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La CJUE enserre les réseaux privés d’acheminement de l’électricité dans le régime du "réseau fermé de distribution"

Lettre des Régulations | Janvier 2019

23/01/2019

Par un arrêt Solvay Chimica Italia SpA e. a., rendu sur une question préjudicielle posée par le tribunal administratif régional (TAR) de Lombardie, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé la notion de réseau de distribution au sens du droit européen de l’énergie. Selon elle, il n’existe que des réseaux publics, des réseaux fermés et de petits réseaux isolés (CJUE, 28 novembre 2018, C‑262/17, C‑263/17 et C‑273/17, concl. Evgeni Tanchev).

Le réseau en cause dans cette instance a été créé avant l’intervention de la directive 2009/72 du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité, pour pratiquer l’autoconsommation collective : un petit nombre d’utilisateurs y est raccordé ; il est lui-même raccordé à un réseau public et était jusqu’à présent soumis à des règles spécifiques, contrepartie de l’investissement consenti et du fait que le recours au réseau public était "résiduel" (les redevances dues par les utilisateurs de ce réseau privé au gestionnaire du réseau de transport au titre du service d’appel étaient ainsi calculées sur la quantité d’électricité échangée par ledit réseau avec le réseau public et non mesurée à chacun de leurs points de connexion).

La Cour juge d’abord qu’un tel ouvrage, qui achemine de l’électricité destinée à être vendue à des clients finals, constitue un réseau de "distribution" au sens de la directive 2009/72, dans la droite ligne de son arrêt Citiworks (CJCE, 22 mai 2008, C-439/06) et de l’acception large de cette notion qu’elle y avait retenue : peu importent la date de sa constitution et sa finalité d’autoconsommation ou que la notion de "réseau fermé de distribution" ait été inventée avec la directive du 13 juillet 2009. Elle ajoute que, puisque ce n’est pas un réseau public, il s’agit nécessairement d’un "réseau fermé de distribution", aux termes de l’article 28 de ce texte, comme l’avait décidé le régulateur italien.

En conséquence, dès lors qu’il ne s’agit pas d’un "petit réseau isolé", les seules exemptions possibles sont celles autorisées par la directive pour les réseaux fermés de distribution. Le gestionnaire d’un tel réseau peut être exempté par son régulateur, en application de textes pris sur le fondement des articles 28(2) et 26(4) de la directive, des obligations de :

  • se procurer l’énergie qu’il utilise pour couvrir les pertes d’énergie et maintenir une capacité de réserve dans le réseau selon des procédures transparentes, non discriminatoires et reposant sur les règles du marché ;
  • veiller à ce que les tarifs - ou leurs méthodes de calcul - soient approuvés avant leur entrée en vigueur, étant rappelé par ailleurs que l’obligation d’ériger en entreprise "dissociée" les distributeurs desservant moins de 100 000 clients ou approvisionnant des petits réseaux isolés s’applique de facto à la totalité de ces réseaux.

Par suite, la CJUE considère qu’il est impossible d’exempter les gestionnaires de réseaux fermés de distribution de l’obligation d’offrir aux tiers un libre accès auxdits réseaux, c’est-à-dire à toute personne, fournisseur ou consommateur d’électricité, y compris les personnes qui ne sont pas des utilisateurs historiques du réseau de distribution – ces derniers sont généralement des sites industriels, commerciaux ou de partage de services. La Cour exclut toutefois les consommateurs domestiques : à défaut de pouvoir leur refuser l’accès, un gestionnaire de réseau fermé aurait vu cet ouvrage perdre sa qualification et aurait dû transférer ce réseau privé (fermé) à un gestionnaire de réseau public (ouvert).

Enfin, la Cour de justice renvoie à la juridiction nationale le soin de contrôler la compatibilité, au regard de l’égalité de traitement, principe général du droit de l’Union, des dispositions de droit italien relatives aux redevances dues au titre du service d’appel, tant sur le principe qu’au regard du rapport entre les coûts exposés et l’avantage ainsi procuré aux utilisateurs du réseau fermé.

Cet arrêt de la Cour de justice, éclairé par les conclusions de son avocat général, impose donc de qualifier tout réseau de distribution, public ou privé, de réseau de distribution au sens de la directive du 13 juillet 2009, ce qui le soumet dès lors à de nombreuses contraintes. Cette solution, motivée par la dimension téléologique du droit de l’Union ("l’achèvement du marché intérieur de l’électricité" : point 36 de l’arrêt) est préoccupante pour les nombreux réseaux privés qui se sont formés au cours de l’histoire de l’électricité, en France comme en Italie et sans doute ailleurs, au vu et au su des pouvoirs publics et des gestionnaires de réseaux publics, avant l’apparition de la notion et du régime juridique des "réseaux fermés de distribution". Elle vient conforter la situation d’illégalité dans laquelle les a plongés l’arrêt Valsophia rendu le 12 janvier 2017 par la cour d’appel de Paris (confirmé par la Cour de cassation ; voir notre brève dans la Lettre des Régulations #7 d’octobre 2018) à l’encontre de la solution raisonnable et pragmatique du CoRDiS de la CRE (voir notre article sur LEXplicite), que défendaient également, en substance, les requérantes italiennes devant le TAR de Lombardie.

Il reste à voir si et, le cas échéant, comment le développement irrépressible de l’"autoconsommation collective" en Europe va faire évoluer les choses.


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Cet article a été publié dans notre Lettre des régulations de janvier 2019Cliquez ci-dessous pour découvrir les autres articles de cette lettre.

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