Home / Publications / Stock-options et mobilité internationale du salarié...

Stock-options et mobilité internationale du salarié : quelle imposition ?

25/05/2010

Le Conseil d'Etat précise, pour la première fois, le régime fiscal du profit sur stock-options dans l'hypothèse où le salarié a changé de résidence fiscale entre la date d’attribution des options et la date à laquelle il les a exercées pour céder instantanément les titres obtenus. Une occasion de faire le point.


Les plans d’options permettent au salarié d’acheter des actions de la société qui l'emploie, à une échéance et à un prix déterminés à l'avance. Le salarié exercera ses droits s’ils lui permettent le moment venu d’acquérir l'action sous-jacente pour un prix plus faible que sa valeur de marché. L’imposition n'est pas déclenchée à ce stade ; elle ne le sera que lorsqu'il cédera l'action. La cession peut se réaliser le jour même de l’achat des titres ou plus tard. Les choses se compliquent dans la seconde situation, car il faut distinguer, pour le calcul de l'impôt sur le revenu, deux composantes :

  • la plus-value d'acquisition : différence entre le prix de souscription ou d'achat des actions et la valeur réelle des titres au jour de la levée des actions,
  • et la plus-value de cession : différence entre cette valeur réelle et le prix de cession.

Le législateur distingue clairement entre le gain obtenu grâce à l'achat, pour un prix favorable, d'une action de l'entreprise-employeur, gain de nature salariale soumis à une imposition favorable si le contribuable respecte un délai d'indisponibilité de 4 ans après l’attribution de l’option (délai pendant lequel il s'abstient de céder l'action), et la plus-value additionnelle de nature patrimoniale qui résulte de l’élévation du cours de l’action entre sa date d’achat et sa date de cession.

Ce régime, d’application déjà complexe dans un contexte français, devient un véritable casse-tête en cas de mobilité internationale du salarié !

1. Des conventions fiscales insuffisamment précises

M. Stock se voit attribuer des options en juin 2006. Il part travailler à l'étranger en 2009 et est supposé revenir en France fin 2010. Il sait que le délai d'indisponibilité expirera en juin 2010. Quelle est la solution fiscalement la plus intéressante ?

On évacuera assez rapidement le problème de l'imposition de la plus-value de cession, car on partira du principe que la cession se fera dans la foulée de l'exercice des options (en 2010), donc sans dégager de plus-value. Rappelons, pour mémoire, que, dans la majorité des cas, les plus-values de cession de titres des non-résidents sont non imposables en France.

Le sort de la plus-value d'acquisition est, en revanche, problématique.

En cas de mobilité internationale, la logique voudrait que l'imposition de cette plus-value soit réglée par les conventions fiscales.

Encore faut-il que l'on puisse apporter une exacte qualification juridique au gain d'acquisition. S'il s'agit d'une plus-value mobilière, l'imposition revient généralement à l'Etat de résidence au moment de la cession, alors que si ce gain est un revenu salarial, l'imposition revient généralement à l'Etat du lieu de l'exercice de l'activité. Dans ce dernier cas, l'imposition peut se faire sur une base partagée, si l'activité rémunérée est regardée comme exercée dans plusieurs Etats...

La question n'est pas anodine pour M. Stock, car il est possible qu'il soit actuellement résident d'un Etat qui ne taxe pas les plus-values sur titres…

Très peu de conventions fiscales traitent du cas particulier des stock-options, mais l'OCDE, a publié, le 16 juin 2004, un rapport "Plans d'options d'achat d'actions pour les salariés : problèmes transfrontaliers concernant l'impôt sur le revenu" selon lequel la plus-value d'acquisition est un complément de rémunération dont l'imposition relève de l'article 15 (salaires) du modèle de convention OCDE plutôt que de l'article 13 (plus-value et gain en capital).

L'imposition du revenu salarial se fait en fonction du lieu d'exercice de l'activité professionnelle et l'OCDE incite à prendre en compte les clauses contractuelles, notamment les conditions d'octroi des stock-options (en fonction de performances passées ou de performances futures) et la présence ou non d'une condition de maintien dans l'entreprise pendant une certaine durée.

Mais ces commentaires n'ont pas de valeur normative pour les juridictions françaises, et le problème de M. Stock reste donc entier.

2. Une législation interne insuffisamment précise

Le rapport de l'OCDE n'a pas été ignoré de l'administration française, qui a proposé, fin 2005, aux organisations patronales, un projet d'instruction s’inspirant étroitement de ces recommandations. Ce projet soulignait que les travaux de l'OCDE confortaient l'analyse retenue par la France selon laquelle la plus-value d'acquisition a la nature d'un revenu d'emploi et non d'un gain en capital. Le problème est que l’administration entendait appliquer cette solution aux contentieux en cours.

Or, cette affirmation apparaît comme très sujette à discussion lorsque le salarié respecte le délai d'indisponibilité fixé par la loi.

En effet, on distingue deux situations :

  • soit le délai légal d'indisponibilité (4 ans) n'est pas respecté, auquel cas l'imposition est prévue par l'article 80 bis du CGI et le II de l'article 163 bis C. Dans ce cas, le gain d'acquisition est qualifié par la loi de "complément de salaire".
  • soit le délai légal d'indisponibilité est respecté, auquel cas l’imposition est prévue par le I de l'article 163 bis C suivant des modalités qui ne sont pas celles retenues pour la taxation d'un avantage salarial. Le rattachement du gain à l'année de cession des titres et la possibilité d'imputer ce gain sur la moins-value de cession laissent penser que le gain d'acquisition a, dans ce cas, la nature d'une plus-value.

Autant dire que ce projet d'instruction a fait l'objet de vives critiques, et n'a donc jamais été publié.

Comment M. Stock va-t-il pouvoir s'en sortir ? S'il cède pendant la période d'indisponibilité, il est certain que son gain d'acquisition sera du salaire, alors que le doute est permis s'il cède au-delà de ce délai. Mais, même si M. Stock admet que le gain d'acquisition est imposable comme un salaire, à quelle activité le rattacher? Celle exercée en France au moment où les options lui ont été attribuées, celle exercée à l'étranger au moment où les options seront levées, ou celle exercée pendant la période courant entre ces deux dates ? Selon le projet d'instruction, la période retenue commençait généralement à l'attribution pour prendre fin dès que le salarié était en droit d’exercer les options (proratisation en fonction du nombre de jours travaillés dans chacun des Etats), mais une autre conclusion n'était pas exclue : ainsi, il était possible d'avancer, suivant le cas, que les stock-options sont à la fois une rétribution de performances passées et une incitation en vue de performances futures (se rapportant ainsi à deux périodes), ou bien n'ont été accordées que pour récompenser des performances passées, ou bien encore ont été attribuées pour fidéliser le salarié (condition de maintien dans l'emploi pendant une certaine période).

3. Des clarifications jurisprudentielles encore incomplètes

On le voit, la question n'est pas simple, et les réponses les plus claires sont fondées sur une instruction qui n'a jamais vu le jour ou sur de simples recommandations de l'OCDE.

Heureusement, le cas a été posé au Conseil d'Etat, qui a bien dû répondre ! Le contribuable ne s'appelait pas M. Stock, mais il avait, comme dans notre exemple, reçu des options alors qu'il était résident de France, puis les avait exercées sans respecter le délai d'indisponibilité, alors qu'il exerçait son activité en Belgique. Il avait cédé les titres dans la foulée.

La décision du Conseil d'Etat du 17 mars 2010 n°315831 porte uniquement sur cette situation.

Le Conseil d'Etat, tout d'abord, confirme qu'en cas de cession pendant le délai légal d'indisponibilité, le gain d'acquisition est un complément de salaire imposable au titre de l'année de la cession. Puis il précise que l'imposition n'est attribuée à la France que pour autant que l'activité ainsi rémunérée a été exercée sur le territoire français. Enfin il indique la clé de répartition du profit entre l’activité déployée en France et celle déployée à l’étranger : proportion du nombre de jours travaillés sur le territoire respectif de chaque Etat entre la date de l'attribution des options et la date à laquelle le salarié est autorisé par le plan à lever les options. Pour des options exerçables dès leur attribution, l'imposition reviendrait entièrement à l'Etat sur le territoire duquel le contribuable exerçait son activité professionnelle à la date de l'attribution.

Ainsi, contrairement au souhait du contribuable, qui aurait été gagnant si l'imposition avait été rattachée à la seule année de cession (conformément au jugement du TA de Versailles du 18 décembre 2001), avec un prorata déterminé en fonction de son temps de présence en France cette année là, c'est bien sur toute la période d'indisponibilité prévue par le plan que se calcule le prorata.

La solution a le mérite de la simplicité, mais ne reprend pas les subtilités de l'instruction de 2005 repoussée par la place.

Le Conseil d'Etat précise incidemment que l'existence d'une condition de présence dans l'entreprise à la date de levée des options est sans incidence sur la règle sus-énoncée.

Mais son arrêt laisse en suspens une autre question cruciale. Quelle solution aurait prévalu si le délai légal d'indisponibilité avait été respecté ?


Emmanuelle Féna-Lagueny, Forent Ruault, avocats

Analyse paru dans la revue Option Finance du 6 avril 2010

Auteurs

Emmanuelle Féna-Lagueny
Florent Ruault