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Financement de biens indivis par un conjoint

revirement de jurisprudence

30/09/2021

Cass. 1re civ., 26 mai 2021, no 19-21302, ECLI:FR:CCASS:2021:C100384, M. I. c/ Consorts W., FS–P (rejet pourvoi c/ CA Rennes, 14 mai 2019), Mme Batut prés. ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, av. : LEFP juill. 2021, n° 200f3, p. 5, obs. N. Pétroni-Maudière

Le présent arrêt opère un revirement de jurisprudence et souligne une nouvelle fois la complexité du sort du règlement des financements entre époux.

Une épouse réalise plusieurs financements au profit de son conjoint, notamment dans le cadre de l’achat d’un bien indivis par le couple. L’épouse finance notamment une partie de l’acquisition de la quote-part indivise de son conjoint à partir de fonds provenant de la vente d’immeubles personnels. L’épouse créancière décède et laisse pour lui succéder, outre le conjoint survivant, trois enfants d’une précédente union. Ces derniers réclament au conjoint survivant le règlement de la créance de leur mère.

La cour d’appel de Rennes fait droit à leur demande.

Les moyens du pourvoi formé par l’époux débiteur portaient principalement sur le régime de la créance de la succession envers le conjoint survivant. Les deux principales questions soulevées étaient les suivantes :

  • La créance doit-elle être évaluée selon les règles des créances entre époux de l’article 1543 du Code civil ou selon celles relatives aux créances d’un indivisaire contre l’indivision prévues à l’article 815-13 du Code civil ?
  • Le règlement de la créance est-il une opération de partage, insusceptible de prescription tant que le partage n’a pas eu lieu ?

La Cour de cassation rejette le pourvoi et apporte les réponses suivantes :

  • La créance relève des règles d’évaluation des créances entre époux de l’article 1543 du Code civil : « selon l’article 815-13 du Code civil, un indivisaire peut prétendre à une indemnité à l’encontre de l’indivision évaluée selon les modalités qu’il prévoit lorsqu’il a, à ses frais, amélioré l’état d’un bien indivis ou fait de ses deniers personnels des dépenses nécessaires à la conservation de ce bien. Ce texte ne s’applique pas aux dépenses d’acquisition. Il en résulte qu’un époux séparé de biens qui finance, par un apport de ses deniers personnels, la part de son conjoint dans l’acquisition d’un bien indivis peut invoquer à son encontre une créance évaluable selon les règles auxquelles renvoie l’article 1543 du Code civil. »
  • Le règlement de la créance entre époux due par le conjoint survivant copartageant à la succession est une opération de partage, non prescriptible dans l’intervalle : « selon l’article 865 du Code civil, sauf lorsqu’elle est relative aux biens indivis, la créance de la succession à l’encontre de l’un des copartageants n’est pas exigible et ne peut se prescrire avant la clôture des opérations de partage. Ayant retenu que Mme W. avait financé, au moyen d’apports de deniers provenant de la vente d’immeubles personnels, la part de son époux dans l’acquisition d’un immeuble indivis entre eux, la cour d’appel en a justement déduit, d’une part, que sa succession disposait à ce titre d’une créance à l’encontre de M. I., d’autre part, que cette créance n’étant pas relative à des droits dépendant de l’indivision successorale, elle n’était soumise à aucune prescription avant la clôture des opérations de partage de la succession. »

Une première question soulevée par le pourvoi était relative à la nature juridique de la créance (créance entre époux ou créance contre l’indivision). On rappellera, au préalable, qu’un financement pour le compte d’un époux ne donne pas systématiquement droit à une créance. Le financement peut en effet être justifié par l’existence d’une obligation de l’époux finançant l’acquisition à l’égard de son conjoint. On pense aux « donations rémunératoires » qui indemnisent le conjoint pour sa contribution à l’activité professionnelle de l’époux ayant financé l’acquisition ou pour son dévouement au profit du foyer. On pense également à la contribution aux charges du mariage, même si la Cour de cassation, dans un arrêt récent du 17 mars 2021, a fortement réduit la portée de la contribution aux charges du mariage dans cette hypothèse : « sauf convention contraire des époux, l’apport en capital de fonds personnels, effectué par un époux séparé de biens pour financer la part de son conjoint lors de l’acquisition d’un bien indivis affecté à l’usage familial, ne participe pas de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage »1. Par ailleurs, en cas de preuve d’une intention libérale, le transfert de fonds entre époux peut être qualifié de donation, ce qui écartera, là encore, la qualification de créance.

Au cas particulier, le principe de la créance était acquis. La Cour de cassation rappelle que la cour d’appel avait écarté la qualification de contribution aux charges du mariage comme cause du transfert des fonds entre les époux. Restait alors à régler la question de la qualification de la créance. Jusqu’à présent, la Cour considérait qu’à partir du moment où la dépense d’acquisition était relative à un bien indivis, l’opération donnait droit à une créance à l’encontre de l’indivision sur le fondement de l’article 815-13 du Code civil2. La position de la Haute juridiction avait été contestée par une partie de la doctrine3. Il avait été notamment souligné que le financement par un époux de l’acquisition d’un bien par le couple est antérieur à la naissance de l’indivision et que, dès lors, le transfert de fonds avait lieu entre les patrimoines personnels des époux et à non au profit d’une indivision. Il avait également été rappelé que l’article 815-13 du Code civil, relatif à des dépenses sur des biens déjà indivis, et donc par hypothèse déjà acquis, ne couvre pas les dépenses d’acquisition mais uniquement les dépenses d’amélioration et les dépenses nécessaires à la conservation du bien. C’est ce dernier argument que la Cour de cassation reprend à son compte dans le présent arrêt pour opérer un revirement de jurisprudence. Elle interprète strictement l’article 815-13 : elle écarte son application au motif que la dépense concernée est une dépense d’acquisition non visée par l’article. Elle privilégie donc le régime des créances entre époux prévu à l’article 1543 du Code civil.

Quel est l’enjeu de ce revirement pour l’évaluation de la créance ? Les créances entre époux s’évaluent à la plus forte des deux sommes entre la dépense faite et le profit subsistant4. Dans le régime de l’article 815-13 du Code civil, les dépenses d’amélioration sont en principe évaluées compte tenu de la plus-value subsistante, et les dépenses nécessaires selon la plus forte des deux sommes entre la dépense faite et le profit subsistant5 : toutefois, le juge peut moduler le montant de la créance selon l’équité. Le principal enjeu du revirement de jurisprudence est donc la perte de la possibilité pour le juge de moduler le montant de la créance en fonction de l’équité.

Il faut distinguer le cas d’espèce de la situation où un époux paie les échéances d’un emprunt afférent à un bien indivis. Dans ce cas, la Cour de cassation applique le régime des créances sur l’indivision de l’article 815-13 du Code civil en considérant qu’il s’agit d’une dépense nécessaire pour la conservation du bien6. Il nous semble que le revirement de jurisprudence opéré ne couvre pas le cas des remboursements d’emprunts mais uniquement les financements par apport personnel au moment de l’acquisition7. Cela signifie que si un époux règle, pour le compte de son conjoint, tant le financement initial que l’emprunt relatifs à un même bien indivis, ces deux flux financiers, pourtant connexes à n’en pas douter pour les parties, donneront lieu à deux types de créances : une créance entre époux pour le financement initial, et une créance contre l’indivision pour le remboursement de l’emprunt. On peut regretter la complexité et l’hétérogénéité des modes d’évaluation des créances entre époux selon le mode d’acquisition du bien concerné.

Une seconde question soulevée par le pourvoi concernait le délai de prescription de la demande de remboursement de la créance du conjoint survivant. Selon le demandeur au pourvoi, la créance était exigible avant la clôture des opérations de partage de la succession et pouvait se prescrire avant le partage. Le pourvoi s’appuyait sur la jurisprudence selon laquelle le règlement des créances entre époux séparés de biens ne constitue pas une opération de partage8. Le demandeur au pourvoi soutenait que la demande de remboursement de la créance entre époux, dont la prescription est suspendue entre époux (C. civ., art. 2236), avait été soulevée trop tardivement après le décès de l’épouse créancière9.

La Cour de cassation écarte l’argument sur le fondement du rapport des dettes prévu à l’article 865 du Code civil. Le rapport des dettes est une opération de partage permettant d’attribuer au copartageant débiteur la dette envers la succession afin qu’elle puisse s’éteindre par compensation. Au cas particulier, comme le conjoint survivant débiteur était copartageant, la Cour considère que la dette qu’il doit à la succession doit être soumise au mécanisme du rapport des dettes et que dès lors, le délai de prescription ne peut pas courir tant que le partage n’a pas eu lieu. On notera que les créances entre époux restent des dettes singulières puisque, comme indiqué précédemment, contrairement aux dettes soumises au rapport des dettes, qui sont évaluées pour leur valeur nominale, les créances entre époux peuvent être revalorisées sur la base d’un profit subsistant.


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Grégory Dumont
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Paris