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Actualité du transfert d'entreprise (article L.1224-1 du Code du travail)

21/10/2010


L’appréciation des conditions d’application de l’article L. 1224-1 (ex-L. 122-12 al. 2) du Code du travail, qui prévoit le transfert des contrats de travail en cas de « modification de la situation juridique de l’employeur », est un exercice particulièrement délicat pour les praticiens d’opérations de transfert partiel d’entreprises. Deux arrêts récents de la Cour de cassation apportent d’importantes précisions à propos de la condition de transfert d’actif que conditionne l’application de ce texte comme de ses effets sur les salariés travaillant pour plusieurs activités.


La mise en oeuvre d’une opération de transfert d’une partie de l’activité de l’entreprise implique nécessairement l’examen des conditions d’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail lorsque des salariés y sont affectés. Ce texte, que complètent les dispositions communautaires(1), prévoit ainsi la poursuite de plein droit du contrat de travail avec le nouvel employeur lorsque de strictes conditions sont réunies. Il dispose en particulier que « s’il survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise ».

L’énumération légale n’étant pas exhaustive, il est revenu à la jurisprudence de préciser son champ d’application. Après de multiples évolutions, la Cour de cassation subordonne désormais l’application de l’article L.122-12 du Code du travail au transfert d’une entité économique autonome (« ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre ») conservant son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise. Le cadre ainsi posé a ensuite donné lieu à de nombreuses précisions jurisprudentielles dont deux récentes méritent d’être particulièrement soulignées.

Une condition d’application de l’article L. 1224-1 : le nécessaire transfert d’éléments d’actifs

La première décision a trait aux conditions de réalisation du transfert d’entreprise. Le principe selon lequel la reprise par un tiers d’une activité exploitée par une « entité économique autonome » entre dans le champ d’application de l’article L. 1224-1 doit en effet tenir compte de l’existence d’un transfert de moyens d’exploitation. Ainsi, l’absence de tout transfert d’élément d’exploitation est un élément généralement retenu par la Cour de cassation pour exclure l’application de l’article L 1224-1, qui, sur ce point, se montre plus stricte que le juge communautaire.

Cette règle vient ainsi d’être rappelée dans un arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de cassation en date du 31 mars 2010(2) qui concernait le transfert d’un contrat portant sur la gestion informatique d’abonnements. Pour écarter l’application de l’article L. 1224-1 et contredire les premiers juges, la Cour de cassation a ainsi considéré que l’article [L. 1224-1] du Code du travail n’avait pu trouver application dans la mesure où il ne résultait pas des faits en cause « que des moyens corporels et incorporels significatifs nécessaires à l’exploitation de l’entité avaient été repris, directement ou indirectement par le nouvel exploitant ». Ce faisant et ainsi que le souligne le conseiller à la Chambre sociale Pierre Bailly, la Cour de cassation « se refuse à voir dans ce qui constitue l’effet normal du transfert d’une entité économique, à savoir la reprise du personnel, une condition de ce transfert »(3).

Au demeurant ce transfert d’actif peut être particulièrement délicat à caractériser dans les opérations impliquant pour l’essentiel de la main-d’oeuvre. Dans ce dernier cas, ce transfert peut en effet résulter de la transmission d’un « savoir-faire particulier, indispensable à l’exercice de l’activité, constituant un élément d’actif incorporel significatif »(4). Si l’on perçoit l’idée que sous-tend l’utilisation de cette formule, son appréciation in concreto apparaît bien moins aisée.

L’hypothèse du transfert partiel du contrat

La seconde décision apporte un important élément de réponse à la question du sort du contrat d’un salarié lorsqu’une cession partielle de l’entreprise n’affecte qu’en partie son emploi. Jusqu’à présent, la Cour de cassation considérait que le changement d’employeur devait intervenir en proportion de la part de l’activité que l’intéressé exerce dans l’entité transférée(5).

Cette solution était toutefois difficilement envisageable en pratique car elle conduisait à rendre le salarié titulaire de plusieurs contrats de travail, à temps partiel, avec des employeurs pouvant ne pas appartenir au même groupe voire être concurrents. Dans un arrêt en date du 30 mars 2010(6), la Cour de cassation apporte un tempérament à cette règle en jugeant que « dès lors que le contrat de travail s’exerçait pour l’essentiel dans le secteur d’activité de la Société TTE […] l’ensemble de son contrat de travail avait été transféré à cette société, alors même qu’il avait continué à exercer des tâches dans un secteur encore exploité par la Société Thomson ».

Par cette décision, la Cour de cassation semble ainsi mettre un terme à la condition tenant à l’affectation exclusive à l’entité transférée qu’elle faisait jusqu’à présent prévaloir(7) pour retenir désormais celle de l’affectation « essentielle ».

Cette approche plus pragmatique que celle qui prévalait jusqu’à présent conduit à s’interroger sur la possibilité de voir le critère de l’activité « dominante » ou « principale » que commande le transfert de l’entier contrat de travail désormais succéder au critère de l’activité « essentielle » ainsi retenu par la Cour de Cassation. Une telle évolution, qui se rapprocherait des solutions parfois constatées dans la pratique de ces opérations, risquerait toutefois de se heurter à une jurisprudence communautaire qui semble déjà bien en retrait de la solution retenue par la haute juridiction française en ce qu’elle demeure attachée au critère de l’affectation « exclusive »(8). Enfin soulignons pour conclure que les marges de manoeuvres de l’employeur pour tenter de corriger les effets de cette jurisprudence par des affectations opportunes et « essentielles » de ses salariés, peu de temps avant la réalisation de l’opération, à l’activité qu’il est envisagé de transférer sont strictement encadrées par le juge.

Dans un arrêt du 3 mars 2009, la Cour de cassation a ainsi jugé que les conditions d’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail n’étaient pas réunies en cas de cession d’une « structure créée artificiellement sans activité économique autonome antérieure »(9). Dans cette espèce, l’employeur avait été contraint par les règles de droit de la concurrence de filialiser puis de céder une de ses activités et, pour ce faire, avait préalablement mis en place une organisation « dédiée » composée de salariés essentiellement affectés à cette activité. La Cour de cassation a donc sanctionné au plan social l’objet même de cette opération qu’imposaient pourtant des règles antitrust…


1 Directive n° 2000/23/CE du 12 mars 2001.

2 n° 09-40.

3 Semaine Sociale Lamy, n° 1445, 2010, p. 6.

4 Cass. Soc. 11 juin 2008, n° 07.41-394.

5 Cass. soc. 2 mai 2001 : RJS 7/01 n° 854 ; Cass. soc. 8 juillet 2009 : RJS 11/09 n° 835.

6 N° 08-42.065.

7 Cass. soc. 18 février 2004 n° 01-42.626.

8 CJCE 7 février 1985 aff. 186/83, Botzen.

9 n° 07-44.653


Pierre Bonneau, avocat

Chronique parue dans la revue Décideurs de septembre 2010

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Pierre Bonneau
Associé
Paris