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Gestion du personnel : qui dispose du pouvoir de licencier ?

06/07/2018

Selon une jurisprudence constante de la Chambre sociale de la Cour de cassation, le licenciement d’un salarié ne peut être valablement notifié par une personne étrangère à l’entreprise (Cass. soc., 26 mars 2002, n° 99-43.155 ; Cass. soc., 7 déc. 2011, n° 10-30.222). Au fil de ses arrêts, la Haute juridiction a peu à peu précisé les contours de la notion de "personne étrangère à l’entreprise". Une décision récente (Cass. soc., 13 juin 2018, n° 16-23.701) apporte de nouvelles précisions sur cette notion.

La notion de personne étrangère à l’entreprise

En principe, seul l’employeur ou une personne titulaire d’une délégation de pouvoir dispose du pouvoir de licencier le personnel de l’entreprise. Cette délégation, qui ne doit pas nécessairement être écrite, peut être donnée à une autre personne salariée de l'entreprise. Elle peut découler des fonctions même du salarié (Cass. soc., 26 janv. 2011, n° 08-43.475 ; Cass. soc., 15 déc. 2010, n° 09-42.642). En tout état de cause celui qui reçoit cette délégation doit disposer cumulativement de l'autorité, de la compétence et d'un niveau hiérarchique suffisant.

La Cour de cassation décide ainsi de façon constante que le licenciement d’un salarié ne peut être notifié par une "personne étrangère à l’entreprise". À cet égard, il a été jugé que l’expert-comptable de l’employeur était une personne étrangère à l’entreprise et ne pouvait mener à son terme une procédure de licenciement (Cass. soc., 7 déc. 2011, n° 10-30.222).

Pour autant, dans un certain nombre de situations, la Cour de cassation retient que le licenciement peut être valablement notifié par une personne qui n’est pas salariée de l’entreprise.

Ainsi, il a été jugé que le directeur du personnel, engagé par la société mère pour exercer ses fonctions au sein de la société et de ses filiales, n’est pas une personne étrangère à ces filiales. Il peut recevoir mandat pour procéder au licenciement d’un salarié employé par l'une des filiales, sans qu’il soit nécessaire que la délégation de pouvoir soit donnée par écrit (Cass. soc., 19 janv. 2005, n° 02-45.675). De même, il a été décidé que n’est pas une personne étrangère à l’entreprise dans laquelle il effectue sa mission, un salarié intérimaire dont la mission est de conseiller, d’assister et éventuellement de remplacer le directeur des ressources humaines de l’entreprise utilisatrice, ce dont il se déduit qu’il peut signer les lettres de licenciement (Cass. soc., 2 mars 2011, n° 09-67.237). Enfin, le directeur financier d’une société, propriétaire de 100 % des actions d’une autre société peut valablement signer la lettre de licenciement d’un salarié de cette dernière (Cass. soc., 30 juin 2015, n° 13-28.146).

En revanche, la Chambre sociale a confirmé que l’expert-comptable de l’employeur est une personne étrangère à l’entreprise et qu’il ne peut, même pour ordre, signer la lettre de licenciement (Cass. soc., 26 avr. 2017, n° 15-25.204).

Par son récent arrêt du 13 juin 2018 (n° 16-23.701), la Cour de cassation décide que le directeur général d’une société mère qui supervise les activités du directeur général de la filiale n’est pas étranger à celle-ci et peut donc procéder à son licenciement, nonobstant l’absence de délégation de pouvoir écrite.

Il semble se dégager de cette jurisprudence que chaque fois qu’il existe un lien capitalistique entre les sociétés en cause, c’est-à-dire que la personne qui agit au nom de l’employeur est salariée de la société mère et chargée par elle d’exercer ses missions dans les filiales, elle n’est pas une personne étrangère à celles-ci et peut valablement notifier le licenciement du salarié d’une filiale. La situation semble plus incertaine concernant la possibilité pour le salarié d’une société qui, bien qu’appartenant au même groupe, n’a pas de lien capitalistique direct avec la société qui envisage de notifier le licenciement.

Si la Cour de cassation ne s’est pas encore prononcée sur cette question, une décision de la cour d’appel d’Aix en Provence du 23 juin 2017 (n° 15/066147) semble l’exclure : en l’espèce, la directrice des ressources humaines d’une filiale avait reçu délégation du gérant d'une autre filiale du groupe l'autorisant à exercer sa mission de gestion du personnel sur les salariés de cette "société sœur". Il a été jugé que la directrice des ressources humaines, titulaire de la délégation, n'étant pas employée de la société mère mais d'une autre filiale, devait être considérée comme une "personne étrangère" à la filiale employeur du salarié licencié. La prudence semble donc être de mise lorsqu’un groupe souhaite confier un rôle de "responsable ressources humaines groupe" à un salarié qui n'est pas employé par la société mère.

Les conséquences de la notification du licenciement par une personne étrangère à l’entreprise

S’agissant des conséquences la notification du licenciement par une personne étrangère à l’entreprise, la Cour de cassation a d’abord énoncé que "l'irrégularité pouvant affecter la procédure de licenciement, y compris au titre du mandat donné à un tiers pour la conduire, ne peut suffire à priver de cause la décision de licencier" (Cass. soc., 2 oct. 2002, n° 00-41.801). En d’autres termes, il s’agissait d’une irrégularité de procédure ouvrant droit pour le salarié à une indemnité qui ne pouvait être supérieure à un mois de salaire (C. trav., art. L.1235-2).

Par un arrêt du 7 décembre 2011 (n° 10-30.222), la Cour de cassation est revenue sur cette dernière jurisprudence en décidant que le licenciement ayant été conduit par le cabinet comptable de l’entreprise, il en résulte qu’il est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Cette solution a été récemment réaffirmée par la décision du 26 avril 2017 (n° 15-25.204). Le salarié pourra donc obtenir des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de son licenciement injustifié sur le fondement de l’article L.1235-3 du Code du travail, quand bien même les faits ayant conduit à son licenciement ne sont pas contestés.