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Attention aux clauses de rétrocession d’électricité dans vos baux !

Lettre des baux commerciaux | Avril 2019

19/04/2019

Il n’est pas rare que les baux comportent des clauses dites de "rétrocession d’électricité". Sur leur fondement, le preneur doit rembourser au bailleur le coût de la consommation d’électricité des parties privatives données à bail, indépendamment de la quote-part de frais d’éclairage et de consommation d’électricité afférente aux parties communes.

Ces clauses sont de deux types : certaines reviennent à facturer aux usagers de l’électricité une participation sans lien avec les consommations réelles (par exemple en fixant un pourcentage dépendant de la surface des parties privatives données à bail), tandis que d’autres organisent une facturation au réel après, par exemple l’installation d’un compteur privé.

Ces clauses sont-elles licites ? Comment s’accommodent-elles du libre choix du fournisseur d’électricité dont bénéficie chaque consommateur d’électricité qui achète de l’électricité pour sa consommation propre en application de l’article L.331-1 du Code de l’énergie ?

Rétrocession d’électricité : le cadre applicable

La rétrocession consiste pour un consommateur d’électricité à céder à un tiers l'énergie qui a été livrée à son nom et pour sa propre consommation, avec ou sans comptage et à un prix réglementé ou qu’il a négocié.

La distinction essentielle en la matière tient au choix entre tarif et prix d’achat de l’électricité : les règles ne sont pas les mêmes selon que l’électricité est achetée à un tarif réglementé de vente ou à un prix de marché négocié.

La rétrocession de l’électricité achetée à un tarif réglementé de vente est interdite par la loi et par les cahiers des charges de concession de distribution publique : les consommateurs finals bénéficiant encore de tels tarifs ont interdiction de revendre cette électricité.

La revente d’électricité achetée à un prix de marché et à un fournisseur librement choisi est quant à elle autorisée. Cependant, toute personne qui achète de l’électricité pour la revendre à un consommateur final (c’est-à-dire celui qui la consomme lui-même) doit être titulaire d’une autorisation d’achat pour revente définie à l’article L.333-1 du Code de l’énergie.

Les obligations qui pèsent sur un titulaire d’autorisation d’achat pour revente ne sont pas neutres : outre le fait d’informer le consommateur final sur l’origine de l’électricité fournie (article R.333-10 du Code de l’énergie), le fournisseur d’électricité doit acquérir des certificats de capacité de production ou d’effacement de consommation. La sanction attachée à la violation de cette obligation d’être titulaire d’une autorisation d’achat pour revente, c’est-à-dire le fait de revendre de l’électricité sans y être autorisé, peut atteindre 8 % du chiffre d’affaires hors taxes de l’entité qui achète de l’électricité pour la revendre à un consommateur final (articles L.333-4, L.142-31 et L.142-32 du Code de l’énergie).

L’appréciation de la licéité du cadre contractuel de la rétrocession par les juridictions

La Cour de cassation a clairement indiqué que, pour ne pas tomber dans la rétrocession non autorisée, il faut que le bailleur facture des charges indépendantes des consommations réelles d’électricité (Cass. 3e civ, 7 septembre 2017, n° 16-17.015).

Cependant, les juridictions judiciaires ne sont pas parfaitement au fait de la distinction entre la rétrocession d’électricité achetée à un tarif réglementé et celle achetée à un prix de marché. C’est sans doute cela qui explique la persistance de jugements contradictoires. En tout état de cause, seules les clauses contractuelles prévoyant une rétrocession d’électricité achetée au tarif réglementé devraient être nulles et leur nullité reconnue par un juge devrait emporter l’effacement rétroactif de la clause litigieuse : les parties devraient être replacées dans la situation qui était la leur avant la conclusion du contrat, avec obligation de restitutions réciproques.

On constate cependant que, pour prononcer cette nullité, le juge ne caractérise pas systématiquement la fourniture au tarif réglementé (voir CA Reims, 5 décembre 2017, n° 16/01820 ; CA Montpellier, 13 novembre 2018, n° 16/04317) et que pour reconnaître la licéité d’une telle clause, il a pu fonder son raisonnement sur l’absence de compteur individuel, sans considération pour l’existence d’une éventuelle fourniture au tarif réglementé (voir CA Paris, 17 janvier 2018, n° 17/10967) ou pour l’absence d’une autorisation d’achat pour revente d’électricité.

Ce que couvre la prohibition de la rétrocession d’électricité n’est à tout le moins pas très clair pour les juridictions, près de douze ans après l’ouverture totale du marché de l’électricité à la concurrence.

Monopole de la distribution publique

Parallèlement, se pose la question de l’existence d’un compteur individuel et par extension du monopole de la distribution publique, problématique mal appréhendée dans les baux commerciaux, qui n’en a pourtant pas moins des conséquences directes dans les relations contractuelles entre bailleur et preneur.

Si la fourniture est assimilée à une vente, la distribution correspond à une activité de gestion de réseaux d'acheminement de l'énergie, qui constituent des infrastructures concédées et régulées. Cette activité est désormais indépendante des relations entre fournisseurs et consommateurs. L’acheminement d’électricité est un monopole légal : un client final ne saurait en principe gérer un réseau de distribution, car il violerait les droits exclusifs dont bénéficie le concessionnaire dans sa zone de desserte.

Il existe toutefois quelques exceptions à ce principe de non-rétrocession de la gestion d’un réseau,  notamment pour les logements se prêtant difficilement à un comptage individualisé de la consommation, tels les hôtels ou campings.

Néanmoins l’arrêt Valsophia de la cour d’appel de Paris (CA Paris, 12 janvier 2017, n° 2015/15157), confirmé par la Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 4 septembre 2018, n° 17-13.015), a conforté le monopole de la gestion du réseau public de distribution d’électricité, en prohibant purement et simplement le raccordement indirect du consommateur final, c’est-à-dire le raccordement de ce dernier au réseau public de distribution via les installations privatives d’un tiers.

Autrement dit, chaque consommateur final doit disposer de son propre raccordement au réseau public de distribution, c’est-à-dire de son propre compteur d’électricité, posé par le gestionnaire de réseau de distribution d’électricité constituant un bien de retour de la concession, ce qui lui permet de choisir son propre fournisseur d’électricité conformément à l’article L.331-1 du Code de l’énergie. On peut cependant penser que les exceptions précitées au comptage individuel trouvent toujours à s’appliquer, même si cela n’a pas encore été jugé.

De plus, pour tenir compte de certaines situations, la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 a créé, en aval du réseau public, les réseaux intérieurs des bâtiments qui sont définis comme "des installations intérieures d'électricité à haute ou basse tension" (article L.345-1 du Code de l’énergie). Elles ne peuvent être installées que "dans les immeubles à usage principal de bureaux qui appartiennent à un propriétaire unique" (article L.345-2 du même code).

Ne peuvent être qualifiés de réseaux intérieurs des bâtiments "[...] les installations électriques alimentant :

  • un ou plusieurs logements ;
  • plusieurs bâtiments non contigus ou parties distinctes non contiguës d'un même bâtiment ;
  • un bâtiment appartenant à plusieurs propriétaires".

Enfin, les articles L.345-3 et L.345-4 du Code de l'énergie rappellent que, dans tous les cas, "[l]e raccordement d'un utilisateur à un réseau intérieur d'un bâtiment ne peut faire obstacle à l'exercice par un consommateur des droits relatifs au libre choix de son fournisseur [...]". Dans ces immeubles à usage principal de bureaux qui appartiennent à un propriétaire unique, l’installation intérieure d’électricité est juridiquement un "réseau intérieur d’électricité". Dans cette hypothèse, un dispositif de décompte de la consommation ou de la production d'électricité est installé par le gestionnaire du réseau public qui permet alors au consommateur de choisir librement son fournisseur d’électricité. Le législateur ayant encadré spécifiquement cette situation, il est probable que le juge judiciaire adoptera une position particulière dans le cas où il sera saisi de la question de la licéité d’une clause de rétrocession d’électricité dans un bail afférant à ce type d’immeuble.
Enfin, il faut souligner l’existence de législations indépendantes qui doivent cohabiter : ainsi, les dispositions tirées du droit des baux et celles tirées du droit de l’énergie ne sont pas nécessairement en cohérence. Par exemple, en matière de baux d’habitation, la facturation de la consommation d’électricité au locataire peut s’opérer selon diverses modalités en fonction de la nature du bail. Si l’occupation du bien à titre de résidence principale s’opère en application d’un bail de location meublée, le bailleur peut choisir entre deux modalités d’imputation des charges : un forfait ou une provision régularisable.

L’article 25-10 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs énonce ainsi que "les charges locatives accessoires au loyer principal sont récupérées par le bailleur au choix des parties et tel que prévu par le contrat de bail :

1° Soit dans les conditions prévues à l'article 23, lorsqu'il s'agit de provisions pour charges ;
2° soit sous la forme d'un forfait versé simultanément au loyer, dont le montant et la périodicité de versement sont définis dans le contrat et qui ne peut donner lieu à complément ou à régularisation ultérieure.
Le montant du forfait de charges est fixé en fonction des montants exigibles par le bailleur en application du même article 23 et peut être révisé chaque année aux mêmes conditions que le loyer principal. Ce montant ne peut pas être manifestement disproportionné au regard des charges dont le locataire ou, le cas échéant, le précédent locataire se serait acquitté".

Ainsi, si la consommation électrique est intégrée à ce montant forfaitaire, elle ne peut être facturée en fonction de la consommation réelle. Or, le droit de l’énergie pose le principe du libre choix de son fournisseur par chaque consommateur et exige le raccordement direct de chaque consommateur final. La quadrature du cercle donc, sauf à exclure expressément l’électricité de la provision ou du forfait. 

Une difficulté similaire se pose en matière de baux commerciaux : l’article L.145-40-2 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 dite "Pinel" prévoit que "dans un ensemble immobilier comportant plusieurs locataires, le contrat de location précise la répartition des charges ou du coût des travaux entre les différents locataires occupant cet ensemble. Cette répartition est fonction de la surface exploitée […]. En cours de bail, le bailleur est tenu d'informer les locataires de tout élément susceptible de modifier la répartition des charges entre locataires". Il est fréquent que ces charges incluent les frais d’éclairage, de chauffage ou de réfrigération, de ventilation, de climatisation ainsi que toute consommation de fluides (eau, électricité, gaz etc.).

Ainsi, se pose la question de la cohérence entre la pratique issue du droit des baux, les dispositions tirées du droit de l’énergie, qui garantissent le libre choix par le consommateur final de son fournisseur d’électricité et la jurisprudence actuelle qui impose le raccordement direct au réseau électrique de chaque consommateur final d’électricité.


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