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L'imprévision et la notion d'onérosité excessive

Alourdissement de la dette et dépréciation de la créance ?

05/05/2020

Depuis plusieurs semaines, la crise relative à l'épidémie du Covid-19 bouleverse l'économie et ses effets peuvent être de nature à rendre "excessivement onéreuse" l’exécution de vos obligations contractuelles.

Afin d'y remédier, en l'absence de clauses contractuelles organisant ces conséquences, la loi prévoit plusieurs moyens pour tenter de renégocier le contrat.

L’un de ces moyens est le mécanisme de l'imprévision, prévu à l'article 1195 du Code civil, texte issu de la réforme du droit des obligations qui ne s'applique de ce fait qu'aux contrats conclus à partir du 1er octobre 2016.

Ce nouvel article dispose : "Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. 

En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe"

Le recours au dispositif implique donc la réunion de trois conditions cumulatives :

  • un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat ;
  • la partie affectée par ce changement ne doit pas avoir accepté d'en assumer le risque ;
  • ce changement de circonstances doit rendre l’exécution du contrat excessivement onéreuse.

Notre propos n’est pas de revenir en détail sur la notion d'imprévision mais de s’interroger ici uniquement sur ce que peut recouvrir la 3e condition "d’onérosité excessive" de l’exécution du contrat car cette condition est d’interprétation délicate.

Que recouvre la notion d'onérosité excessive ?

L'onérosité correspond-elle uniquement à un renchérissement du coût de la prestation sans répercussion possible sur la clientèle ?

Peut-elle s'interpréter plus largement et viser aussi la diminution significative de la valeur de la contre-prestation pour une partie, c'est-à-dire la perte de tout intérêt (ou d’une très grande partie de l’intérêt) du contrat pour cette dernière du fait du changement de ces circonstances imprévisibles ?

L’exécution du contrat deviendrait-elle ainsi plus onéreuse car elle coûterait plus que ce qu’elle ne rapporte ?

Ce qui est certain c’est que l’imprévision sanctionne une disproportion. Une simple perte de marge ne peut caractériser une onérosité excessive.

La lecture stricte de l’article 1195 semblerait de ce fait viser la première option, c’est-à-dire un renchérissement du coût de la prestation qui ne pourra pas être répercutée. En effet, dans le langage commun le caractère onéreux se définit comme ce qui est cher, coûteux.

Pourtant, le changement imprévisible de circonstances peut également entraîner une baisse considérable de la rentabilité du contrat pour l'une des parties. Le contrat peut perdre une grande partie de son intérêt pour le créancier lorsque la valeur de la contre-prestation diminue par rapport au prix convenu initialement et ce bien qu'il n'y ait pas d'augmentation du coût de l’exécution.

Le critère de l’onérosité excessive s’apprécierait alors davantage au regard de l’économie du contrat plutôt que dans les capacités contributives du débiteur.

A ce titre, l’article 1221 du Code civil relatif à l’exécution forcée en nature pourrait être mis en parallèle car il prévoit que "le créancier d'une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l'exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s'il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier."

Ainsi, par exemple, dans le secteur de la distribution, les prestations d’impression de prospectus publicitaires programmées plusieurs mois à l’avance peuvent ne plus avoir d’intérêt si ces prospectus ne peuvent plus être distribués à temps. En effet, ces publicités présentent des thématiques définies en fonction du calendrier (Pâques ; vacances scolaires, etc.), de la saisonnalité et disponibilité des produits, des habitudes de consommation à une époque donnée. Les volumes de ces prospectus (nombre de pages ; formats ; milliers d’exemplaires à distribuer) sont déterminés longtemps à l’avance car la réservation des temps d’impression et l’achat du papier au meilleur prix en dépendent. La crise sanitaire ne rend pas plus onéreuse leur production mais peut la priver de tout intérêt si ces prospectus ne peuvent être distribués ou mis à disposition en temps utile ou encore s’ils perdent de leur raison d’être, les consommateurs ayant modifié leurs habitudes d’achat.

Le distributeur peut-il arguer de la baisse de la contrevaleur de la prestation dont il bénéficie, pour renégocier avec son agence de production publicitaire sur le fondement de l’article 1195 du Code civil non seulement les programmations à venir mais également celles arrêtées depuis plusieurs mois ?

Une notion encore incertaine

L’interprétation de ce caractère onéreux fait débat et, parmi les auteurs, les opinions divergent.

Certains estiment qu'il ne peut s'entendre que du coût de la prestation qui deviendrait excessivement onéreux. Le texte n’aurait pas été conçu pour autoriser des renégociations en cas de baisse de valeur de la contre-prestation. Mais, il semblerait qu’une partie de la doctrine souhaite également y inclure "la diminution de la contrepartie, un rapport coût/ avantage devenu négatif" (P. Malaurie, L. Aynès et P. Stoffel-Munck, Droit des obligations, LGDJ, 2018) ou "la dévalorisation du prix que peut recevoir le créancier" ; B. Fages, Droit des Obligations, LGDJ, 08/2019). Cela amènerait donc à retenir une vision plus large de l'onérosité englobant ainsi la perte de l’utilité du contrat pour le créancier.

C'est d'ailleurs ce qui était prévu à l'origine par l'avant-projet Catala de réforme du droit des obligations. L’article 1135-1 du projet consacrait la possibilité pour les parties "dans les contrats à exécution successive ou échelonnée, de s’engager à négocier une modification de leur convention pour le cas où il adviendrait que, par l’effet des circonstances, l’équilibre initial des prestations réciproques fût perturbé au point que le contrat perde tout intérêt pour l’une d’entre elles". L’article 1135-2 du même projet prévoyait qu’"à défaut d’une telle clause, la partie qui perd son intérêt dans le contrat peut demander au président du tribunal de grande instance d’ordonner une nouvelle négociation".

Il était donc envisageable pour la partie qui perdait tout intérêt à voir le contrat mis en œuvre de demander au juge d'ordonner la renégociation et, en cas d'échec, d'obtenir une résiliation judiciaire.

La référence à la disparition de l'intérêt du contrat pour l'une des parties n’a pas été reprise dans le nouvel article 1195 du Code civil. Faut-il y voir la volonté d’une conception stricte de l'onérosité excessive ? Certains le pensent, notamment pour des raisons de sécurité juridique.

Il est à noter que, depuis le 1er octobre 2018, l’article L.211-40-1 du Code monétaire et financier exclut l’application de l’article 1195 aux obligations qui résultent d’opérations sur titres et contrats financiers mentionnés aux I à III de l’article L.211-1 du même code (titres de capital émis par les sociétés par actions ; titres de créance ; parts ou actions d’organismes de placement collectif et contrats financiers). Restent toutes les autres conventions.

Seules les décisions judiciaires qui seront rendues dans les prochains mois permettront d’apprécier la façon dont les juges entendent interpréter cette notion, sachant que la reconnaissance d'une situation d’exécution excessivement onéreuse s’appréciera selon les circonstances et en fonction de l'existence d'une éventuelle clause de hardship qui aurait été stipulée au contrat.

Pour plus d’informations, notre équipe de droit commercial est à votre entière disposition.


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