être justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché (Cass. soc., 12 juill. 2010, n° 08-44.363). Ainsi, il a été jugé qu’était abusive la mutation d’une mère de quatre jeunes enfants à son retour de congé parental en ne lui proposant le poste litigieux que trois semaines avant son retour dans l'entreprise alors que ce poste était libre depuis janvier, ce qui l'avait mise dans l'impossibilité de tenir le délai ainsi fixé (Cass. soc., 14 oct. 2008 n° 07-43.071). Un tel abus n’est cependant pas caractérisé dès lors que l’employeur justifie de la nécessité de procéder à la mutation en raison de la réduction considérable et durable de l’activité à laquelle le salarié est affecté et que celui-ci est dans une situation familiale qui ne semble pas soulever de difficultés particulières (Cass. soc., 14 févr. 2018, n° 16-23.042 : à propos d'une famille dont l'époux travaillait à la Rochelle, dont la femme, âgée de 43 ans, était mutée à Toulouse, parents de deux enfants âgés de 12 et 17 ans).