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Évaluation : la résurgence de contestations

04/04/2011

Outil majeur de management, l'évaluation des salariés est pour l'employeur un droit, voire une obligation pour justifier les politiques de rémunération et de promotion individualisée. La jurisprudence rendue en 2010 clarifie les obligations de l'employeur et illustre la montée en puissance du CHSCT autour du thème des risques psychosociaux, mais aussi ses limites.

Inhérente au pouvoir de direction, l'évaluation des salariés est pour l'employeur un droit, voire une obligation. Outil essentiel de la gestion des ressources humaines, elle permet de justifier de manière objective et pertinente les politiques de rémunération individualisée et de promotion. Dans un contexte de contrôle juridictionnel de tout traitement différencié, l'évaluation des salariés s'impose.

Lors de leur mise en place, les dispositifs d'évaluation destinés à accroître la transparence dans le processus d'individualisation suscitent cependant de plus en plus d'interrogations et de contestations des partenaires sociaux. La démultiplication des critères d'appréciation, la surpondération des critères comportementaux, leur caractère subjectif favorisent l'obstruction des représentants du personnel souvent hostiles par principe à l'appréciation individualisée des résultats et des comportements pour les atteindre. Cette opposition se traduit notamment par la désignation d'experts par le CHSCT, le refus de rendre un avis, voire la saisine des tribunaux aux fins de déclarer les dispositifs d'évaluation illicites en raison de leur caractère anxiogène. Tout en se refusant à censurer le principe, les tribunaux veillent au respect de procédures préalables vis-à-vis de la Cnil comme des CE et CHSCT. Ils se prononcent également sur la pertinence des méthodes d'évaluation interne au regard de la protection de la santé et de la sécurité des salariés. L'année 2010 a donné lieu à plusieurs apports significatifs, en matière tant d'objet de l'évaluation que de mise en place du système ou de fonctionnement de celui-ci.

L'objet de l'évaluation

L'évaluation peut se fixer pour objet d'apprécier non seulement les résultats du salarié, mais aussi la façon d'y parvenir.

Si une première décision de 2008 du TG1 de Nanterre témoignait d'une certaine réticence, la jurisprudence tend de plus en plus à l'admettre. On pourra citer en ce sens une décision, du 28 octobre dernier, du tribunal de grande instance de Versailles qui en a souligné l'intérêt, notamment pour les salariés devant travailler en équipe ou ayant des fonctions d'animation et d'encadrement (TGI Versailles, 28 ocrobre 2010, GE Médical Systems, n° 10/02270).

Le tribunal a ainsi admis l'adoption de critères comportementaux dès lors qu'il ne s'agit pas d'évaluer la personnalité des salariés. Tout en reconnaissant le stress susceptible de survenir lors de l'entretien d'évaluation et la nécessité d'être particulièrement attentif à la façon dont il se déroule, le tribunal se refuse à proscrire l'appréciation du comportement en raison des répercussions qu'il pourrait générer sur la santé mentale des salariés.

La mise en place du système

La montée en puissance du CHSCT peut s'observer à la - relative - fréquence des contentieux sur leur droit à être consultés et à bénéficier d'une expertise aux frais de l'employeur lors de la mise en place mais aussi à l'occasion de changement des dispositifs d'évaluation ; le CHSCT considérant à cette occasion que cette évolution substantielle justifie sa consultation et le recours à des experts et psychologues, comme en témoignent deux arrêts récents de cours d'appel (Versailles, 8 septembre 2010, Société générale, n° 10/02253 ; Rouen, 19 octobre 2010, SFN, n° 09/05096). En revanche, la Cour de cassation a admis, dans un arrêt du 12 juillet 2010 que si un système de contrôle et d'évaluation individuels des salariés ne peut être instauré qu'après information et consultation du comité d'entreprise, tel n'est pas le cas d'un audit mis en oeuvre pour apprécier, à un moment donné, l'organisation d'un service (Cass. soc. 12 juillet 2010, n° 09-66.339).

La Halde, enfin, est venue apporter sa pierre à la construction des principes applicables aux systèmes d'évaluation par sa délibération n° 2010-79 du 1er mars 2010, dans laquelle elle affirme une exigence de transparence. En prenant acte, certaines entreprises se sont engagées dans la voie de l'accord collectif pour mettre en place ou encadrer leur dispositif d'évaluation. On peut, notamment, citer en ce sens l'accord européen du Groupe Thales du 14 avril 2010 ou celui de France Télécom du 27 septembre 2010.

Le fonctionnement du système

La plupart des arrêts rendus en la matière illustrent des principes déjà acquis plus qu'ils n'innovent.

Les manquements du salarié dans ce domaine sont traités avec beaucoup de tolérance par la jurisprudence. Si le refus de se soumettre à la procédure d'évaluation peut être fautif, il n'y a, selon un arrêt récent, pas de faute disciplinaire à exprimer son désaccord par un refus de signature voire un départ de la réunion (Chambéry, 19 janvier 2010, X c/SAEM, n° 09-1180).

En revanche, la jurisprudence se montre rigoureuse vis-à-vis de l'employeur. Dès lors que celui-ci a institué une procédure d'évaluation, il doit l'appliquer à tous, notamment vis-à-vis des représentants du personnel, pour lesquels de tels manquements sont fréquemment relevés sur le terrain de la discrimination. Des salariés qui seraient écartés d'un dispositif d'appréciation de la performance applicable à l'ensemble du personnel sont fondés à obtenir des dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de leur perte de chance de voir évoluer leur carrière en l'absence de cet entretien (Cass. soc, 10 novembre 2009, n° 08-42.114). Dans un domaine très voisin, il a aussi récemmenT été jugé que l'employeur ne pouvait opposer les clauses de forfait à une réclamation d'heures supplémentaires par un cadre, dès lors que l'employeur n'avait pas respecté l'obligation d'un entretien pour évaluer et solutionner les problèmes de charge de travail (Cass. soc. 13 janvier 2010, Mme X c/Castorama, n° 08-43.201). Tout en confirmant les orientations déjà acquises, l'année 2010 aura ainsi apporté quelques ouvertures, tout en soulignant la rigueur nécessaire dans la mise en oeuvre de ces dispositifs. Aussi, touT changement devra-t-il être envisagé avec prudence, d'autant que, au-delà du débat de fond, le recours par les CHSCT à ces nouvelles expertises peut entraîner des coûts importants.

par Nicolas Callies, avocat associé

Chronique parue dans la revue Décideurs de février 2011

Auteurs

Portrait deNicolas Calliès
Nicolas Callies
Associé
Paris