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Droit d'alerte et restructuration : vers un détournement de la procédure ?

Anne-Claire Hopmann

13/11/2009

Les représentants du personnel peuvent tenter par l’intermédiaire de l’exercice du droit d’alerte, de bloquer une procédure de réorganisation engagée ou d’obtenir, dans ce cadre, des informations ou documents complémentaires. L’examen de la jurisprudence récente permet d'étudier les limites de ce détournement de procédure.

L’ exercice du droit d’alerte est reconnu au comité d’entreprise ou au comité central (et non au comité d'établissement) et peut être déclenché : « lorsque le comité d'entreprise a connaissance de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise, il peut demander à l'employeur de lui fournir des explications ». À l'occasion de cette procédure, le comité d'entreprise peut se faire assister, une fois par exercice, par un expert-comptable qui devra être payé par l’entreprise.

Or, si jusqu’à présent, le mécanisme du droit d'alerte s'apparentait plus à une procédure d'interrogation qu’à un moyen de blocage efficace des représentants du personnel, ces derniers n’hésitent pas également à le déclencher au cours d’une procédure d’information-consultation sur un projet de réorganisation. Déclenchement qui peut entraîner un certain nombre de difficultés.

En effet, il convient de rappeler que les représentants du personnel peuvent avoir recours, dans le cadre de la procédure au titre du Livre II du code du travail, à un expert-comptable à la condition qu’ils en assument les frais, sauf à l’avoir négocié au sein d’un accord de méthode.

Ils tentent alors, par l’intermédiaire du droit d’alerte, d’obtenir tant la prise en charge financière par l’entreprise d’une expertise comptable que l’obtention de nouveaux documents ou d’information qu’ils estiment ne pas avoir obtenus lors de la procédure d’information-consultation sur le projet de réorganisation.

Dans le cadre du déclenchement de la procédure du droit d’alerte, le comité d'entreprise a une liberté d'appréciation des faits mais il faut qu'il apporte à l'appui de ses allégations « des éléments objectifs et sérieux autres que l’existence même de tels projets »(1) et il doit faire état de « faits précis potentiellement générateurs de difficultés économiques et sociales » (2).

Cela suppose donc qu’un fait existe, qu’il repose sur des éléments objectifs et qu’il soit précis. L’explication du chef d’entreprise doit porter sur un fait présent et non futur, raison pour laquelle la jurisprudence estime que si l’expert est seul juge des éléments d’information qui doivent lui être communiqués, encore faut-il que ces éléments existent, ce qui conditionne que l’information soit disponible.

En outre, le déclenchement de ce droit est strictement encadré par les textes légaux (3). Ainsi, les élus doivent respecter la procédure suivante :

  • Lors d’une séance, le comité doit demander des explications sur les faits préoccupants. Cette décision doit être prise à la majorité des membres présents (à l’exclusion du président). La demande au titre du droit d’alerte est alors inscrite de plein droit à la prochaine séance. L’employeur est alors tenu de répondre aux demandes d’explication du comité d'entreprise (à défaut, il s’expose au délit d’entrave). Il ne peut pas se contenter de nier les difficultés et doit communiquer les documents réclamés. S’il refuse, le comité d'entreprise peut saisir le juge des référés afin de se voir délivrer les documents.
  • Lors de la deuxième séance, en l’absence de réponse jugée suffisante ou en cas de confirmation de la situation préoccupante, le comité peut alors - et seulement au cours de cette deuxième réunion – décider (par un vote à la majorité) de déclencher la procédure d’alerte et de désigner un expert qui l’assistera pour établir un rapport. Cet expert doit aider le comité à apprécier la situation de l’entreprise et à émettre un avis sur l’origine ou l’ampleur des difficultés rencontrées ainsi que sur les explications données par l’employeur. Dans le cadre de sa mission, il demandera alors la communication d’un certain nombre de documents et d’informations.
  • Lors de la troisième séance, au vu des conclusions du rapport, le comité d’entreprise peut décider, par un vote à la majorité, de saisir le conseil d’administration ou de surveillance et doit lui adresser son rapport en joignant l’avis de l’expert.
  • L’organe dirigeant doit délibérer dans le mois de la saisine et rendre une décision motivée qui est communiquée aux élus.

Un vice de procédure commis par les représentants du personnel dans le déclenchement du droit d’alerte peut ainsi permettre à l’entreprise de contester devant le tribunal cette procédure.

Ainsi, par exemple, a été annulée la délibération du comité au cours de laquelle des explications ont été demandées au chef d'entreprise et ont donné lieu à un vote immédiat sans que la question ait été inscrite à l'ordre du jour et que le délai prévu entre l'inscription à l'ordre du jour et la réunion ait été respecté (4). Il convient de noter qu’il peut être opportun de contester immédiatement devant le tribunal de grande instance un tel vice de procédure avant même de répondre aux demandes d’informations formulées par l’expert dans la mesure où il a été jugé « qu’après avoir reçu la lettre de mission de l’expert, la société a répondu à ses demandes d’information et qu’à aucun moment elle n’a estimé opportun de contester en justice le déclenchement de la procédure d’alerte » (5), le tribunal a donc rejeté la demande d’annulation de la procédure d’alerte.

Se pose également l’opportunité de faire constater par le juge un abus manifeste qui serait commis par le comité d’entreprise en détournant la procédure d’alerte et ce afin de bénéficier d’un expert rémunéré par l’entreprise dans le cadre de la procédure d’information-consultation sur un projet de réorganisation et d’obtenir ainsi la communication d’informations et de documents supplémentaires.

S’agissant précisément des documents à remettre dans le cadre de la procédure d’alerte, il a été jugé que l'exercice d'un droit d'alerte ne saurait « permettre à l'expert et au comité d'entreprise d'exiger des informations relevant seulement des procédures classiques Livre IV » (6) et que « la mission de l'expert-comptable dans le cadre de la procédure d'alerte ne saurait empiéter sur les missions qui peuvent lui être confiées dans le cadre plus général des attributions du comité d'entreprise en matière économique »(5).

Ainsi, au regard de la jurisprudence, un expert-comptable désigné à la suite de la procédure d'alerte peut se faire communiquer toutes les pièces qu'il estime utiles à sa mission, laquelle s'étend aux faits de nature à confirmer la situation économique préoccupante de l'entreprise (7).

Par suite, n’entrent manifestement pas dans le champ d’application du droit d’alerte les demandes suivantes formulées par un expert-comptable dans le cadre de sa mission au titre du droit d’alerte : le détail sur le calcul du sureffectif menant à une organisation cible, l’analyse des conséquences sociales du projet de restructuration, tout document ou information ayant directement trait aux informations pouvant être demandées par les représentants du personnel dans le cadre de la procédure liée au plan de sauvegarde de l’emploi (tels que les organigrammes opérationnels pendant et après la réorganisation, la liste du personnel et répartition par catégorie professionnelle, suppression de postes par catégorie professionnelle).

Enfin, les représentants du personnel peuvent tenter de suspendre la procédure d’information-consultation sur un projet de réorganisation dans l’attente de la remise du rapport de l’expert-comptable sur le droit d’alerte.

Or, ce point est éminemment délicat eu égard à l’absence de ligne claire des juridictions du fond. En effet, il semblait ressortir des récentes décisions des tribunaux que « l'engagement d'une procédure d'alerte n'empêche pas l'employeur de consulter le comité d'entreprise sur un projet en relation avec les motifs du déclenchement de la procédure d'alerte. Dès lors que la société a satisfait à ses obligations d'information et de consultation sur le projet de cession (...), il n'y a pas lieu d'attendre le résultat de la procédure d'alerte » (8).

Plus particulièrement, le tribunal de grande instance de Nanterre, dans une ordonnance de référé en date du 10 avril 2009 a clairement énoncé que « la procédure d’alerte interne et la procédure d’information-consultation du comité d’entreprise sur la marche générale de l’entreprise obéissent à des régimes distincts et sont indépendants. Le déclenchement d’un droit d’alerte concomitamment à la consultation sur un projet de restructuration ne saurait avoir pour effet de lier les deux procédures et qu’ainsi le déclenchement du droit d’alerte ne peut en aucun cas paralyser la mise en oeuvre par le chef d’entreprise du projet de réorganisation ».

Toutefois, un jugement du Tribunal de Grande Instance de Poitiers en date du 24 juillet 2009 semble revenir à une position adoptée précédemment par des juridictions du fond. Ces dernières avaient fait dépendre la procédure d'information-consultation sur un projet de réorganisation du dépôt du rapport de l’expert-comptable diligenté dans le cadre du droit d’alerte (9).

Dans l’attente d’une position claire de la chambre sociale de la Cour de cassation, seul un processus consultatif mené loyalement permettrait de limiter les risques de blocage.


(1) Cass. Soc. 30 juin 1993.

(2) CA de Paris 28 juin 2000.

(3) Article L. 2323-78 à L. 2323-82 du Code du travail.

(4) TGI Créteil 4 octobre 1989 - CA Paris 21 juin 1990.

(5) TGI Nanterre Ord. Réf. 10 avril 2009.

(6 ) TGI Versailles Ord. Réf. 25 avril 2008- CA Toulouse 23 novembre 2007.

(7) CA Paris 27 juin 2007

(8) TGI de Paris 21 juin 2007.

(9) CA de Toulouse 15 mars 2002 - TGI Nanterre 10 septembre 2004.

par Anne-Claire Hopmann, avocat

Article paru dans la revue Décideurs de septembre 2009

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Anne-Claire Hopmann