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Financements intragroupes : la détermination des taux d’intérêt ne s’improvise pas

07/09/2016

Les financements intragroupes retiennent toute l’attention de l’administration fiscale française et nécessitent une étude approfondie au vu des évolutions fiscales françaises et internationales.

L’essor des financements intragroupes

Le recours aux financements intragroupes a connu une forte croissance au cours des dernières années et ce d’autant plus avec la crise du crédit de 2007 qui a obligé les multinationales à trouver des sources de financement alternatives et moins coûteuses ou moins restrictives que les prêts bancaires. La Banque de France a indiqué que les banques ont en effet enregistré une diminution de la demande de crédit allant jusqu’à -70 % durant les années 2007-2008.

Contracter un prêt auprès d’un tiers pour ensuite prêter ces sommes à d’autres entités membres du groupe peut présenter de nombreux avantages économiques : cela permet de réaliser des synergies au sein du groupe en gérant de manière centralisée les lignes de trésorerie à court terme, ou de rationaliser les plans de financement à long terme des différentes filiales. Dans les grandes entreprises, la part des dettes contractées auprès des sociétés liées est presque équivalente à celle auprès des établissements financiers.

Devant de telles considérations, les prêts intragroupes font aujourd’hui l’objet de plusieurs actions sous l’égide de l’OCDE qui a pour projet de lutter contre l’érosion de base taxable et les transferts de profits (base erosion and profit shifting, ou «BEPS»)1, et se trouvent au centre des débats tendant à la mise en place de dispositifs anti-abus.

En filigrane se trouve la question de la sous-capitalisation. Derrière ce terme se trouve les entreprises qui privilégient le financement par dette plutôt que par capitaux propres. Pour pallier le risque d’érosion des recettes fiscales, certains Etats (dont la France) mettent en place des conditions restrictives à la déduction des charges d’intérêts à travers des règles de capitalisation restreinte.

L’utilisation d’instruments financiers hybrides peut également poser problème. Le financement hybride est un instrument financier qui présente à la fois les caractéristiques d’une obligation et celles d’une action. Cette dualité peut venir de la nature même de l’instrument considéré (ORA, dettes mezzanines, etc…) ou d’une divergence de législation entre les Etats considérés. La qualification juridique de tels instruments est donc fluctuante et permet de ce fait le développement d’avantages fiscaux pour l’entreprise, mais avec des risques de requalification.

Par conséquent, il convient d’être vigilant quant aux dispositions, toujours en évolution, prises par les Etats, et par l’OCDE dans le cadre du plan d’action BEPS.

Le droit fiscal français, par exemple, compte six dispositifs différents visant spécifiquement à limiter la déductibilité des charges d’intérêts versées à des sociétés liées, dont trois exigent le respect d’un taux de marché2 (i.e., taux que l’entité emprunteuse aurait obtenu en empruntant auprès d’une société tierce). Par ailleurs, pour échapper à la présomption de transferts de bénéfices à l’étranger3, les prêts intragroupes, comme toute transaction convenue entre sociétés liées établies dans deux états différents, doivent être conclues à un taux de marché.

La détermination des taux d’intérêt, une science et un art à la fois

Le respect de la condition du taux de marché peut sembler simple en théorie, toutefois son application pratique réserve plusieurs difficultés. La détermination du taux de marché n’est pas une tâche simple, puisqu’il faut tenir compte à la fois du profil financier de l’entité emprunteuse, mais aussi des autres sociétés du groupe qui pourraient la cautionner, tout en gardant à l’esprit qu’une caution, en droit civil, ne peut se présumer4, et qu’on ne peut s’en prévaloir sans engagement non équivoque pris par la société caution.

Au vu de la complexité de la question, les banques rechignent souvent à fournir une étude approfondie des profils d’endettement, ni même une offre faisant figurer un taux d’intérêt, sans demande sérieuse d’emprunt appelée à se matérialiser dans les faits, et les données publiques synthétiques (p.ex. les tableaux génériques d’agences de notation, les données de la Banque de France) sont généralement rejetées par l’administration fiscale, voire dans certains cas par les juges5. La recherche de taux d’intérêt de marché applicables à des situations comparables se révèle plus ardue qu’il n’y paraît.

Afin de limiter les risques de remise en cause du taux appliqué aux financements intragroupes, il convient de réaliser une analyse économique suffisamment robuste, adaptée au cas étudié et approfondie. Elle sera par certains aspects similaire aux recherches de comparables réalisées dans le cadre de flux non financiers (p.ex. opérations d’échanges de biens ou de services). Ces études économiques auront toutefois leurs spécificités propres et devront notamment prendre en compte des données quantitatives telles que la rentabilité, la liquidité et la solvabilité de la société emprunteuse, mais également des données qualitatives comme la taille, la part de marché, le secteur dans lequel l’entreprise évolue, et le type d’opérations que l’entreprise réalise dans ce secteur. D’autre part, l’impact des conditions générales du prêt ne doit pas être négligé. En effet, le taux sera appréhendé différemment s’il s’agit d’un emprunt à court terme ou à long terme, s’il est garanti ou non ou encore si les intérêts doivent être payés à maturité ou de façon périodique. Il est également important de noter que le taux d’intérêt n’est pas le point de départ de l’analyse, mais plutôt le point d’arrivée. Il faudrait ainsi considérer la méthode de détermination du taux de la façon la plus large possible pour intégrer le maximum de paramètres et parvenir au résultat le plus fin.

Dans le cadre des centrales de trésorerie, l’analyse doit porter sur le niveau de rémunération globale de la société pour l’activité financière et non sur le fondement d’une analyse des taux prêteurs ou emprunteurs. En d’autres termes, l’analyse doit reposer sur une approche globale de ce que représenterait une rémunération de pleine concurrence.

Cependant, en pratique, il existe des écueils lors de la détermination des taux d’intérêts. En effet, le fait de ne pas évaluer la cote de solvabilité de l’emprunteur, l’utilisation d’un seul taux d’intérêt pour toutes les transactions, une documentation insuffisamment fournie ou encore l’absence de la prise en compte du risque de change sont autant d’erreurs qui pourraient être préjudiciables en cas de contrôle fiscal.

Les financements intragroupes représentent un enjeu considérable pour les multinationales car ils deviennent une source importante de financement, et comportent un risque non négligeable qu’il s’agit de diminuer à l’aide des indications parfois succinctes de l’OCDE et des administrations fiscales. Le terrain des prix de transfert dans ce domaine étant encore relativement indéterminé, les entreprises devront se fonder sur les méthodes utilisées pour les flux non financiers et qui sont aujourd’hui maîtrisées avec une fiabilité relativement élevée. En d’autres termes, malgré l’imprécision et le flou qui persiste encore aujourd’hui autour de ces opérations, les méthodes mises à disposition des entreprises permettent de prévoir et même de prévenir les risques inhérents à ces enjeux de financement primordiaux pour les groupes internationaux.

Ces études permettront de déterminer le taux de pleine concurrence à appliquer à un financement intragroupe pour une maturité donnée et une devise donnée en fonction de l’analyse du profil financier de la société découlant de la prise en compte des critères quantitatifs et qualitatifs exposés ci-dessus.

__________________________

1 OCDE, «BEPS», Actions 2 et 4
2 CGI, articles 39,1, 3 ; 212,1 a et clause de sauvegarde du 212, II, b
2 CGI, article 57
4 C. civ, art. 2292
5 CAA Bordeaux, 2 septembre 2014, 12BX01182, Sté Stryker Spine

Article paru dans le magazine Option Finance le 29 août 2016


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