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Les incertitudes entourant l'entrée en vigueur de l'ANI du 11 janvier 2008

22/09/2009

Le dispositif de maintien des couvertures prévoyance et frais de santé prévu par l'ani du 11 janvier 2008 a fait l'objet de plusieurs reports successifs. L'arrêté d'extension reste-t-il opposable aux non-signataires de l'accord ? Quelles seraient les conditions d'un éventuel élargissement de celui-ci aux entreprises des secteurs non représentés lors de la négociation ?

L'article 14 de l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008, institue une obligation de maintien des couvertures prévoyance et frais de santé ainsi que du financement patronal de ces couvertures en cas de rupture du contrat de travail.

L'entrée en vigueur du dispositif a été reportée au 1er mai puis au 1er juillet 2009 (avenant du 18 mai 200961). Mais ce report ayant été réalisé par accords signés par certaines organisations patronales (MEDEF, CGPME, UPA) non étendus à l'ensemble des entreprises concernées, est soulevée la question de l'opposabilité de ce mécanisme aux entreprises non membres des organisations signataires et néanmoins concernées par la date initiale d'entrée en vigueur du dispositif de l'article 14 de l'ANI, dès lors que celui-ci avait donné lieu à un arrêté d'extension (I).

Indépendamment de la solution qui peut être apportée à ce premier problème, il s'en pose un second, celui de l'élargissement éventuel de l'ANI et plus particulièrement de la clause des couvertures prévoyance en direction des entreprises situées dans des secteurs non représentés par les organisations signataires (II).

L'extension de l'ANI

Si l'ANI dans son ensemble a fait l'objet d'un arrêté d'extension, aucun des avenants précités n'a donné lieu à la même procédure, laquelle s'impose à défaut d'extension automatique à partir de l'arrêté initial. Cette lacune soulève la question peut-être éphémère, mais à ce jour capitale de par les retombées financières qu'elle est susceptible d'avoir sur les entreprises concernées, de l'applicabilité de la date d'exigibilité des obligations souscrites au titre de l'article 14.

Il faut commencer par rappeler qu'une entreprise soumise à une convention collective étendue, mais non membre des organisations signataires de cette convention, n'est pas tenue de respecter les avenants de révision signés après la date de l'arrêté d'extension, dès lors que ces avenants n'ont pas, fait l'objet à leur tour de la même procédure2.

Après les avenants du 12 janvier et du 24 avril 2009, celui du 18 mai 2009 paraît avoir la portée quand bien même il n'aurait pour objet que l'article 14 de l'ANI, à l'exclusion de toute autre clause3.

Ceci emporte comme conséquence que le mécanisme de suspension de la date d'entrée en vigueur de l'article 14 de l'ANI n'est pas opposable aux entreprises non affiliées aux organisations patronales signataires et que, d'un autre côté, ces entreprises ne peuvent s'en prévaloir pour déplacer vers l'aval le point de départ de leur obligation de garantie à ce même titre. Mais alors, leur opposer la date initiale d'entrée en vigueur de l'article 14 a-t-il un sens, étant rappelé que l'arrêté d'extension initial de l'ANI n'a pas été rapporté et qu'il continue toujours parallèlement à régir ces entreprises au moins pour toutes les autres dispositions de l'ANI ?

La conception actuelle du mécanisme de l’extension implique la subordination de l’arrêté à la convention qui lui sert de support. La légalité de l’arrêté d’extension est nécessairement subordonnée à la validité de la convention4.

Un texte du Code du travail, l’article L. 2261-18 (ex L. 133-15) traduit cette subordination en énonçant que « l’arrêté d’extension d’une convention ou d’un accord devient caduc à compter du jour où la convention ou l’accord susvisés cessent d’avoir effet ».

Ce texte joue, bien évidemment, en cas de dénonciation de la convention collective. En va-t-il de même lorsque l’accord initial est nové par un accord de révision?

La doctrine opine en faveur d'une réponse positive5. Il est impossible sous peine de priver les intéressés des garanties offertes par l’enquête préalable à l’extension, d’assujettir les tiers aux textes nouveaux sous prétexte qu’en vertu de l’arrêté d’extension intervenu, ils étaient déjà soumis aux textes antérieurs.

Du reste, une telle analyse semble avoir inspiré la Chambre sociale de la Cour de cassation dans l’un des rares arrêts qu’elle a rendu sur cette question6. Si l’avenant du 12 janvier 2009 se présente comme un accord de révision partielle de l’ANI, puisqu’il ne porte que sur l’article 14 de celui-ci, pour autant son impact est fort car les garanties de prévoyance prévues par le texte induisent un coût financier considérable qui cesse d’être immédiat pour les entreprises membres des organisations signataires.

Il est donc raisonnable de penser que tout en étant partielle, la révision est profonde et que, sur ce point particulier, l’ANI a « cessé d’avoir effet » au sens de l’article L. 2261-18 précité.

En conséquence, il faudrait considérer que, dans les mêmes proportions, l’arrêté d’extension est lui-même devenu caduc, les entreprises non-signataires étant déliées de l’obligation d’appliquer les garanties à la date initialement prévue par l’article 14 de l’ANI.

Pour autant, aucune date précise ne leur serait opposable tant qu’un nouvel arrêté d’extension ne leur aurait pas transposé le mécanisme de suspension prévu par l’avenant du 24 avril 2009. On ne peut toutefois totalement éliminer la solution contraire où la caducité de l’arrêté serait écartée parce que les conditions d’application de l’article L. 2261-18 ne seraient pas réunies.

Loin en effet de signifier une volonté de rejeter le dispositif prévu par l’article 14 de l’ANI, l’avenant modificatif traduit plutôt de la part des signataires le souci d’en perfectionner l’applicabilité, en l’adaptant aux circonstances nouvelles qui se seraient manifestées depuis sa signature.

Si on incline finalement pour la thèse de la caducité de l’arrêté c’est parce que son maintien en vigueur aboutirait à une rupture d’égalité entre les entreprises selon qu’elles sont ou non membres des organisations signataires de l’ANI et de son avenant modificatif, les premières bénéficiant d’un avantage lié au report de date.

Or, il y a là une conséquence qui paraît inacceptable aux yeux du juge y compris lorsqu'il a à trancher un litige qui est d'abord de nature sociale, ce, parce qu'il analyse aujourd'hui les conventions et les accords collectifs de travail comme des instruments de police sociale de la concurrence.

L'élargissement de l'ANI

En marge du problème précédent, on peut se poser la question du sort des branches qui ne sont pas couvertes par les organisations patronales signataires (telles que l'agriculture ou la presse) et dont les salariés ne bénéficient donc pas des garanties de prévoyance de l'article 14 de l'ANI, même au titre de l'arrêté d'extension de celui-ci.

Faute du soudain démarrage d'une négociation collective sur un tel sujet, hypothèse qui paraît peu probable, il ne pourrait être remédié à cette situation que par le recours à une procédure qui est celle de l'élargissement de la convention ou de l'accord collectif initial.

Cette procédure doit être nettement distinguée de celle de l'extension, d'utilisation beaucoup plus courante. L'élargissement peut être défini comme l'acte par lequel une convention ou un accord collectif est rendu obligatoire hors de son champ d'application d'origine.

Le recours à cette procédure suppose le respect de conditions de forme et de fond qui sont énoncées pour l'essentiel par l'article L. 2261-17 du Code du travail lequel distingue plusieurs sous-hypothèses selon que l'élargissement est d'ordre géographique ou qu'il est d'ordre professionnel.

A ce dernier titre, le § 3 dudit article dispose que le ministre du Travail peut (à certaines conditions) , « rendre obligatoire dans une ou plusieurs branches d'activité non comprises dans son champ d'application, un accord professionnel déjà étendu »7.

Mais l'article L. 2261-17 précité subordonne dans tous les cas l'intervention d'un tel acte à une condition qui dévoile le caractère fortement subsidiaire de la procédure d'élargissement puisqu'il la fait dépendre du constat d'absence ou de carence des organisations de salariés ou d'employeurs, absence ou carence se traduisant par une impossibilité persistante de conclure une convention ou un accord dans le secteur géographique ou professionnel considéré.

Même si le contentieux administratif a surtout jusqu'à présent porté sur le respect des conditions de forme de l'élargissement8, il est clair que la condition de carence ci-dessus rappelée constitue une exigence substantielle forte dont le non respect ne manquerait pas d'entraîner l'annulation de l'arrêté d'élargissement. On ajoutera que cette condition doit être remplie pour chacune des branches d'activité à laquelle est élargie l'application de l'accord9. Elle suppose en toute hypothèse un défaut total de vie contractuelle y compris sous la forme embryonnaire de pourparlers n'ayant pas abouti à une signature et ce, quel que soit le sujet abordé même s'il n'a pas de rapport avec l'objet de l'accord collectif qu'on entend élargir10. La procédure d'élargissement, décrite par le Code du travail aux articles L. 2261-24 et s, nécessite l'avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective11.

Lorsqu'un arrêté d'élargissement est envisagé, il doit être précédé de la publication d'un avis au Journal officiel12. Enfin, la décision d'élargissement deviendrait caduque si un accord venait à être conclu sur les mêmes sujets dans le ou les secteurs professionnels visés par cette décision. Aussi bien, à supposer que l'élargissement de l'ANI du 11 janvier 2008 soit à l'ordre du jour, il convient de ne point se hâter car l'arrêté d'élargissement devient caduc à compter du jour où l'arrêté d'extension du texte intéressé cesse de produire effet, ce qui renvoie notamment à sa propre caducité .

Il faut donc être assuré que le mécanisme de suspension de l'entrée en vigueur de l'article 14 de l'ANI est bien le dernier et qu'il ne sera plus modifié par les partenaires sociaux, moyennant quoi le dernier avenant pourra être étendu, puis l'ensemble élargi.

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1 Ce dernier avenant modifie assez profondément l'économie de l'article 14 de l'ANI en ce qu'il dispose que les intéressés garderont le bénéfice des garanties des couvertures complémentaire santé et prévoyance pour des durées égales à la durée de leur dernier contrat de travail.
2 Cass. Ass. Plén. 6 avril 1990 - B-Civ. V n° 6
3 Ce que confirme l'article L. 2261-8 du Code du travail
4 CE 13 novembre 2002, RJS 2/03 n° 222
5 J.M. Despax, les conventions collectives, traité de droit du travail vol V n° 270
6 Cass. soc. 29 mai 2001 (RJS 8-9/01 n° 1043)
7 Le §4 du même article prévoit quant à lui l'élargissement des avenants déjà étendus
8 Voir à cet égard CE 30 novembre 1992 Concl. J-Cl. Bonichot n.j. Barthelemy Dr. social 13993 p 355 s'agissant de l'élargissement de l'accord national interprofessionnel sur l'emploi du 20 octobre 1986
9 CE 17 janvier 1986 D 1986 somm. 78 - 2ème esp. Obs. D. Chelle et X Pretot
10 Concl. Commissaire du gouvernement sous CE 30 novembre 1992 précité
11 Par ailleurs une organisation professionnelle n'est recevable à contester la légalité d'un arrêté portant élargissement d'un accord interprofessionnel étendu qu'en tant qu'il s'applique aux professions qu'elle représente (CE 17 janvier 1986 D 1986 somm. 78 1ère esp.- obs. D. Chelle et X. pretot)
12 Art. D 2261-3 C. trav. Cet avis invite les organisations et personnes intéressées à faire connaître leurs observations

Alain Coeuret,
of Counsel de CMS Bureau Francis Lefebvre,
et professeur des facultés de droit

Artîcle paru dans la revue Décideurs : Stratégie, Finance, Droit