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La taxe sur les salaires résiste à l’épreuve des Sages

13/12/2010


Saisi par le football club de Metz, le Conseil constitutionnel vient de déclarer la taxe sur les salaires conforme à la Constitution (décision n° 2010-28 QPC du 17 septembre 2010).


L’article 231 du CGI assujettit à la taxe sur les salaires (ci-après TS) les employeurs qui perçoivent annuellement plus de 10 % de recettes non soumises à la TVA.

Alors que cette taxe est régulièrement contestée par ses principaux contributeurs, les banques et les sociétés d’assurance, c’est dans le cadre d’un litige mené par l’association sportive du football club de Metz qu’a été soulevée à son sujet une question prioritaire de constitutionnalité.

Le FC METZ avait en effet été assujetti à la TS du fait de la perception d’indemnités de transfert de joueurs.

Notons immédiatement que, pour le requérant, le sens de la décision du Conseil constitutionnel n’avait d’intérêt pratique que pour le passé. La doctrine administrative sur le fondement de laquelle le FC Metz avait été assujetti à la TS a été rapportée. Les indemnités de transfert sont désormais soumises à la TVA et donc non susceptibles de générer une charge de TS (BOI 3 B-3-06, du 4 juillet 2006).

On savait la TS à l’abri des critiques au regard de la réglementation communautaire, on la sait également désormais conforme à la Constitution

1. La taxe est conforme au droit communautaire…

La première offensive juridictionnelle contre la taxe sur les salaires s’était opérée sur le terrain du droit communautaire. Des contribuables, dont le FC Metz, avaient soutenu que la TS, en tant qu’impôt de substitution à la TVA, était contraire aux articles 13 et 33 de la Sixième Directive TVA et 1er de la 1e Directive TVA qui interdisent aux Etats membres le maintien ou l’introduction d’impôts, droits ou taxes ayant le caractère de taxes sur le chiffres d’affaires et fixent la liste des activités exonérées.

Une telle offensive paraissait pouvoir être récompensée : lors de l’examen de l’IRAP (taxe régionale italienne) par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), les avocats généraux avaient proposé de retenir une approche économique de la notion d’impôt de substitution à la TVA, plutôt que l’approche juridique jusque là retenue par la Cour.

La CJUE n’a toutefois pas suivi leur analyse et a répondu par la négative aux questions qui lui étaient posées (aff. C-475/03). Dès lors, en France, le Conseil d’Etat a pu rejeter les recours fondés sur la non-conformité de la taxe sur les salaires à la réglementation communautaire relative aux taxes sur le chiffre d’affaires (CE 21 décembre 2007 n° 295616)).

2. …et à la Constitution

Utilisant la nouvelle procédure de question prioritaire de constitutionnalité entrée en vigueur le 1er mars 2010, le FC Metz a porté son offensive sur la non-conformité de la TS à la Constitution, développant à titre principal deux griefs.

2.1 La délimitation du champ d’application de la TS entraîne une rupture d’égalité devant les charges publiques et devant l’impôt

Ainsi que le rappelle le Conseil constitutionnel (reprenant en cela l’analyse du Conseil d’Etat) : « la taxe sur les salaires et la taxe sur la valeur ajoutée, qui ne présentent pas les mêmes caractéristiques, constituent deux impositions distinctes ». Les deux impositions étant distinctes, il n’était pas illogique d’estimer injustifié que les opérateurs assujettis à la TVA ne soient pas assujettis à la TS.

Un tel raisonnement semblait d’autant plus pertinent que la TVA est un impôt neutre qui ne pèse économiquement que sur le consommateur final.

Les assujettis à la TVA ne supportent en définitive pas cette charge d’impôt alors que les personnes qui n’en sont pas redevables supportent le poids de la TS en plus de celui de la TVA (la taxe d’amont acquittée sur les achats de biens et de services n’étant alors pas déductible).

Remarquons au surplus que depuis que la TS est affectée au financement des accords sur la réduction du temps de travail (ce qui n’était pas encore le cas dans l’affaire qui vient d’être tranchée), il est également possible de s’interroger sur l’existence d’une autre rupture d’égalité, celle consistant à faire supporter le coût des 35 heures aux seules entreprises non redevables de TVA sur plus de 90 % de leur chiffre d’affaires (8 % des entreprises), alors que ces accords sont applicables à l’ensemble des entreprises.

Le moyen tenant à l’existence d’une rupture d’égalité manifeste n’a pas été retenu par le juge constitutionnel qui a considéré, d’une part, que « le barème de la taxe sur les salaires tient compte de la différence de situation entre les contribuables qui ne relèvent pas des mêmes secteurs d’activité ; que, dès lors, le législateur a pu assujettir de manière différente à la taxe sur les salaires des entreprises qui ne sont pas dans la même situation » et, d’autre part, « qu’en retenant la masse salariale des entreprises comme critère de capacité contributive, le législateur n’a commis aucune erreur manifeste d'appréciation ».

Le Conseil n’a notamment pas été sensible à l’argument des requérants tiré du constat que le critère d’assujettissement à la TS n’étant pas la nature de l’activité mais celle des recettes perçues par l’employeur, deux employeurs opérant dans le même secteur d’activité et soumis au même régime de TVA peuvent être traités différemment au regard de la TS. Il suffit pour cela en effet que l’un des deux soit subventionné, perçoive des dividendes ou des produits financiers en provenance de l’Union européenne.

Pareillement, deux banques ayant la même activité auront un régime de TS différent selon qu’elles ont, ou non, opté pour l’assujettissement à la TVA de certaines de leurs recettes, ou encore en fonction de la localisation de leurs clients, en Europe, ou hors de l’Union européenne.

Les requérants avaient également contesté que la capacité contributive des employeurs puisse être appréciée au regard de leur masse salariale.

Rappelons en effet que la majorité des assujettis à la TS exercent leur activité dans le domaine médical et de l’action sociale où les besoins en personnel sont importants et les capacités contributives quasi inexistantes. Les financements y sont largement assurés par des fonds publics et/ou par des dons, dont on notera que la perception peut, en tant que telle, déclencher l’assujettissement à la TS(1) .

Ces éléments n’ont pas été jugés suffisants par les Sages pour établir l’existence d’une rupture manifeste de l’égalité devant les charges publiques.

2.2 La réglementation ne permet pas d’atteindre les objectifs assignés par le législateur

Née en 1948, la TS a été modifiée en 1968 pour n’être plus perçue que des « personnes ou organismes… qui ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée sur 90 p. 100 au moins de leur chiffre d'affaires au titre de l'année civile précédant celle du paiement des dites rémunérations...".

La volonté du législateur était alors d'alléger les charges des entreprises pour les rendre plus compétitives à l'exportation.

Pour cela, il a réservé l’exonération de TS aux entreprises redevables de la TVA, considérant qu’elles seules pouvaient avoir une activité à l’exportation.

Les requérants ont toutefois soutenu que cette exonération ne répondait pas aux objectifs assignés par le législateur : de nombreuses entreprises passibles de la TVA n’exportent pas leur production tandis que les banques et les compagnies d’assurance (non subventionnées) rendent à partir de la France des services à des clients situés hors du territoire national.

Sur ce deuxième grief, le Conseil déclare qu’il « n’a pas un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; qu’il ne saurait rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé ».

Last but not least, le Conseil apporte une intéressante précision en ce qui concerne l’étendue de son contrôle dans le cadre de la procédure de question prioritaire en indiquant que l’incompétence négative du législateur (à savoir la délégation donnée au gouvernement de régler des questions qui relèvent du domaine de la loi) ne peut pas être invoquée suivant cette procédure à l’encontre d’une disposition législative antérieure à la Constitution du 4 octobre 1958.

La décision des Sages réduit, bien sûr, les voies possibles d’une contestation juridictionnelle de cette taxe dont les inconvénients économiques ne sont plus à démontrer, qu’il s’agisse de la charge fiscale qu’elle constitue pour les banques et les entreprises d’assurance dans un marché très concurrentiel ou encore du non sens budgétaire consistant la faire financer sur des fonds publics pour sa part perçue auprès des organismes hospitaliers, de l’action sociale, du secteur associatif et des administrations.


(1) 41 % de la recette budgétaire de taxe sur les salaires serait ainsi en réalité financée par des fonds publics, Rapport AN n° 8 (2001-2002) de M. Alain Lambert.


Elisabeth Asworth et Frédéric Bertacchi, avocats

Article paru dans la revue Option Finance du 27 septembre 2010

Auteurs

Portrait deElisabeth Ashworth
Elisabeth Ashworth
Associée
Paris