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Concurrence : Compliance : un remède en vogue, des effets secondaires à circonscrire

Denis Redon

13/07/2009

Les programmes de conformité (compliance) en droit de la concurrence connaissent un réel engouement et s’installent durablement dans les entreprises, accompagnant la continuelle percée et diffusion du droit de la concurrence dans le paysage juridique.

Elaborés le plus souvent à l’issue de contentieux avec les autorités de concurrence mais parfois de manière préventive, leur mise en œuvre implique au préalable de s’assurer de leur conformité notamment avec les règles du droit du travail et avec les dispositions relatives à la protection des données personnelles compte tenu pour ces dernières des dispositifs d’alertes internes qui y sont souvent associés. Si ces questions devront être soigneusement étudiées lors de la mise en place d’un programme de conformité, notre bref propos est ici relatif au seul droit de la concurrence.

La nouvelle Autorité de la concurrence diffuse sur son site Internet une étude (réalisée en septembre 2008 pour le Conseil de la concurrence) fixant un état des lieux des programmes de conformité.

Plus récemment, dans sa lettre « entrée libre » (avril 2009, n°4), la même Autorité indique vouloir « diffuser une culture de la conformité incitant les entreprises à placer la concurrence au cœur de leur stratégie commerciale ». Elle ajoute prévoir « de mettre en chantier un document-cadre relatif aux programmes de conformité ». L'autorité a renouvelé cette information, le 1er juillet 2009, à l'occasion de la publication du rapport annuel pour l'année 2008.

Dans le contexte actuel d’aggravation des sanctions en matière de droit de la concurrence et de tension possible dans les relations entre les salariés et leurs employeurs si, la nécessité de la mise en place de tels programmes se confirme, leur gestion dans le temps de ces programmes peut susciter quelques questions.

Pourquoi un programme de conformité ?

La nécessité de tels programmes se fonde essentiellement dans la prévention des pratiques anticoncurrentielles et, par voie de conséquence, des sanctions qui y sont attachées.

Ainsi, ces programmes concourent à une diffusion et une imprégnation du droit de la concurrence au sein de l’entreprise et à éviter ou limiter pour l'avenir les comportements anticoncurrentiels ou encore à les détecter.

La mise en place de tels programmes de conformité au droit de la concurrence est aussi souvent un élément bien perçu par les autorités de concurrence dans le cadre des contentieux et se révèle être un élément de négociation, à l’occasion des procédures de transaction (non-contestation) ou d’engagements, que ce soit à un niveau communautaire ou français.

Ainsi, par exemple, en droit français, un taux de réduction d’amende de 10 % est en règle générale admis lorsque l’opérateur économique ne conteste pas le grief (procédure de transaction) et s’engage dans un simple programme de conformité et de formation de son personnel et peut atteindre un taux de 25 à 30 % lorsque ces engagements s'accompagnent de la mise en place, par exemple, de procédures d’alerte en cas de violation du droit de la concurrence. Bien évidemment, le montant réel du bénéfice financier pour l'entreprise dépendra, en réalité, de l'assiette de l'amende retenue par l'Autorité : quoi qu'il en soit, le principe d'un avantage au travers d'un pourcentage de réduction d'amende semble bien acquis et il y a là une forme d'incitation aux programmes de conformité pour les entreprises qui n'en disposent pas.

En tout état de cause, cette diffusion au sein de l’entreprise de la connaissance des règles du droit de la concurrence est un outil permettant à l’entreprise d'adopter un comportement citoyen en cette matière. Pour autant, cet effort pédagogique consacré au droit de la concurrence ne doit pas pénaliser l'entreprise et lui faire peser plus de risques que si elle ne disposait pas de programme de conformité.

L’après-mise en place d’un programme de conformité

Au regard des sanctions, la question de l’incidence de l’existence préalable d’un programme de conformité sur le montant d’une éventuelle sanction en cas de violation du droit communautaire de la concurrence semble pouvoir être résumée à ce jour selon les principes suivants.

L’existence d’un programme de conformité n’est en général pas prise en compte pour déterminer le montant de la sanction par la Commission européenne (les lignes directrices publiées par cette dernière et relatives au calcul des amendes ne font pas référence aux programmes de conformité). Celle-ci se contente souvent de relever que le programme n’à à l’évidence pas atteint le résultat escompté. Signalons cependant que le non respect d’un programme de conformité a pu déjà, dans un certain contexte, être retenu comme caractérisant une circonstance aggravante dans une décision de la Commission (décision 1999/210 du 14 octobre 1998) : cette dernière avait, au cas particulier, reproché à l’entreprise le caractère intentionnel de la violation aux règles de droit de la concurrence, caractère intentionnel établi par référence à l’existence du programme de conformité ; la Commission avait aussi relevé le fait que ce programme avait été considéré comme un élément d’atténuation de sanction lors d’une précédente procédure contre cette même entreprise.

Pour sa part, l’étude en ligne sur le site de l’autorité de concurrence révèle, de manière résumée, que dans la pratique décisionnelle comparée d'autres pays, l’existence d’un programme de conformité permet parfois d'obtenir une réduction d'amendes ou une procédure alternative de règlement des différends portant sur la responsabilité personnelle des administrateurs. Mais, elle a pu aussi quelquefois être retenue comme une circonstance aggravante lorsque le droit de la concurrence a été délibérément violé, voire a été manifestement mal appliqué, cette mauvaise application se déduisant de la trop longue durée des pratiques en définitive sanctionnées.

Cette même étude recommande, quant à elle, de ne pas lier les réductions d’amendes à l’existence ou non d’un programme de conformité et que l'autorité vérifie si l’entreprise a fait ses meilleurs efforts possibles pour prévenir une violation du droit de la concurrence.

En conclusion, l’existence (préalable au contentieux) d’un programme de conformité serait plutôt regardée en droit communautaire comme un simple gage de la bonne volonté de l’entreprise à respecter le droit de la concurrence mais sans véritable incidence sur la sanction (la question de la violation délibérée des règles contenues dans le programme pouvant toutefois être regardée comme un facteur aggravant). En France, il faudra veiller aux indications qui pourraient être adressées sur cette question par l'Autorité de la Concurrence, étant précisé qu'il ne paraît pas exclu que l'aménagement d'un programme de conformité (avéré non satisfaisant) puisse être avancé parmi des engagements dans le cadre d'une nouvelle procédure.

L'intérêt le plus manifeste à ce jour semble donc résider davantage dans le fait de se prémunir contre la survenance de pratiques anticoncurrentielles.

Par ailleurs, au regard de la vie quotidienne de l'entreprise, quelques précautions et notamment les suivantes seront les bienvenues. Ainsi, s’il va de soi que le programme de conformité doit être adapté le plus possible aux particularités de la société et à son secteur d'activité, il importe pour cette dernière et, notamment ses responsables de la conformité, de bien mesurer la portée des engagements pris au travers des programmes pour pouvoir gérer dans le temps toutes les situations et/ou questions notamment des salariés portant sur leurs droits et obligations résultant du programme mis en place. En outre, une mise à jour de ces programmes s’avère indispensable pour tenir compte notamment des évolutions législatives et/ou jurisprudentielles. Par ailleurs, il sera sage de veiller à l'effectivité des mesures prises pour assurer le respect des règles contenues dans le programme.

Par Denis Redon, Avocat Associé

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Paris