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L’EMIR pourra-t-il éviter le risque systémique des dérivés OTC ?

18/06/2012


L’entrée en vigueur au cours de la deuxième moitié de l’année 2012 du Règlement du Parlement européen et du Conseil sur les produits dérivés négociés de gré à gré (les dérivés OTC), les contreparties centrales et les référentiels centraux (ci-après, « Règlement EMIR »), sera-t-elle de nature à rendre les marchés européens de produits dérivés plus sûrs et plus transparents ?

Rien n’est moins sûr… mais c’est l’ambition affichée des autorités (législateur, régulateurs) et le vœu de tous ceux qui ne souhaitent plus que des acteurs importants du monde de la finance prennent dans l’opacité des positions propres à provoquer des risques systémiques (par exemple sur la valeur ou la situation future d’un taux d’intérêt ou du cours d’une monnaie ou encore sur la viabilité d’un débiteur).

Des deux côtés de l’Atlantique (Règlement EMIR en Europe, Dodd Franck Act aux Etats-Unis), on tente de sortir de l’opacité le marché des dérivés OTC, en forçant les acteurs de ce marché à négocier ces contrats sur des plates-formes centralisées (un sujet du futur Règlement MIFIR), à notifier les positions qui en résultent aux régulateurs (via des centres de données appelés « référentiels centraux »), à soumettre certaines de ces positions à des chambres de compensation (« les contreparties centrales ») et à renforcer les exigences en capital des acteurs engagés sur des dérivés OTC qui ne sont pas éligibles à la compensation.

Mais surtout, on déplace aussi le risque systémique vers d’autres acteurs, comme les contreparties centrales, qui vont jouer en Europe un rôle accru après l’entrée en vigueur du Règlement EMIR. On peut d’ailleurs s’interroger sur la faisabilité d’une entrée en vigueur rapide alors que la Commission constatait fin mars qu’il n’existait pas encore de contrepartie centrale sur les marchés des dérivés OTC adossés sur les devises…

Au-delà de la question de l’élargissement du cercle des bénéficiaires des informations collectées par les référentiels centraux(1), la vraie question peut être de savoir si la collecte et la diffusion des informations sur les dérivés OTC sera suffisamment efficace pour permettre aux régulateurs d’avoir une vision plus synthétique (sur un auteur ou un produit) pour prévenir des situations génératrices de risques systémiques.

Au niveau européen, les travaux parlementaires se sont achevés le 29 mars 2012 avec un accord provisoire entre le Parlement et le Conseil sur l’acte final adopté par le Parlement. Ce texte permettra assurément de satisfaire – au moins sur la forme et dans l’esprit – les engagements pris par l’Union européenne à l’occasion du sommet G20 de Pittsburgh de septembre 2009(2).

Comme souvent, le diable se cache dans les détails et les enjeux de la réglementation portent aujourd’hui sur des normes qui ne sont pas totalement arrêtées et notamment :

  • les seuils de significativité au-delà desquels les dérivés OTC conclus devront être notifiés aux régulateurs ;
  • ceux des dérivés OTC qui seront considérés comme éligibles à la compensation et les autres (pour certains acteurs, la quête du graal ne sera-t-elle pas d’éviter l’éligibilité ?) ;
  • les dérogations à l’obligation de compensation et particulièrement celle sur les activités de couverture ou encore sur l’exception intragroupe ;
  • les recours des contreparties centrales lorsque le fonds de défaillance qu’elles doivent mettre en place est actionné et la nature des sanctions contre les acteurs qui n’ont pas été en mesure de maîtriser leurs positions.

Quelques années après la chute de Lehman, la quasi-faillite de Bear Stearns et le sauvetage d’AIG, la demi-surprise de l’affaire de la « baleine de Londres » sert de piqure de rappel à ceux qui doutaient encore que les marchés ne sont toujours pas à l’abri d’une contagion systémique lorsqu’une contrepartie ne maîtrise pas complètement l’ampleur de ses investissements.


1. Cf. notamment la version adoptée en première lecture/lecture unique le 23 mars 2012 par le Parlement européen.

2. Pour mémoire, le communiqué du Sommet indiquait notamment : “[…] All standardized OTC derivative contracts should be traded on exchanges or electronic trading platforms, where appropriate, and cleared through central counterparties by end-2012 at the latest. OTC derivative contracts should be reported to trade repositories. Non-centrally cleared contracts should be subject to higher capital requirements. We ask the FSB and its relevant members to assess regularly implementation and whether it is sufficient to improve transparency in the derivatives markets, mitigate systemic risk, and protect against market abuse. […]”


Analyse juridique parue dans la revue Option Finance du 18 juin 2012

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Alexandre Marion