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Réflexions autour du nouveau principe d’opposabilité des options fiscales « irrégulièrement exercées »….

10/02/2011


Les contribuables doivent assumer les conséquences de leurs choix, et ne peuvent se prévaloir des irrégularités commises par eux à l’occasion de l’exercice d’une option…tel est l’enseignement du tout nouveau principe énoncé par le Conseil d’Etat, qui laisse à l’administration le choix des armes…


« L’administration fiscale est en droit d’opposer au contribuable les conséquences du régime fiscal pour lequel il a opté, sans que ce contribuable puisse utilement se prévaloir, ultérieurement, de ce qu’il ne remplissait pas les conditions auxquelles le bénéfice du régime fiscal est subordonné, ce qui aurait permis à l’administration de le remettre en cause dès les premiers effets de l’option. » (CE, Tasset, n°317425)

Ce principe a été énoncé par le Conseil d’Etat le 30 juillet 2010 dans une affaire portant sur le régime de report d’imposition prévu à l’article 151 octies du CGI, lequel permet au contribuable, qui apporte son entreprise individuelle à une société, de ne pas être imposé immédiatement sur la plus-value d’apport des éléments incorporel du fonds de commerce et d’en différer l’imposition jusqu’à la cession ultérieure soit des titres reçus en rémunération de l’apport, soit du fonds apporté.

Ayant choisi de reporter la plus-value d’un apport effectué en 1998, le contribuable en cause n’avait toutefois pas respecté certaines des obligations déclaratives en 1999, et, lors de la cession des titres en 2000, avait omis d’imposer la plus-value d’apport. A l’occasion d’un contrôle intervenu en 2003, l’administration entendait rectifier cette omission au titre 2000, année de la cession.

Pour contester ce redressement, le contribuable soutenait que, n’ayant pas respecté les obligations déclaratives auxquelles ce régime était subordonné, il en avait bénéficié à tort et prétendait donc au bénéfice de la prescription frappant, en 2003, l’année de réalisation de l’apport (1998), et celle (1999) du manquement à l’obligation déclarative.

S’il est manifeste que le principe énoncé par le Conseil d’Etat, pour faire obstacle à cette argumentation, est dicté par la volonté d’éviter que les contribuables ne puissent tirer un effet d’aubaine des irrégularités qu’ils ont pu commettre, les conditions de mise en œuvre , le fondement et la portée de ce nouveau principe méritent d’être précisés.

1. Les conditions et modalités de mise en œuvre du principe d’opposabilité des options fiscales

1.1. L’existence d’un régime optionnel, …

Parmi les régimes fiscaux «favorables aux contribuables », il en est qui sont d’application automatique : ainsi, le sursis d’imposition prévu à l’article 150-0 B du CGI (pour les plus-values d’échange de titres résultant d’une fusion, d’une scission ou d’un apport à une société soumise à l’IS).

D’autres régimes revêtent au contraire un caractère optionnel. Le contribuable dispose alors d’un choix : (i) demeurer sous le régime de droit commun ou (ii) se placer sous le bénéfice du régime optionnel, sous réserve (en principe) d’en remplir les conditions.

Le principe d’opposabilité ne se conçoit qu’en présence d’un véritable régime optionnel sous lequel le contribuable a entendu se placer, par l’exercice d’un véritable choix.

1.2. …que le contribuable décide d’appliquer, …

Pour lui être opposable, le choix du contribuable d’opter pour le régime ne doit faire aucun doute.

Bien que les arrêts du Conseil d’Etat, de la Cour administrative d’appel, et les conclusions des rapporteurs publics, MM. Collin ou Bernault laissent ce point dans l’ombre, on peut supposer que le contribuable avait fait connaître à l’administration sa décision d’appliquer le régime de report en insérant l’option dans l’acte d’apport, comme l’exige le II de l’article 151 octies du CGI.

Au demeurant, selon l’arrêt d’appel, « l’intéressé avait lui-même manifesté sans équivoque la volonté de bénéficier du report d’imposition de la plus-value qu’il avait réalisée, dont le montant était d’ailleurs mentionné dans la rubrique « VR » de sa déclaration, correspondant « aux plus-values pour lesquelles le report d’imposition n’est pas expiré » ».

Enfin, le contribuable avait même maintenu la plus-value en report d’imposition sur ses déclarations des revenus des années 2000 et 2001.

1.3. … sans pour autant en remplir toutes les conditions, …

Dans l’affaire jugée par le Conseil d’Etat, l’irrégularité commise par le contribuable consistait dans le non respect d’obligations déclaratives, postérieurement à la réalisation de l’opération d’apport.

La décision d’appel mentionne en effet que la déclaration des revenus 1998, souscrite en 1999 par Monsieur Tasset, ne comportait pas l’ensemble des renseignements exigés par les dispositions des articles 151 octies et 41-0 A bis de l’annexe III au CGI, et notamment un état indiquant le nombre et la valeur des parts reçues en contrepartie de l’apport.

1.4. … « ce qui aurait permis à l’administration de le remettre en cause, dès les premiers effets de l’option », …

Pour l’application de l’article 151 octies du CGI (dans sa rédaction antérieure à l’année 2000), le Conseil d’Etat avait déjà jugé que toute défaillance, même ponctuelle, dans la production annuelle des états de suivi, constituait un fait générateur légal d’imposition de la plus-value d’apport au titre de l’année de cette défaillance (CE, 16 mars 2009, n°304749 ; 25 octobre 2010, n° 313593).

1.5. … mais ce qui ne l’empêche pas de différer l’imposition comme si le report était valide.

Par son considérant de principe, le Conseil d’Etat permet à l’administration de retenir une autre voie d’imposition, consistant à opposer au contribuable sa décision irrévocable d’exercer l’option. Elle peut ainsi, par une sorte de fiction, traiter le contribuable « comme si son option était valide », et tirer toutes les conséquences du régime pour lequel il a opté. Quant au contribuable, il est privé de la possibilité d’invoquer une éventuelle prescription du droit de reprise de l’administration, alors même qu’elle découlerait de l’application mécanique des textes.

2. Fondement et portée du principe d’opposabilité des options fiscales

2.1. Une mise en œuvre de la théorie de l’apparence ?

Sur quel(s) principe(s) juridique(s) cette solution repose-t-elle?

Dans ses conclusions, Monsieur Collin fait clairement reposer la solution proposée sur la théorie de l’apparence, en vertu de laquelle« l’administration est en droit d’opposer au contribuable la situation juridique dont il s’est prévalu dans ses déclarations fiscales, sans que ce dernier puisse utilement soutenir que cette situation juridique n’était qu’apparente ».

Mais la théorie de l’apparence ne joue en principe que lorsque la situation juridique réelle est demeurée occulte vis-à-vis de l’administration. Tel est par exemple le cas d’une convention de prête-nom qui ne lui aurait pas été révélée. Ici, l’administration pouvait difficilement prétendre ne pas avoir eu connaissance de l’irrégularité d’un état de suivi qui lui a été adressé.

Ainsi, le nouveau principe énoncé par le Conseil d’Etat nous apparaît davantage comme une nouvelle « déclinaison » de l’adage selon lequel il faut « souffrir la loi que l’on a faite soi-même » (qui fonde également la théorie de l’apparence). Le juge reconnaît à l’administration le droit d’opposer au contribuable la décision qu’il a irrévocablement prise d’appliquer un régime optionnel réputé favorable, peu important que l’irrégularité commise l’ait été volontairement ou non.

2.2. Un nouveau principe dont la portée mériterait d’être précisée et encadrée

On sait que les obligations déclaratives, et les sanctions dont elles sont assorties, ont pour objet de permettre à l’administration d’exercer son pouvoir de contrôle et de rectification. Il n’apparaît donc pas choquant que le juge permette à l’administration d’éviter qu’une règle déclarative édictée en sa faveur puisse jouer à son encontre et au contribuable d’échapper à toute imposition.

Mais, se pose la question de la portée du principe posé par le Conseil d’Etat : serait-il applicable en cas de manquement à des conditions autres que déclaratives, et notamment en cas de non respect d’une ou plusieurs conditions de fond du régime?

La formulation très générale retenue dans la rédaction du « considérant de principe » laisse penser que la réponse à cette question pourrait être positive.

Ainsi, par exemple, l’option pour le régime de faveur de l’article 210 B applicable aux apports partiels d’actif, pourrait être reconnue opposable aux parties, en cas :

  • (i) de manquement à une obligation formelle autre que déclarative, telle que l’omission dans l’acte d’apport de l’engagement de conservation des titres reçus en contrepartie de l’apport ;
  • (ii) ou de non respect d’une condition de fond du régime, tel que l’apport d’éléments isolés ne constituant pas une branche complète d’activité.

Pour autant, dans le cas du non respect par le contribuable d’une condition de fond du régime, la possibilité offerte à l’administration de lui opposer son option, n’ajouterait-elle pas à la fois à la lettre et à l’esprit des lois ?


François Lacroix, avocat associé, et Sophie Girelli, avocat, CMS Bureau Francis Lefebvre

Article paru dans la revue Option Finance du 10 janvier 2011

Auteurs

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François Lacroix
Associé
Paris
Sophie Girelli