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Contrat d’assurance-vie financé sur fonds de communauté : comment parer à l’aléa du décès prématuré du conjoint bénéficiaire ?

15/11/2010


Pour la Cour de cassation, la valeur de rachat d'un contrat d'assurance-vie souscrit au profit du conjoint qui décède avant d’en avoir perçu le capital constitue un actif de communauté s’il avait été financé sur deniers communs.

En rapportant sa doctrine qui écartait les droits de succession sur la part (50%) comprise dans l’actif laissé par le défunt, l’administration met en pleine lumière l’asymétrie du traitement des contrats que les époux souscrivent chacun au bénéfice de l’autre. Les époux peuvent toutefois envisager des mesures correctrices.

1. Distinction requise par l’analyse civile

Il arrive fréquemment que deux conjoints mariés sous un régime de communauté souscrivent chacun de leur côté, à l’aide de deniers communs, un ou plusieurs contrats d’assurance-vie dont ils désignent l’autre conjoint comme devant être le bénéficiaire à leur décès. On s’attendrait en toute logique à ce que ces contrats suivent un traitement uniforme au moment où le premier des deux décède.

Tel n’est cependant pas le cas.

Au plan civil, les contrats dont l’époux survivant est institué bénéficiaire sont dénoués à l'occasion du décès de l'assuré et les capitaux y afférents sont versés hors succession à l’intéressé. La transmission des capitaux au profit du conjoint bénéficiaire est ainsi totalement neutre au titre de la liquidation de la communauté. Aucune valeur de rachat n'est à prendre en considération à ce titre et une disposition spécifique du code des assurances, l’article L.132-16, exonère le conjoint de toute récompense au profit de la communauté, sauf primes manifestement exagérées. La communauté se trouve donc privée de la valeur économique des fonds investis sur les contrats souscrits par le défunt-assuré au bénéfice de son conjoint.

A l’inverse, les contrats dont l’époux décédé le premier avait été désigné comme bénéficiaire, contrats qui ne se trouvent pas dénoués par la survenance de son décès, font partie de l'actif commun revenant à la succession du conjoint prédécédé. La part de cet actif commun se trouve alors accrue de 50% de la valeur de rachat de ces contrats. Cette solution découle de la décision « Praslicka » du 31 mars 1992, rendue dans le cadre d’un divorce, par laquelle la Cour de cassation a jugé que la valeur de rachat d'un contrat d'assurance-vie souscrit par un époux constitue un actif de communauté s’il a été financé sur deniers communs.

2. Tentative d’uniformisation des traitements par la pratique

En pratique, face à un tel déséquilibre, le conjoint survivant et les héritiers avaient fréquemment choisi d’"écarter" lesdits contrats des opérations de liquidation de la communauté et consécutivement de l’actif successoral imposable, ce qui aboutissait en quelque sorte à considérer leurs valeurs de rachat comme un bien propre du conjoint survivant en contradiction avec l’analyse civile. Cette manière de procéder avait alimenté de nombreux redressements fiscaux.

Aussi, l'administration, par souci d’apaisement, avait admis de ne pas soumettre ces valeurs aux droits de succession dans les conditions de droit commun, soulignant – dans une lettre du 27 juillet 1999 adressée à la Fédération Française des sociétés d’assurance puis dans une réponse ministérielle Marsaudon du 3 janvier 2000 – qu'il serait "contraire à l'équité de prévoir l’assujettissement de la valeur de rachat de contrat non dénoué aux droits de succession alors que, dans le cas du prédécès du souscripteur assuré, le capital recueilli par l'époux bénéficiaire échappe en principe à l'impôt".

En réalité, et c'est d'ailleurs le sens des réponses ministérielles ultérieures Bataille du 3 juillet 2000 et Marsaudon du 19 novembre 2001, l'administration admettait simplement de ne pas se substituer aux héritiers pour réclamer la prise en considération de la valeur de rachat des contrats non dénoués souscrits au bénéfice du conjoint prédécédé dans le cadre de la liquidation de la communauté puis de la liquidation et de la taxation de la succession.

Ainsi, plutôt que de prévoir de manière générale une exonération du contrat en cause, l’administration laissait le choix aux héritiers et au conjoint de décider à leur gré si la valeur de rachat du contrat était commune ou non.

Au regard du droit civil, la qualification de la nature d’un bien n’appartenant pas aux parties, cette position était fort contestable et a laissé les praticiens dans l’embarras.

Ce n’est que dans une réponse ministérielle Proriol du 10 novembre 2009, que le garde des sceaux est venu rappeler que la doctrine évoquée ci-dessus avait une portée exclusivement fiscale et ne remettait pas en cause la jurisprudence « Praslicka » qui avait d’ailleurs été confirmée par la Cour de cassation dans une décision du 19 avril 2005.

3. Remise en question opérée par la Rm Bacquet du 29 juin 2010

Une réponse ministérielle Bacquet du 29 juin 2010 vient mettre un terme aux divergences entre le droit civil et le droit fiscal en rapportant la solution de neutralité antérieure au motif que l'exonération totale de droits de succession instituée au profit du conjoint survivant par la loi du 21 août 2007 l'aurait rendue sans objet.

Au-delà de sa motivation, à notre sens imparfaite en ce que la prise en considération des contrats non dénoués dans la liquidation de la communauté et consécutivement dans l’actif successoral imposable comporte nécessairement des incidences fiscales pour l'ensemble des héritiers du fait de l’accroissement induite de la valeur de leur part héréditaire, alors que seul le conjoint bénéficie d'une exonération de droits de succession, cette décision de retrait de la tolérance fiscale antérieure remet en pleine lumière la difficulté de traitement des contrats concernés.

Il importe dans ces conditions de rappeler que l'essentiel de la réglementation ayant conduit à la solution rendue par la Cour de cassation est supplétive. En d'autres termes, les conjoints demeurent libres de prévoir, dans les limites fixées par la loi, des dispositions contraires propres à assurer un traitement des actifs dépendant de la communauté conforme à leurs souhaits.

Il faut qu’ils aient pris leurs dispositions suffisamment tôt car l'outil de prédilection pour organiser les conditions de liquidation de leur communauté est le contrat de mariage. En signer un ou aménager celui qui a été conclu n’est plus une opération aussi délicate qu’autrefois. Le formalisme attaché au changement de régime matrimonial a été particulièrement assoupli puisque l’homologation de la convention matrimoniale par le Tribunal est désormais requise uniquement en présence d’enfants mineurs ou d’opposition de l’un des descendants ou des créanciers.

4. La souplesse offerte par les conventions matrimoniales

Pour présenter les principaux mécanismes permettant d'assurer une neutralité juridique et fiscale indépendamment de la date de dénouement des contrats d'assurance-vie souscrits au moyen de deniers communs et de l'ordre du décès entre les époux, nous partirons de l'hypothèse dans laquelle chaque conjoint commun en biens aura souscrit, avant l'âge de soixante-dix ans, un contrat dont il est l'assuré et l’autre le bénéficiaire. Il est postulé que le couple n’a que des enfants communs et que la valeur de chacun des deux contrats à la date du premier décès s'élève à 100.

  • En l'absence de dispositions spécifiques, la survenance du premier décès obligerait à ce que la valeur de rachat de 100 du contrat non dénoué souscrit par le conjoint survivant avec des deniers communs soit retenue pour la liquidation de la communauté, ce qui entraînerait un accroissement de 50 de l'actif successoral imposable du conjoint prédécédé. En l’absence d’inventaire, cet accroissement de 50 aurait une incidence sur la valeur du forfait mobilier de 5%. L’actif successoral ainsi composé serait imposé entre les mains de chacun des héritiers à proportion des droits qu’ils reçoivent, seule la part reçue par le conjoint survivant étant exonérée.
  • Une première solution consiste à retracer très précisément l’origine des fonds ayant servi à la souscription du contrat (notamment succession, donation) afin d’aboutir à la qualification de bien propre de celui-ci ou à la revendication d’une récompense qui viendrait diminuer d’autant l’actif successoral.
  • La deuxième solution, que certains écarteront comme trop radicale, est de prévoir l’adoption du régime matrimonial de la communauté universelle avec une clause d’attribution intégrale de ladite communauté au profit du conjoint survivant. La valeur de rachat du contrat non dénoué restera alors dans le patrimoine du conjoint survivant souscripteur.
  • La troisième solution, plus ciblée, consiste à prévoir dans la convention matrimoniale une clause de préciput en pleine propriété portant sur le contrat non dénoué, permettant à l’époux survivant de prélever cet actif avant tout partage de la communauté. La valeur de rachat de 100 du contrat non dénoué n'est alors pas prise en considération pour la détermination de la part du conjoint prédécédé dans la communauté et n'entraîne ainsi aucun accroissement corrélatif de l'actif successoral.

5. Penser au réexamen des clauses bénéficiaires

Du fait de l’exonération des droits de succession instituée sur la part du conjoint, désigner celui-ci comme bénéficiaire du contrat d’assurance-vie peut se révéler n’être pas le choix le plus judicieux en termes de stratégie patrimoniale. Cette désignation ne crée plus aucune économie fiscale alors que, par exemple, celle des enfants est susceptible d’assurer une transmission gratuite ou faiblement taxée du capital-décès. Bien qu’il ait trait à la seule situation des contrats dont le décès n’entraîne pas le dénouement, le revirement opéré par l’administration pourra inciter les époux souscripteurs à reconsidérer le libellé de leurs clauses bénéficiaires et si cette nouvelle désignation devait faire naître un droit à récompense, celui-ci pourra être traité dans le cadre d’un changement de régime matrimonial.


Isabelle Fleuret et Pierre Carcelero, avocat

Article paru dans la revue Option Finance le 20 septembre 2010

Auteurs

Portrait dePierre Carcelero
Pierre Carcelero
Associé
Paris