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Fusion GDF/Suez : le comité d'entreprise européen entre en lice

30/04/2007

Initiée dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, la bataille autour de la fusion de Suez et Gaz de France s'est déplacée, avant même la publication de la loi du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie, dans les couloirs du Palais de Justice de Paris. Dans une ordonnance du 21 novembre 2006, confirmée le même jour (!) par la Cour d'Appel, le Tribunal de Grande Instance de Paris a en effet ordonné le report du conseil d'administration qui devait arrêter le projet de fusion tant que le comité d'entreprise européen n'aura pas rendu un avis. Ces décisions interdisent ainsi la poursuite du processus de fusion aussi longtemps qu'un certain nombre d'informations n'auront pas été communiquées au comité d'entreprise européen, en invoquant le non-respect de dispositions ayant -pour nombre d'entre elles- une origine conventionnelle. On rappellera brièvement qu'après l'annonce par le Premier Ministre, le 25 février 2006, d'un projet de fusion entre les sociétés Suez et Gaz de France, cette dernière engage une double procédure de consultation -nationale et européenne- des institutions représentatives du personnel.

D'une part, le comité central d'entreprise de Gaz de France est réuni les 23 mars, 22 septembre et 31 octobre 2006 afin d'être consulté sur ce projet. S'estimant insuffisamment informé, il saisit le Tribunal de Grande Instance de Paris qui, par ordonnance de référé du 7 novembre 2006, juge que la société lui a communiqué les documents nécessaires à sa consultation mais ne lui a pas laissé un délai suffisant pour les examiner. En conséquence, le Tribunal fixe au 21 novembre la date de la dernière réunion de consultation du comité central et prévoit la tenue, le 22 novembre, de la réunion du conseil d'administration initialement prévue le 11 novembre. D'autre part, le comité d'entreprise européen de la société Gaz de France, créé par un accord du 14 novembre 2001, est réuni les 23 mars, 31 mai et 15 novembre 2006.

Au premier abord, ce calendrier apparaît des plus séduisant, puisque :

  • il respecte les impératifs de calendrier fixés par l'ordonnance de référé du 31 octobre 2006,
  • il s'inspire très clairement des dispositions d'une ordonnance de référé du Tribunal de Grande Instance de Nanterre du 1er août 2003 qui considère que la consultation du comité d'entreprise européen doit être opérée avant celle du comité d'entreprise « français »1 ,
  • il laisse un délai suffisant aux membres du comité d'entreprise européen pour prendre connaissance de la nature de l'opération et de ses conséquences sociales.

Pour autant, malgré cette habile chronologie, le Tribunal de Grande Instance de Paris puis la Cour d'Appel ont estimé que la société Gaz de France n'avait pas respecté les prérogatives de son comité européen, deux motifs étant principalement évoqués.

Le premier motif concerne l'importance des difficultés concrètes connues par l'entreprise pour remettre aux membres de cette institution représentative les documents demandés par le Secrétaire du comité européen, et ce alors même que le Président de cette institution avait -semble-t-il- donné son aval à
cette transmission. Demandés le 31 mai 2006, ces documents n'auraient ainsi été transmis -totalement traduits- que le 3 novembre suivant, soit 10 jours seulement avant la dernière réunion. Le second motif tient à la volonté de permettre à l'expert désigné par le comité d'entreprise européen de disposer du temps nécessaire pour effectuer sa mission. A ce titre, il convient de souligner la « stratégie » particulièrement audacieuse des membres du comité européen, ceux-ci n'ayant pas hésité à procéder à cette désignation lors de la dernière réunion de consultation.

C'est d'ailleurs précisément lors de cette dernière réunion du 5 novembre que le comité d'entreprise européen décide d'assigner la société Gaz de France, demandant, outre un complément d'informations, à ce que le conseil d'administration fixé au 22 novembre soit à nouveau reporté dans l'attente de la remise
du rapport de l'expert et de l'achèvement de la procédure de consultation.

Le Tribunal de Grande Instance et la Cour d'Appel font droit à ces demandes. Ils enjoignent ainsi à la société Gaz de France de convoquer une réunion extraordinaire du comité d'entreprise européen dans les dix jours à compter du dépôt du rapport de l'expert et lui interdisent de poursuivre les opérations de fusion d'ici là. Avant d'examiner l'analyse des juges du fond, il convient de rappeler que le comité d'entreprise européen est né de la transposition en droit français de la directive 94/45 du 22 septembre 1994. Le Code du Travail (art. L. 439-1 à L. 439-24) ne fixe toutefois pas directement les prérogatives de cette institution. En effet, ses attributions, la fréquence de ses réunions, ses moyens matériels et financiers sont notamment fixés à l'issue d'une procédure particulière impliquant l'employeur et un «groupe spécial de négociation» (art. L. 439-9). En d'autres termes, la liberté contractuelle joue un grand rôle dans la fixation de la mission et des pouvoirs du comité d'entreprise européen, cette considération étant déterminante pour apprécier la portée des décisions rendues par les juges parisiens.

En premier lieu, il convient de souligner qu'à l'exception (certes notable mais quelque peu ancienne) de l'affaire Renault-Vilvoorde, le comité d'entreprise européen paraissait destiné à n'avoir qu'un rôle de figurant dans les débats relatifs à la procédure de consultation des institutions représentatives, à la différence de ses «homologues» nationaux (comité d'entreprise, comité central d'entreprise ...) qui ont, quant à eux, montré une réelle capacité à assigner l'employeur.

L'affaire Gaz de France montre aujourd'hui que le comité d'entreprise européen constitue un acteur avec lequel il faudra désormais compter. En second lieu, les juges parisiens ont considéré que la consultation du comité d'entreprise européen devait précéder la mise en oeuvre de la fusion. Une telle analyse est indiscutable s'agissant d'un comité d'entreprise «national». Ainsi l'article L. 431-5 du Code du Travail énonce-t-il que «la décision du chef d'entreprise doit être précédée par la consultation du comité d'entreprise», laquelle se traduit par l'adoption d'un avis. A cet effet, le comité d'entreprise doit disposer d'informations écrites et précises, communiquées par le chef d'entreprise dans un délai «suffisant» (art. L. 431-5). A demeurant, il n'est nullement certain que ces principes d'évidence pour tout juriste de droit social habitué au Code du travail français soient pleinement transposables au comité d'entreprise européen.

Nous relèverons, à cet égard, que les directives communautaires relatives au comité d'entreprise européen ou aux procédures d'information et de consultation entretiennent, dans ce domaine, un réel flou. Ainsi, et tout en rappelant le nécessaire « effet utile » de ses dispositions, la directive 94/45 indique que la procédure d'information/consultation du comité d'entreprise européen ne porte pas atteinte aux prérogatives de la Direction de l'entreprise. De même, cette directive laisse aux partenaires sociaux -chargés de mettre en place le comité d'entreprise européen- d'importantes libertés, l'article 6 de la directive 94/45 leur permettant ainsi de déterminer -et non pas seulement de préciser- « les attributions et la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise européen ».

Aucun de ces termes n'impose dès lors expressément que la réunion du comité précède la décision de l'employeur. Dans ces conditions, les décisions du Tribunal de Grande Instance et de la Cour d'Appel de Paris peuvent paraître surprenantes au premier abord. Elles le sont cependant nettement moins si l'on examine le contenu de l'accord du 14 novembre 2001 créant le comité d'entreprise européen de Gaz de France. L'article 4 de ce texte, qui porte sur la consultation du comité, est rédigé en des termes qui ne sont pas sans évoquer les règles relatives au fonctionnement d'un comité d'entreprise «national». Ainsi, le comité est obligatoirement consulté, « avant leur mise en oeuvre », sur les orientations du groupe Gaz de France portant notamment sur la politique sociale du groupe en matière de restructurations (art. 4-2). En outre, dans le cas d'évènements exceptionnels ou transnationaux, tels que des «fusions», il doit être consulté « dans un délai suffisant pour que les éléments du débats ou l'avis du CEE puissent être intégrés au processus de décision » (art. 4-3). Enfin, le recours à l'expertise est prévu, à l'initiative des membres du comité et par vote à la majorité des voix, sur les questions «relevant des domaines de consultation » du comité (art. 5-4). De telles dispositions -dont la rédaction n'est pas sans rappeler celles du Code du travail- ont nécessairement permis aux magistrats parisiens de considérer que le comité d'entreprise européen de la société Gaz de France, loin d'être une institution étrangère, entretenait avec notre comité d'entreprise, une étroite parenté. Cette situation a ainsi clairement contribué à ce que les juges examinent la procédure de consultation de cette institution représentative à l'aune des règles relatives au comité d'entreprise, à savoir : antériorité de la consultation, nécessité d'une information et d'un délai d'examen suffisants. L'article 4-3 a d'ailleurs été expressément cité par la Cour d'Appel de Paris à l'appui de son arrêt. Il convient par conséquent de faire preuve de la plus grande prudence lors de la rédaction ou de la modification de l'accord constitutif du comité d'entreprise européen. En particulier, les clauses relatives à la description des missions du comité, à ses prérogatives et à l'information dont il peut bénéficier, notamment en cas de projet important, devront être examinées avec soin.

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1 Cf. TGI de Nanterre, 1er août 2003, SA Alsthom Power Turbomachines c/Comité central d'entreprise.
Article paru dans la revue Décideurs : Stratégie Finance Droit n°83 mars 2007


Authors:

Ghislain Beaure d'Augères, Avocat Associé - Emmanuel Randoux, Juriste