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La notion d'accord majoritaire dans la négociation collective d'entreprise

13/03/2005

1 - Le droit des accords collectifs d'entreprise avant la Loi du 4 mai 2004

L'article L.132-2 ancien du code du travail prévoyait que "la convention ou l'accord collectif de travail est un acte écrit (...) qui est conclu entre (...) d'une part ou plusieurs organisations syndicales de salariés reconnues représentatives (...) d'autre part un ou plusieurs employeurs pris individuellement."

Un accord signé par un employeur et une seule organisation syndicale représentative était donc parfaitement valable, sauf dans les rares hypothèses où la Loi permettait un droit d'opposition au profit, et selon les cas visés, des organisations syndicales non signataires dites majoritaires (c'est à dire celles ayant recueillies les voix de plus de la moitié des électeurs inscrits lors des dernières élections du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel) ou de la majorité en nombre des syndicats représentatifs.

Ainsi, du fait de la présomption de représentativité dont bénéficient 5 syndicats au plan national interprofessionnel, l'accord collectif d'entreprise pouvait ainsi être conclu par un syndicat pas, ou peu, représentatif des salariés de l'entreprise.

Une évolution des textes était donc souhaitable. La réforme de la négociation collective renforce la légitimité des accords collectifs en consacrant le principe majoritaire pour la conclusion de ces textes.

2 - Le régime juridique actuel des accords collectifs d'entreprise.

Le nouvel article L.132-2-2 III du code du travail laisse à une convention de branche ou à un accord professionnel étendu le soin d'opter en faveur de 2 déclinaisons possibles du principe majoritaire pour la conclusion de ces accords : la majorité d'engagement ou le droit d'opposition des syndicats majoritaires.

Ø Par majorité d'engagement, il convient d'entendre un accord collectif signé par "une ou des organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins la moitié des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel."

A défaut d'être majoritaire au sens indiqué ci-dessus, l'accord pourra être soumis à l'approbation, à la majorité des suffrages exprimés, des salariés de l'entreprise (les conditions de ce référendum devant être fixées par un prochain décret) afin de pouvoir acquérir la valeur juridique d'un accord collectif d'entreprise.

Ø Outre ce dispositif, l'accord de branche peut subordonner la validité d'un accord collectif d'entreprise à l'absence d'opposition d'un ou plusieurs syndicats majoritaires.

Pour être recevable, cette opposition doit être formulée dans les 8 jours de la notification de l'accord aux organisations syndicales non signataires.

En l'absence de dispositions conventionnelles de branche, le droit d'opposition des syndicats majoritaires s'applique.

A première vue, ce nouveau régime paraît relativement simple et les textes semblent répondrent aux interrogations que pourraient susciter l'application du nouveau dispositif.

Ainsi, en cas de carence d'élections professionnelles, l'article L.132-2-2 III prévoit que l'accord conclu devra être soumis à l'approbation du personnel.

Autre précision, de la part cette fois de l'administration (circ. DRT N°09 du 22 septembre 2004), "seuls sont pris en compte les suffrages valablement exprimés (...) au premier tour, et non les bulletins blancs ou nuls.
Le nombre de voix à prendre en compte est le total de celles recueillies par chaque liste et par collège par les candidats titulaires au premier tour, alors même que l'ensemble des sièges n'aurait pas été pourvu ou que le quorum n'aurait pas été atteint."

Toutefois, une analyse plus précise de ces textes montre que ceux-ci risquent de poser des difficultés pratiques d'application qui nécessiteront des précisions de la part de la jurisprudence.

3 - Difficultés induites par les nouvelles dispositions légales

Tout d'abord, il est à souligner que la circulaire d'application apporte des précisions pouvant être vues comme contraires au texte de Loi.

Ainsi, l'article L.132-2-2 du code du travail fait référence au "suffrages exprimés" au premier tour des élections professionnelles pour apprécier la notion de syndicat majoritaire. Or, il peut être soutenu que par suffrages exprimés, il convient d'entendre le nombre de votants, les bulletins blancs ou nuls constituant aussi des suffrages exprimés.

En revanche, la circulaire fait référence aux "bulletins valablement exprimés", déduction faite des bulletins blancs ou nuls.

Bien entendu, et selon que l'on prenne en compte les suffrages exprimés ou seulement les bulletins valablement exprimés, les calculs de majorité peuvent aboutir à des résultats totalement différents.

Prenons à titre d'illustration l'exemple extrême d'une entreprise dont un seul salarié serait candidat au premier tour des élections professionnelles et où, sur 100 votants, l'intéressé n'aurait reçu que sa voix, les autres électeurs ayant déposé des bulletins blancs ou nuls.

En retenant les suffrages exprimés, le syndicat de l'intéressé obtiendrait 1% des voix et serait donc largement minoritaire. En revanche, en prenant les suffrages valablement exprimés, le syndicat en question serait crédité de 100% des suffrages. Ainsi, cette organisation syndicale déciderait du sort de tous les accords qui viendraient à être conclus dans l'entreprise, même si les salariés l'avaient totalement désapprouvée aux élections.

De même, le code du travail prévoit la nécessité d'organiser une consultation du personnel en cas de "carence d'élections professionnelles".

La circulaire précise qu'il y a carence dès lors qu'il n'y a pas de candidat présenté par une organisation syndicale au premier tour des élections.

Ici encore, la circulaire dénature le texte de Loi. En effet, au sens strict, il n'y a carence d'élections que dans le cas où il n'y a pas d'élu ni au premier, ni au second tour.

Ainsi, en appliquant la lettre de l'article L.132-2-2 du code du travail, un accord signé par une organisation syndicale serait valable dès lors que l'entreprise serait dotée de représentants du personnel élus au second tour. En effet, le référendum ne serait pas nécessaire puisque nous ne serions pas en présence d'une carence d'élections professionnelles.

Autre difficulté non résolue par les textes, le cas d'une entreprise qui n'aurait pas dépouillé les bulletins de vote du premier tour des élections faute d'avoir atteint le quorum. Faudra t-il prévoir une validation par référendum ? L'accord sera t-il d'office applicable, ou inversement obligatoirement dépourvu de tout effet juridique ?

Il convient également d'évoquer l'hypothèse (si l'accord de branche subordonne la validité des accords d'entreprise à une majorité d'engagement) dans laquelle les organisations syndicales ne soumettraient pas à l'approbation du personnel un accord minoritaire. L'employeur pourrait-il alors prendre l'initiative de cette consultation ? A la lecture des textes, une réponse négative s'impose, quand bien même il semblerait logique que chacune des parties, y compris l'employeur, puisse avoir un intérêt légitime à demander l'approbation du texte qu'elles ont signé.

Quelle serait alors la valeur de cet " accord " ? L'article L.132-2-2 du code du travail prévoit que "les textes frappés d'opposition majoritaire et les textes n'ayant pas obtenu l'approbation de la majorité des salariés sont réputés non écrits" Est-on dans ce cas de figure lorsque les syndicats signataires ne prennent pas l'initiative d'un référendum ?

A supposer que la réponse soit positive, il est permis de s'interroger sur la portée exacte de la notion de texte "réputé non écrit ". En effet, la jurisprudence ne considérera t-elle pas que les textes en question constituent, tout au moins lorsqu'ils instituent des avantages au profit des salariés, un engagement unilatéral de l'employeur devant être respecté par ce dernier ?

Pour éviter cette difficulté, les partenaires sociaux auront intérêt à prévoir, par une clause expresse, le sort réservé à l'accord si celui-ci n'était pas approuvé par le personnel ou s'il faisait l'objet d'une opposition majoritaire.

Ainsi que nous l'avons vu brièvement, la réforme n'est donc pas achevée et il appartiendra une fois de plus à la cour de cassation de préciser les contours des nouvelles règles de la négociation collective d'entreprise.

Chronique parue dans la revue Décideurs n°60
15 décembre 2004/15 janvier 2005

Authors:
François Coutard, Avocat - Christophe Girard, Avocat